Si l’islamophobie en Grande-Bretagne est un phénomène séculaire qui a pris de l’ampleur après les attentats du 11-Septembre et du 7 juillet, les deux dernières semaines ont été marquées par un véritable tsunami de propos antimusulmans. Le plus alarmant, c’est qu’une grande partie de ces propos ont été tenus par certaines des personnalités politiques les plus importantes du pays.
Cette vague de haine s’est particulièrement intensifiée après le débat de la Chambre des communes sur une motion demandant un cessez-le-feu immédiat à Gaza le 21 février. Selon des informations, certains membres du Parlement auraient été menacés, une accusation grave étant donné que deux députés ont été tués en public depuis 2016. Les détails ne sont pas clairs, qu’il s’agisse des personnes ayant proféré ces menaces ou de l’ampleur de ces dernières. Ce que nous savons, c’est que, par la suite, toute une série de propos ont émané de personnalités de l’extrême droite du Parti conservateur.
Celle qui a mis le feu aux poudres est l’ancienne secrétaire d’État à l’Intérieur, Suella Braverman. En octobre, elle avait qualifié les manifestations propalestiniennes de «marches de la haine» mais n’avait pas été démise de ses fonctions pour ce discours incendiaire. Cette fois, Mme Braverman a déclaré que «les islamistes sont désormais aux commandes de la Grande-Bretagne (...). Ils ont contraint notre pays à la soumission». Non, le Premier ministre Rishi Sunak ne s’est pas converti à l’islam et n’a pas rejoint Al-Qaïda. L’idée est absurde, mais l’utilisation par Mme Braverman d’un langage d’extrême droite et de théories du complot n’est pas nouvelle; elle avait déjà qualifié l’arrivée des réfugiés d’«invasion». Elle avait aussi affirmé que 100 millions de personnes dans le monde étaient éligibles à l’asile au Royaume-Uni. «Soyons clairs: ils viennent ici», avait-t-elle dit.
Elle n'a pas été blâmée ni expulsée du Parti conservateur. Cela rappelle l’époque où Boris Johnson avait déclaré que les femmes musulmanes portant une burqa «ressemblaient à des boîtes aux lettres». Cet accès de rhétorique antimusulmane ne lui a pas porté préjudice et il est devenu Premier ministre. Mme Braverman a l’ambition de suivre son exemple.
«Le Premier ministre et ses collègues ont refusé de désigner comme un crime la raison pour laquelle M. Anderson avait été démis de ses fonctions de whip»
Chris Doyle
L’ancienne Première ministre Liz Truss a elle aussi échappé à la suspension. Elle a effectué une tournée aux États-Unis le mois dernier et a partagé une tribune avec Steve Bannon. Ce dernier a fait l’éloge du raciste britannique d’extrême droite et de l’islamophobe extrémiste Tommy Robinson, qu’il a qualifié de «héros». Mme Truss est restée silencieuse. Un autre député conservateur a remis sur le tapis la question ancestrale des «zones interdites», affirmant que certains quartiers de Londres et de Birmingham étaient interdits aux non-musulmans. Il s’est rétracté, mais aucune mesure n’a été prise.
Parmi les personnalités politiques suspendues du Parti conservateur figure Lee Anderson, un député qui, jusqu’à la mi-janvier, occupait le poste de vice-président du parti. Dans une interview accordée à GB News, une chaîne de télévision de droite, M. Anderson a parlé de Sadiq Khan, le premier maire musulman de Londres, disant: «Il a donné notre capitale à ses amis. Je ne crois pas vraiment que les islamistes aient pris le contrôle de notre pays, mais ce que je crois, c’est qu’ils ont pris le contrôle de M. Khan et qu’ils ont pris le contrôle de Londres.» Les allégations de prise de contrôle par les musulmans sont similaires aux rengaines racistes de prise de contrôle par les juifs, et elles doivent toutes deux être réprimées.
Cependant, ce qui est bien plus inquiétant, c’est la manière dont Rishi Sunak et ses ministres ont tenté d’ignorer les propos de M. Anderson. Le Premier ministre et ses collègues ont refusé de désigner comme un crime la raison pour laquelle M. Anderson avait été démis de ses fonctions de whip. Il était pénible d’écouter les interviews interminables dans lesquelles les ministres se contentaient de dire que M. Anderson avait tort, mais refusaient de dire, lorsqu’on les interrogeait, que ses propos étaient islamophobes.
Le vice-Premier ministre, Oliver Dowden, a affirmé que le problème était que ces propos auraient pu donner l’impression d’être islamophobes. Susan Hall, candidate conservatrice à l’élection du maire de Londres en mai, n’a rien dit. De nombreux députés conservateurs estiment que M. Anderson devrait être autorisé à réintégrer le parti.
Bien que le Parti conservateur fustige la gauche à chaque occasion pour le moindre soupçon d’antisémitisme, il n’a jamais abordé l’islamophobie qui sévit dans ses propres rangs. Cela s’explique en partie par le fait que toute enquête crédible devrait mettre en lumière les propos tenus par certaines des personnalités les plus haut placées du parti. Toutefois, cela montre aussi à quel point Rishi Sunak est faible car, politiquement, il ne peut pas s’attaquer au problème au sein de son propre parti.
Une enquête menée auprès des membres du Parti conservateur et publiée la semaine dernière révèle que 52% d’entre eux pensaient que certaines parties des villes européennes étaient soumises à la charia et constituaient des zones interdites aux non-musulmans. Par ailleurs, 58% des membres du parti estiment que l’islam est une menace pour le mode de vie britannique. Le chiffre national est assez alarmant, puisqu’il s’élève à 30%.
«L’islamophobie est probablement l’une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement britannique n’a pas dénoncé les atrocités commises par Israël à Gaza»
Chris Doyle
L’islamophobie sévit également dans la plupart des médias de droite. Voici deux exemples récents parmi tant d’autres. Guido Fawkes, nom de plume d’un important blogueur de droite, a écrit que le «Parti travailliste a choisi de rechercher le soutien non sophistiqué des musulmans pour des raisons numériques au détriment du soutien sophistiqué des juifs». Trevor Kavanagh, l’un des principaux chroniqueurs politiques du journal de droite The Sun, s'est montré tout aussi bigot lorsqu’il a déclaré à la télévision: «Par définition, être musulman, c’est être antijuif.»
L’actionnaire principal du journal de droite GB News a, quant à lui, été accusé d’avoir publié et rediffusé des propos islamophobes et des théories du complot, ce qu’il nie catégoriquement. Tout cela s’inscrit dans un contexte de montée de l’islamophobie. Les signalements de haine antimusulmane ont augmenté de 335% depuis le 7 octobre.
Depuis les attaques du 7 octobre en Israël, le discours dominant, notamment parmi ceux qui tentent de faire l’apologie des atrocités commises ensuite par Israël à Gaza, est qu’il y a également eu une montée de l’antisémitisme, que les manifestations à Londres et ailleurs sont des marches de la haine et que les juifs sont terrifiés à l’idée de se promener dans les rues. Les incidents antisémites ont connu une hausse importante de 589%. C’est vraiment alarmant.
Pourtant, en ce qui concerne l’antisémitisme, le gouvernement et le Parti travailliste ont pris les mesures nécessaires. Ils ont fait d’innombrables déclarations, augmenté le financement et tout fait pour tenter de rassurer la communauté juive britannique. Dans l’ensemble, l’antisémitisme est traité avec le sérieux qu’il mérite.
Cela contraste avec la réaction à l’islamophobie. Celle-ci est rarement dénoncée. Le gouvernement la mentionne à peine et, contrairement au cas de l’antisémitisme, consacre très peu de temps parlementaire à cette question. Il refuse même d’accepter une définition formelle, comme il l’a fait pour l’antisémitisme.
Ce qui est peut-être le plus alarmant, c’est que l’islamophobie, qui est également liée à son frère jumeau, le racisme anti-arabe, est probablement l’une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement britannique n’a pas dénoncé les atrocités commises par Israël à Gaza. Elle cherche à attiser les divisions entre les communautés et à mener des guerres culturelles. Les conservateurs savent depuis longtemps qu’ils peuvent tirer profit de cette approche sur le plan électoral.
Tout cela fait sonner creux le discours de M. Sunak prononcé vendredi, lorsqu’il a appelé à une répression de l’extrémisme. Il tente d’imputer la responsabilité de ce climat aux manifestations très majoritairement pacifiques contre le possible génocide israélien à Gaza, mais refuse ou est incapable de réprimer l’extrémisme au sein du parti qu’il dirige.
Il refuse de reconnaître que la politique horrible de son gouvernement à l’égard de Gaza exacerbe les tensions. La diabolisation injuste des musulmans ne peut et ne doit pas se poursuivre. Si l’on ne parvient pas à remédier à ce problème, les attaques antimusulmanes continueront de se multiplier, ce qui aura de profondes répercussions à long terme.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres.
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com