L’intensification du conflit régional est alimentée par une guerre des mots qui fait rage alors que les dirigeants extrémistes israéliens continuent d’attiser les tensions avec le Liban. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, s’est engagé à renforcer les opérations contre le Hezbollah, avertissant qu’Israël pourrait attaquer jusqu’à 50 kilomètres à l’intérieur du territoire libanais, jusqu’à «Beyrouth et au-delà».
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, répond en menaçant que les «missiles de précision» du Hezbollah pourraient cibler n’importe quelle région, de Kiryat Shmona au nord d’Israël à Eilat au sud. M. Nasrallah affirme par ailleurs que «l’ennemi paiera le prix du sang versé de son propre sang», s’engageant à «intensifier les activités de résistance sur le front».
Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, la semaine dernière, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a prévenu qu’en l’absence de solution diplomatique, Israël serait contraint d’agir pour déloger le Hezbollah de la frontière afin de permettre à soixante-dix mille Israéliens déplacés de rentrer chez eux. «Dans ce cas, le Liban paiera également un lourd tribut», précise-t-il. Il a omis de mentionner que près de cent mille Libanais ont également été déplacés par le conflit, un nombre qui augmentera en cas d’invasion israélienne totale. L’économie libanaise, déjà en faillite, a subi des dégâts supplémentaires estimés à 1,6 milliard de dollars (1 dollar = 0,93 euro).
Un sondage publié dans la presse révèle que 71% des Israéliens souhaitent une opération militaire majeure contre le Liban. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui a signé l’arrêt de mort de son gouvernement, pourrait avoir du mal à résister à de telles pressions – une voie illusoire pour redorer son blason –, même si cela s’avérait particulièrement destructeur pour les deux parties, compte tenu des énormes arsenaux de missiles du Hezbollah et l’accès d’Israël à l’armement américain illimité.
«Le carnage à Gaza a suscité la colère mondiale, mais la perspective d’une guerre au Liban serait totalement différente.»
Baria Alamuddin
L’évolution rapide de cette escalade illustre à quel point de tels cycles de représailles peuvent s’autoalimenter: Israël a mené des frappes, ces derniers jours, contre Nabatiyé et Al-Sawana, faisant de nombreuses victimes civiles et le Hezbollah a riposté en tirant des dizaines de roquettes sur le nord d’Israël. Plus de cent soixante-dix combattants du Hezbollah figurent parmi les deux cents Libanais tués à ce jour.
Cette trajectoire est renforcée par les frappes aériennes impitoyables d’Israël contre les mandataires de l’Iran en Syrie. On cite notamment l’assassinat des principaux dirigeants de la Garde républicaine. Les paramilitaires alliés au Hezbollah ont renforcé leur présence dans le sud-ouest de la Syrie dans le but de s’assurer qu’Israël combattrait sur un front nord élargi dans l'éventualité d'une véritable explosion du conflit.
Selon les faucons israéliens, la chaîne de mandataires iraniens reliant Beyrouth, Damas, Bagdad et Sanaa oblige Israël à porter un coup à cette «résistance» unie avant qu’elle ne devienne prépondérante. En effet, la guerre directe entre Israël et Téhéran semble avoir déjà commencé, avec une série de sabotages dévastateurs contre les infrastructures gazières à travers l’Iran. Israël avait, dans le passé, eu recours à de telles tactiques contre les sites militaires et nucléaires iraniens.
Immédiatement après le 7 octobre, seule une vigoureuse intervention diplomatique américaine a dissuadé M. Netanyahou, assoiffé de vengeance, de porter un coup immédiat et massif au Hezbollah. Avec la récente détérioration des relations entre le Premier ministre et le président américain, Joe Biden, la capacité et la volonté des États-Unis à modérer la politique militaire israélienne sont plus réduites. Bien qu’ils soient censés œuvrer à mettre fin au conflit, les États-Unis se préparent à envoyer de grandes quantités d’armes supplémentaires à Israël.
Les initiatives française et américaine pour désamorcer la crise reposent sur la mise en œuvre de la résolution 1 701 du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU), soit le retrait du Hezbollah derrière le fleuve Litani. C’est une perspective peu probable dans les circonstances actuelles, à moins que le Hezbollah n’obtienne des concessions politiques, ce qui déstabiliserait le Liban. Une intervention militaire d’Israël pour imposer le retrait du Hezbollah entraînerait un bain de sang.
«La sagesse consiste à s’écarter de cette voie de collision et à mettre la vie des citoyens au premier plan.»
Baria Alamuddin
Le carnage à Gaza a suscité la colère mondiale, mais la perspective d’une guerre au Liban serait totalement différente: d’abord, parce qu’elle impliquerait davantage les États-Unis ainsi que les pays occidentaux et arabes dans le conflit, mais aussi en raison de la vaste diaspora libanaise mondiale, qui compte des personnalités très influentes. Les citoyens libanais du sud rural, à majorité chiite, sont particulièrement fiers de construire et d’établir leurs maisons et, à l’instar des destructions massives de 2006, les bombardements de ces dernières semaines ont été particulièrement traumatisants. De la même façon, les perturbations massives de l’agriculture dues aux bombardements, aux bombes au phosphore et aux armes à sous-munitions, ainsi que le déplacement des travailleurs, ont fait des ravages. Les citoyens qui ont déjà tant perdu craignent que le pire soit encore à venir.
Alors que Benjamin Netanyahou fonde ses choix politiques sur des stratégies pour rester au pouvoir, M. Biden fonde sa politique à Gaza sur des exigences de réélection. Hassan Nasrallah, quant à lui, cherche à égaler le langage belliqueux d’Israël coup pour coup et le président russe, Vladimir Poutine, perpétue son propre conflit afin d’éviter de perdre la face. La politique internationale est désormais un mélange de règlements de comptes, de démonstrations de force et de propos belliqueux. Le Liban, Israël, Gaza et la région dans son ensemble risquent une destruction totale en raison du refus de ces hommes forts d’abdiquer, sans se soucier des millions de civils pris entre deux feux.
M. Netanyahou n’a jamais cherché à dissimuler son objectif ultime: celui de faire échouer la solution à deux États. La conflagration actuelle, le désarroi international, l’échec des institutions mondiales et un consensus vengeur au sein d’Israël en faveur de solutions maximalistes illusoires lui offrent l’occasion idéale de détruire définitivement les rêves des Palestiniens d’établir leur État.
Personne n’est convaincu que M. Nasrallah veuille la guerre, mais il a trop souvent été prisonnier de ses propres discours provocateurs et du programme de ses commanditaires iraniens. S’adressant au public libanais la semaine dernière, Hassan Nasrallah a déclaré: «Nous sommes face à deux options: la résistance ou la capitulation. La résistance est moins coûteuse et le prix de la capitulation est très élevé.» M. Nasrallah aurait-il oublié comment Israël avait anéanti le sud du Liban en 2006? Ce souvenir n’a-t-il pas été ravivé par le génocide à Gaza?
Alors que le régime d’extrême droite israélien est prêt à tout pour détruire le Liban et les aspirations à une nation palestinienne, dispersant les citoyens arabes aux quatre vents, les provocations mutuelles des deux côtés ressemblent à deux voitures de course fonçant l’une vers l’autre. La sagesse consiste à s’écarter de cette voie de collision et à mettre la vie des citoyens au premier plan. La seule façon d’empêcher la régionalisation du conflit est de mettre un terme immédiat aux massacres à Gaza.
Nous nous tenons tous aux côtés du peuple de Gaza, mais permettre que la précieuse nation libanaise soit complètement détruite comme dommage collatéral dans cette bataille infernale des egos ne ferait pas avancer d’un iota la cause palestinienne.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com