L’arrêt rendu la semaine dernière par la Cour internationale de justice (CIJ), selon lequel Israël doit répondre d’accusations de génocide à l’encontre du peuple palestinien, a été un motif de réjouissance, car il réaffirme la primauté du droit international et du système mondial centré sur les Nations unies, après que des décennies de négligence et de sabotage délibéré ont permis aux crimes contre l’humanité de devenir la nouvelle norme mondiale.
En novembre dernier, le président américain, Joe Biden, a salué la Cour comme «l’une des institutions les plus importantes de l’humanité pour faire progresser la paix dans le monde». Bien que Joe Biden regrette peut-être aujourd’hui cet éloge, la Cour est en effet l’un des rares remparts précaires dont nous disposons contre les lois sauvages de la jungle et les campagnes génocidaires contre les Ouïghours en Chine, les Rohingyas au Myanmar, les Syriens, les Ukrainiens, les minorités indiennes et les communautés du Darfour.
Le calme et la précision avec lesquels la présidente du tribunal, Joan Donoghue, avocate et juriste américaine, a rendu son jugement ont été particulièrement impressionnants. «Toute une génération d’enfants de Gaza est traumatisée. Leur avenir est en danger», a-t-elle prévenu.
Bien que l’arrêt n’ait pas exigé explicitement un cessez-le-feu, la Cour a spécifiquement ordonné à Israël de prendre «toutes les mesures en son pouvoir» pour empêcher le génocide des Palestiniens et pour permettre à l’aide humanitaire d’entrer davantage dans la bande de Gaza. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a déclaré qu’il ne se laisserait pas limiter par cette décision et a rétorqué: «Nous agirons comme il le faut pour notre propre sécurité.» Néanmoins, un Israël châtié doit soumettre un rapport dans un mois confirmant la manière dont il met en œuvre les ordres de la Cour. Le jugement a également interpellé à juste titre le Hamas pour son attaque sanglante du 7 octobre et lui a ordonné de libérer les quelque 130 otages israéliens qu’il détient toujours.
Avec des juges nommés par des pays tels que les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Australie et le Japon, on ne peut pas dire que la Cour soit défavorable à Israël, même si le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, estime que la décision est «totalement injustifiée». Des États membres comme la Russie, l’Inde et la Chine, dont le bilan en matière de droits de l’homme est problématique, ne peuvent guère être accusés de nommer des activistes. Même le juge israélien Aharon Barak a voté en faveur de deux des six ordonnances de la Cour.
Ces décisions ont ouvert une brèche importante et irréparable dans l’aura d’impunité dont jouit Israël depuis toujours, comme en témoigne la réaction furieuse de M. Netanyahou, qui a indiqué qu’il s’agissait d’une «honte qui ne disparaîtra pas avant plusieurs générations». Jamais des mots plus justes n’ont été prononcés à propos du carnage de Gaza.
Les donateurs et les défenseurs internationaux d’Israël hésiteront naturellement à accepter d’être accusés de complicité de génocide, d’autant plus qu’il faudra plusieurs années à la Cour pour rendre un jugement définitif. L’UE a exigé une mise en œuvre «complète et immédiate» de l’arrêt. Les pays doivent tenir compte des risques juridiques auxquels ils s’exposent s’ils vendent des armes à Israël. En outre, si Israël refuse de se conformer à cette décision, il risque de perdre son droit de vote et son statut de membre d’organismes internationaux. L’arrêt contribue également à donner une impulsion aux initiatives mondiales de boycott d’Israël.
Avec 30 000 employés, l’Unrwa est la plus grande agence de l’ONU et l’une des plus anciennes. Environ 152 membres du personnel de l’ONU ont déjà été tués à Gaza. Quelle que soit la nature des dernières allégations formulées à l’encontre d’un petit nombre de membres du personnel, la suspension des dons par de nombreux États à ce moment crucial est cruelle et irréfléchie, et constitue un châtiment collectif au même titre que les représailles exercées par Israël à la suite de l’attentat du 7 octobre.
«Israël déteste peut-être que le mot en G soit utilisé pour décrire ses actions, mais le génocide et le nettoyage ethnique sont inscrits dans l’éthique de la campagne brutale contre Gaza.»
Baria Alamuddin
Il est difficile de ne pas considérer cela comme un nouveau volet des efforts déployés par Israël pour affamer et anéantir la population de Gaza, tout en cherchant à discréditer l’ONU. Comme l’a déclaré son secrétaire général Antonio Guterres: «Les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui travaillent pour l’Unrwa, souvent dans des situations extrêmement dangereuses pour les travailleurs humanitaires, ne doivent pas être pénalisés.»
Israël déteste peut-être que le mot en G soit utilisé pour décrire ses actions, mais le génocide et le nettoyage ethnique sont inscrits dans l’éthique de la campagne brutale contre Gaza. Comme le souligne Karen Attiah, journaliste au Washington Post, le rejet catégorique de la souveraineté palestinienne par M. Netanyahou implique soit la domination, soit l’élimination du peuple palestinien: «Soit l’apartheid, soit le nettoyage ethnique. Comment ces mots peuvent-ils être compris autrement?»
De nombreux responsables israéliens ont catégoriquement affirmé qu’ils ne permettraient jamais aux civils de Gaza de retourner chez eux, ou qu’ils les éradiqueraient complètement. M. Netanyahou a accrédité ces appels en se montrant réticent à clarifier publiquement sa vision de la fin de la guerre à Gaza et en citant lui-même les injonctions bibliques qui commandent: «Sois sans pitié, tue hommes et femmes, enfants et nourrissons.» Ces déclarations manifestement génocidaires ont persuadé la Cour de mentionner spécifiquement l’«incitation» dans son jugement provisoire.
Les partisans d’Israël, indignés, ont rétorqué que l’arrêt de la Cour était particulièrement offensant à l’encontre du pays, qui a été forgé sur les cendres du pire génocide de l’histoire de l’humanité. Ce dernier point n’est pas contesté. Cependant, le génocide historique réel contre les Juifs n’autorise en aucun cas les dirigeants d’Israël à se lancer dans leurs propres actes génocidaires. Ces faits historiques ne peuvent pas non plus être utilisés comme un instrument brutal pour matraquer ceux qui demandent à Israël de rendre des comptes. L’holocauste nazi est une raison irréfutable pour laquelle le monde dispose de lois aussi solides — bien que peu appliquées — sur les droits de l’homme et les crimes de guerre.
À la suite des atrocités commises par le Hamas, la campagne de vengeance et d’anéantissement d’Israël a été si brutale que plus de 30 000 Palestiniens, pour la plupart des civils, sont déjà sans doute morts, y compris ceux qui ont disparu sous les décombres. Dans sa course à la vengeance collective contre les Palestiniens, Israël a bouclé la boucle au point d’être presque universellement considéré, à l’instar du Hamas, comme le criminel et non comme la victime. Comme l’a dit un analyste: «Ce ne sont pas les Palestiniens seuls qui doivent être sauvés d’Israël. Israël doit être sauvé de lui-même.»
L’urgence avec laquelle les États-Unis ont relancé les négociations en coulisses en vue de la libération des otages et d’un cessez-le-feu à plus long terme montre à quel point l’arrêt de la Cour a reconfiguré le statu quo à Gaza.
Cette décision de justice devrait constituer une première étape vers la réhabilitation complète des mécanismes de justice internationale et de résolution des conflits qui font l’objet de graves abus. Il s’agit d’un exemple qui montre comment, lorsque la justice internationale s’exprime, le monde est contraint de réagir de manière décisive.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com