Près de cinq mois après le début de la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza, le vent a tourné. Israël a complètement échoué dans sa campagne de communication, puisque son opération «d'autodéfense» visant à déraciner le Hamas a entraîné le pire désastre humanitaire depuis des décennies, et qu’il fait actuellement face à de graves accusations de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité.
L’opération aventureuse et mal calculée de Benjamin Netanyahou à Gaza a entraîné son armée plus profondément encore dans un bourbier. Il n’y a aucun honneur à tirer dans ce qu’Israël a fait ces cinq derniers mois: des massacres à grande échelle de femmes et d’enfants, des bombardements d’hôpitaux, le ciblage de journalistes, de médecins et d’universitaires, ainsi que le déplacement de plus de deux millions de personnes. Aujourd’hui, les Gazaouis sont confrontés à la famine.
Ainsi, la sale guerre de Netanyahou a également entraîné dans la boue les alliés les plus proches d’Israël. La débâcle de Gaza a déclenché une prise de conscience mondiale de l’hypocrisie des gouvernements occidentaux et de leur complicité dans la plus longue occupation coloniale des temps modernes. Aujourd’hui, l’administration Biden tente de sauver une situation désespérée, et d’atteindre deux objectifs inaccessibles: sauver la face d’Israël par tous les moyens possibles, et résoudre une grave crise humanitaire qui s’aggrave d’heure en heure.
Dimanche, la vice-présidente américaine Kamala Harris a exprimé ce qui était depuis des mois une déclaration taboue pour l’administration Biden. Elle a appelé à «un cessez-le-feu immédiat» à Gaza. Dans la critique la plus rigoureuse jamais formulée du comportement d’Israël par un responsable américain, elle a déclaré que trop de Palestiniens innocents avaient été tués dans ce qui est devenu «une catastrophe humanitaire». Elle a appelé Israël à faciliter l’entrée de l'aide et à prendre des mesures pour protéger les civils.
«Les États-Unis espèrent qu’un cessez-le-feu, même s’il ne dure que quelques semaines, leur donnerait le temps d’accomplir plusieurs choses»
Osama Al-Sharif
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été le massacre perpétré jeudi dernier, lorsque les soldats israéliens ont ouvert le feu sur des milliers de Gazaouis, alors que ceux-ci tentaient d’atteindre les camions d’aide de l’ONU pour recevoir des sacs de farine. Plus de 100 personnes ont été tuées et au moins 700 blessées. Les observateurs de l'ONU et de l'aide humanitaire qui se sont rendus dans l'hôpital voisin, où la plupart des blessés ont été transportés, ont confirmé que la plupart des victimes souffraient de blessures par balle.
Il ne s’agissait pas d’un incident isolé où des soldats, des chars, des avions de combat ou des navires israéliens tiraient sur des civils à Gaza. Le nombre de personnes tuées et blessées a été stupéfiant, tandis qu’Israël a fourni des récits contradictoires et peu convaincants sur le déroulement des événements.
Cependant, les dénonciations mondiales de cet incident sanglant n’ont guère changé l’attitude d’Israël. Trois jours plus tard, une frappe israélienne touchait un camion humanitaire à Deir al-Balah, avec des civils à proximité, tuant au moins neuf personnes. Israël a également continué à faire exploser des blocs d’habitations entiers, et n'a rien fait pour faciliter l'acheminement de l'aide, notamment vers le nord de Gaza, où, selon l’ONU, près de 700 000 personnes sont confrontées à la famine. Au moins 15 bébés palestiniens sont morts de faim ces dernières semaines. L'image poignante d'un enfant affamé, Yazan al-Kafarna, un petit garçon de dix ans atteint de paralysie cérébrale, décédé à l'hôpital Al-Najjar à Rafah, après avoir souffert de malnutrition, a fait le tour des réseaux sociaux.
Dans un geste ultime et symbolique pour remédier à la situation, les États-Unis, avec l’armée de l’air jordanienne, ont largué vendredi plus de 35 000 repas sur le nord de Gaza, dans ce que le président Joe Biden a déclaré être l’un des nombreux largages aériens américains. L’ironie de la distribution de nourriture par les États-Unis à des dizaines de milliers de civils affamés, coincés dans une zone de guerre et privés de l’accès à l’aide par l’allié des États-Unis, Israël, n’a pas échappé à de nombreux commentateurs. Ce sont les mêmes États-Unis qui ont fourni à Israël des bombes de 1 000 kilos à larguer sur l’enclave la plus peuplée de la planète.
Les États-Unis font maintenant pression sur Israël pour qu’un cessez-le-feu de six semaines commence avant le début du mois sacré du ramadan. Cet accord comprendrait la libération des otages israéliens par le Hamas en échange de la libération de certains des milliers de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Les États-Unis espèrent qu’un cessez-le-feu, même s’il ne dure que quelques semaines, leur donnerait le temps d’accomplir plusieurs choses.
Premièrement, ils travailleraient avec l’Égypte et le Qatar pour faciliter la libération des otages restants, faisant ainsi pression sur Netanyahou pour qu’il mette fin à son opération aventureuse à Gaza, qui a porté préjudice à Israël et a retourné l’opinion publique mondiale contre le pays comme jamais auparavant.
Deuxièmement, cela donnerait à Washington le temps d’influer sur la politique intérieure israélienne et de neutraliser Netanyahou en appuyant les appels à des élections anticipées qui l’écarteraient du pouvoir. Kamala Harris a rencontré lundi Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, qui s’est rendu à Washington contre l’avis de Netanyahou. Gantz, décrit comme un soldat de centre droit devenu homme politique, dépasse Netanyahou dans les sondages, et le battrait certainement si des élections avaient lieu aujourd’hui. Washington estime que Gantz a conscience des dégâts que Netanyahou a infligés aux liens d’Israël avec ses partenaires occidentaux, et qu’il chercherait un moyen de les rétablir.
Troisièmement, la Maison Blanche espère qu’un cessez-le-feu atténuera la pression exercée par les électeurs démocrates progressistes, dont les Américains arabes et musulmans, après que plus de 100 000 démocrates ont voté blanc («non engagé») lors des primaires du Michigan la semaine dernière, pour protester contre la position de Biden à Gaza.
Quatrièmement, l’administration Biden espère qu’un accord de cessez-le-feu apaisera les alliés arabes des États-Unis, qui ont exprimé leur frustration face à la politique de Biden à Gaza, et la pression populaire parmi leurs citoyens.
«Il faut regarder le verre à moitié plein et être conscient qu'il ne peut plus y avoir de retour à la situation antérieure au 7 octobre»
Osama Al-Sharif
Mais un cessez-le-feu, aussi vital soit-il, n’est pas suffisant pour mettre fin à la guerre contre Gaza. Plus de deux millions de Palestiniens à Gaza, et près de trois millions en Cisjordanie, ont un besoin impérieux d’une protection internationale. Un cessez-le-feu à Gaza pourrait échouer à tout moment, sous différents prétextes, et des deux côtés. Il faudra des années pour endiguer la catastrophe humanitaire à Gaza, mais elle doit être traitée de manière vigoureuse et soutenue. Toute interruption de la trêve aggraverait une situation déjà compliquée et jamais vue auparavant dans aucune partie du monde.
Alors qu’Israël et ses alliés affirmeront qu’aucune force internationale de maintien de la paix n’est nécessaire en Cisjordanie, il sera difficile de s’opposer à une telle idée à Gaza. Les États-Unis et le reste du monde ont rejeté toute idée de réoccupation de la bande de Gaza par Israël. L’Autorité palestinienne est trop faible et impopulaire pour prendre en charge l’administration d’une bande de Gaza dévastée. Seule une force internationale de maintien de la paix peut maintenir la paix, faciliter l’arrivée de l’aide humanitaire et aider à l’évacuation de milliers de blessés et de malades en phase terminale vers des hôpitaux étrangers. Une trêve durable est nécessaire pour reconstruire les installations indispensables comme les hôpitaux et les écoles.
Les forces de maintien de la paix de l’ONU et de l’Otan ont un bilan mitigé. Elles ont réussi dans certains conflits et ont échoué dans d’autres. Mais nous devons considérer le verre à moitié plein et être conscients qu’il ne peut plus y avoir de retour à la situation antérieure 7 octobre, pour les deux côtés.
Les États-Unis doivent donc montrer la voie, malgré leur triste bilan en matière de promotion de la solution à deux États, qui mettra une éternité à se concrétiser. Alors que les Palestiniens – et les Israéliens – attendent une solution juste et durable, la population de Gaza ne peut pas se payer ce luxe. Les Gazaouis ont besoin d’une aide immédiate ainsi qu’une protection. Des dizaines de milliers d’enfants orphelins ont besoin de secours immédiats, et chaque jour, des nouveau-nés manqueront des soins médicaux les plus élémentaires.
En cas de cessez-le-feu, Gaza aura besoin d’une aide massive, et probablement sans précédent. Et une fois qu’un tel apport d’aide sera lancé, il ne peut pas s’arrêter. Une trêve provisoire n’est pas la solution, alors que la présence permanente d’une force de maintien de la paix l’est. Le monde, qui a abandonné les Palestiniens pendant si longtemps, doit bien ça aux enfants de Gaza.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
X: @plato010
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com