D’habitude, lorsqu’un président est élu ou un Premier ministre nommé, il y a toujours un état de grâce qui l’attend, de quelques jours ou de quelques semaines où l’heureux élu marche sur des nuages, bénéficie d’une incommensurable empathie. Pour Gabriel Attal, ce temps fut court, juste assez pour s’extasier sur son jeune âge et son mimétisme atavique avec Emmanuel Macron.
Dès le début de son mandat à Matignon, M. Attal doit gérer une des crises sociales les plus dangereuses du second quinquennat, qui pourrait largement dépasser dans son intensité les protestations contre la réforme du régime des retraites ou les haut-le-cœur contre la nouvelle loi sur l’immigration largement censurée par le Conseil constitutionnel. Cette crise qu’affronte Gabriel Attal est celle des agriculteurs français qui menacent de transformer leurs protestations en mouvement des Gilets verts avec davantage de détermination et des risques de blocages.
Cette crise agricole constitue une mise à l'épreuve significative pour un jeune Premier ministre tel que M. Attal. Bien qu'il excelle dans l’exercice de la communication, qu’il bénéficie d'une expertise reconnue dans l'art de la déclamation et qu’il fasse preuve d'un volontarisme inébranlable, ses solutions préconisées présentent des limites. Pour les détracteurs de Gabriel Attal et, par extension, d’Emmanuel Macron, les solutions à cette crise ne se trouvent ni au palais de l’Élysée ni à Matignon, mais bien à Bruxelles, siège de l’Union européenne (UE). De plus, les exigences des secteurs agricoles durement touchés par la crise entrent en collision directe avec les choix et les convictions écologiques affichés par le gouvernement.
La mission urgente de M. Attal est d’empêcher la naissance d’un mouvement des Gilets verts qui, dans un contexte politique hautement sensible, pourrait se radicaliser et bloquer la société ainsi que l’économie française. Une mission herculéenne qui se rajoute à d’autres complications du moment. Parmi ces dernières, on trouve la spectaculaire censure infligée par le Conseil constitutionnel à la nouvelle loi sur l’immigration votée dans la douleur au Parlement.
Pour la gouvernance de Gabriel Attal, cette censure est à double tranchant. D'un côté, elle permet d'effacer efficacement les accusations selon lesquelles le gouvernement et M. Macron auraient cédé aux influences de l'extrême droite, évitant ainsi un affaiblissement durable de l'aile gauche de la majorité présidentielle. De l’autre côté, elle incite la droite républicaine, à l’origine des articles censurés, à adopter une attitude de défiance à l’égard du gouvernement, excluant ainsi toute possibilité de rapprochement politique. En réaction à cette censure, la droite républicaine a demandé une réforme de la Constitution pour neutraliser la menace d'inconstitutionnalité pesant sur cette loi.
Pour l'extrême droite, qui considère le vote de cette loi sur l'immigration par le Parlement comme une victoire, la censure du Conseil constitutionnel pourrait être exploitée comme un levier électoral supplémentaire pour mobiliser davantage en vue des deux prochaines échéances électorales, soit les élections européennes en juin prochain et l'élection présidentielle en 2027.
M. Attal est actuellement confronté à des défis majeurs à plusieurs niveaux. Son discours de politique générale, prévu pour le 30 janvier, sera examiné sous différents angles. Tout d’abord, il sera scruté afin d'évaluer ce qui le distingue fondamentalement des annonces déjà faites par le président, Emmanuel Macron. Ensuite, il sera analysé pour identifier l’empreinte de ce nouveau Premier ministre susceptible de transformer l’empathie politique dont il bénéficie aujourd’hui en alliances potentielles pour élargir la majorité présidentielle et éviter aux Français et à la représentation nationale le supplice chinois du fameux article 49.3 de la Constitution qui tue le débat parlementaire et prive les députés de leur droit de vote.
Gabriel Attal est à la fois Premier ministre, chef de la majorité et leader de campagne pour les élections européennes. Il doit se démultiplier pour remplir ces fonctions et sa mission, sous le parrainage du président, est d’élaborer un programme de gouvernement qui pourrait lui garantir un succès dans ces trois rôles. Cette séquence politique est à la fois stimulante pour un jeune Premier ministre ayant tout à prouver, mais également risquée si le prochain test électoral européen n’apporte pas les résultats escomptés.
Le mandat de M. Attal, comparé à celui récemment occupé par Élisabeth Borne, a débuté sur les chapeaux de roue avec une exigence de résultats immédiats sous peine d’inévitables sanctions. Le couperet des élections européennes pourrait être pour Gabriel Attal un glaive qui coupe tout élan ou au contraire une rampe de lancement qui autorise toutes les ambitions.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.