En cas de doute, provoquez une escalade. Cela pourrait être la devise du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, depuis le 7 octobre. Voilà un homme pour qui «une victoire totale» équivaut à une destruction totale, et pour qui la paix peut signifier la prison. Bibi est au courant des sondages. Il sait que les couteaux sont aiguisés et prêts à être tirés, et que les ides de mars approchent à grands pas pour ce César israélien.
En attendant l’heure de vérité, où tout le monde s’attend à ce qu’il soit expulsé sans ménagement de sa résidence de Balfour Street, Netanyahou estime qu’il n’a pas d’autre choix que de s’engager à fond. Il est probable qu’il n’hésitera pas à ordonner une invasion à grande échelle de Rafah dans les prochains jours. Il est prêt à risquer les relations d’Israël avec les États-Unis, avec ses partenaires régionaux, voire avec la sécurité du pays à cette fin. En cela, il ne faut pas oublier qu’il bénéficie du soutien de nombreux hommes politiques israéliens des partis traditionnels, et notamment son probable successeur, Benny Gantz. Un grand nombre d’Israéliens, dont de nombreuses familles des cent trente-quatre otages restants, pensent que Netanyahou les a sacrifiés pour sa propre survie politique.
Si l’analyse ci-dessus est dans son ensemble exacte, Netanyahou se trouvera face à un énorme problème lorsqu’une certaine forme de calme s’installera sur ce qui reste de Gaza. Lorsque Rafah sera rasée et que le pourcentage de bâtiments détruits et endommagés à Gaza se situera sans aucun doute autour de 80%, par rapport aux 60 % actuels, les opérations israéliennes de grande envergure seront inévitablement réduites. Même pour Netanyahou, larguer des bombes coûteuses sur des ruines n’a pas de sens.
Il faut partir du principe que le gouvernement israélien ne souhaite pas une escalade au niveau de son conflit de moyenne intensité avec le Hezbollah. Les risques pour tous sont tout simplement trop élevés et trop graves.
Reste la Cisjordanie, y compris Jérusalem. Ici, Netanyahou peut obtenir le plein soutien de la part de sa coalition et du mouvement des colons, toujours plus puissant, pour une offensive majeure, au-delà du niveau mitigé actuel.
«Même pour tous ceux en Israël qui ont poussé à la recolonisation de la bande de Gaza, la Cisjordanie reste incontestablement le gros lot.»
- Chris Doyle
Il ne faut pas oublier que, même pour tous ceux qui, en Israël, ont poussé à la recolonisation de la bande de Gaza, la Cisjordanie reste incontestablement le gros lot. Les colons se sont efforcés de chasser les Palestiniens de leurs terres dans la zone C, qui représente environ 62% de la Cisjordanie – un autre processus de nettoyage ethnique, parallèlement au processus de masse à Gaza. Comme l’a rapporté le groupe israélien Peace Now, 2023 a été, «pour les mesures de colonisation, probablement la meilleure année depuis les accords d’Oslo», avec un nombre record de construction d’unités d’habitation. Quelque 26 nouvelles implantations ont été créées, et 21 communautés palestiniennes ont été contraintes de quitter leurs foyers.
Mais s’il devait y avoir une opération militaire israélienne majeure semblable à l’opération Bouclier défensif de 2002, les colons s’attendraient à un pillage territorial bien plus important. Diverses zones seraient alors dans leur ligne de mire. Dans les collines du sud d'Hébron, les colons considèrent qu’il y a un travail à accomplir. L’est de Ramallah a également été une zone cible. Dans la vallée du Jourdain, vingt familles palestiniennes avaient été expulsées de leurs terres à la mi-décembre de l'année dernière. Les soldats israéliens ont refusé aux Palestiniens l’accès à l’eau comme autre moyen de les forcer à quitter leurs terres.
Des milliers de colons ont été armés, dotés d’uniformes militaires et intégrés dans des bataillons de «défense régionale». Un grand nombre de ces colons ont un historique de violence contre les Palestiniens.
Une fois qu’une zone est «stérilisée» – terme officiel qui signifie qu’elle est exempte de Palestiniens –, les colons établiront une série de nouvelles implantations pour officialiser le vol de terres.
Les Palestiniens de Cisjordanie ont déjà été concernés. Les forces armées israéliennes ont ciblé une grande partie du Nord, notamment en envahissant les camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Naplouse.
Depuis le 7 octobre, l’économie palestinienne en Cisjordanie est mise à rude épreuve par les autorités israéliennes. Les Palestiniens n’ont pas pu travailler en Israël ou dans les colonies. Les restrictions draconiennes sur les déplacements ont également contribué à paralyser l’activité économique. En octobre dernier, la moitié des agriculteurs palestiniens n’ont pas pu récolter leurs olives en raison des contraintes israéliennes, selon les estimations de l’Union des agriculteurs palestiniens. Les mesures israéliennes ont notamment consisté à bloquer les entrées de nombreux villages palestiniens, appauvrissant ainsi des centaines de milliers de Palestiniens. Il s’agit de la série de bouclages la plus intense et la plus dévastatrice depuis le moment le plus fort de la Seconde Intifada. Tout cela est aggravé par le fait qu’Israël conserve les recettes douanières palestiniennes.
«Netanyahou se tournera vers les colons extrémistes, qui savent très bien comment provoquer leurs voisins palestiniens.»
- Chris Doyle
Comment tout cela va-t-il se déclencher? L’option «par voie express» pour Netanyahou est Jérusalem. C’est la manière déjà utilisée pour mettre le feu à la Cisjordanie. Le ramadan approche. Les tensions dans la Vieille Ville vont augmenter, comme toujours. C’est peut-être le moment pour Netanyahou de fomenter une explosion. Il l’a déjà fait. D’une certaine manière, ce serait l’inverse de 2014, lorsque Jérusalem est devenue incontrôlable et que Netanyahou s’est tourné vers l’invasion de Gaza. Cette fois, la destruction de Jérusalem pourrait suivre celle de Gaza.
Le noyau radioactif de ce projet sera Al-Aqsa. Toute mesure ou même toute rumeur de mesure qui vise à modifier son statu quo conduit généralement à une réaction palestinienne. Netanyahou se tournera vers les colons extrémistes, qui savent très bien comment provoquer leurs voisins palestiniens.
L’autre vieille ville qui pourrait être embrasée est Hébron. C’est là que vivent certains des colons extrémistes les plus violents, les frères idéologiques du ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir. Ils y voient également une opportunité d’expulser les Palestiniens du centre de cette ancienne ville palestinienne.
Ben-Gvir voit là une opportunité de semer la discorde. «Nous ne devrions pas permettre aux résidents de l’Autorité palestinienne d’entrer en Israël de quelque manière que ce soit» pendant le ramadan, a-t-il affirmé. «Nous ne pouvons pas prendre de risques. […] Il est impossible que des femmes et des enfants soient otages à Gaza et que nous permettions les célébrations de la victoire du Hamas sur le mont du Temple.» Les médias israéliens laissent entendre que Netanyahou est d’accord avec lui.
Des centaines de milliers de Palestiniens pratiquent leur culte à Al-Aqsa pendant le ramadan. Ces dernières années, ce mois a été particulièrement tendu.
Tout cela est extrêmement dangereux, y compris pour Israël. Embraser la Cisjordanie et porter atteinte à Al-Aqsa pourrait faire basculer la région entière vers un niveau encore plus élevé du conflit. Comment le Hezbollah va-t-il réagir, sans parler des autres groupes?
Quelqu’un ou quelque chose peut-il empêcher Netanyahou de plonger la région dans ce périlleux tourbillon? La réponse est oui, mais les signes qui indiquent que cela se produira sont minces. Ses opposants israéliens ne l’ont pas écarté. Le président Joe Biden dispose à ce sujet de tous les moyens et de tous les leviers. La question réside dans sa motivation et sa volonté. Jusqu’à présent, les deux ont été jugées insuffisantes. Ne soyez donc pas surpris lorsque le carnage se déplacera de Gaza vers la Cisjordanie. Netanyahou a besoin d’une guerre éternelle et il sait comment y parvenir.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres.
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com