Tout le monde serait perdant dans la conflagration régionale qui s'annonce

Un char israélien bombardant le sud du Liban, depuis une position en Haute Galilée, dans le nord d’Israël, le 4 janvier 2024 (Photo, AFP).
Un char israélien bombardant le sud du Liban, depuis une position en Haute Galilée, dans le nord d’Israël, le 4 janvier 2024 (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 11 janvier 2024

Tout le monde serait perdant dans la conflagration régionale qui s'annonce

Tout le monde serait perdant dans la conflagration régionale qui s'annonce
  • Des dirigeants israéliens préconisent une confrontation décisive avec le Hezbollah, qui entraînerait les États-Unis et leurs alliés dans un conflit élargi
  • L’assassinat de Saleh al-Arouri pourrait rétrospectivement être considéré comme le moment où la provocation a franchi le point de non-retour

La situation à la frontière sud du Liban donne déjà l’impression qu’une guerre brûlante, avec une escalade rapide de tirs de missiles des deux côtés. Ces affrontements ont causé la mort de dizaines de civils libanais et de plus de 140 membres du Hezbollah. Les positions de l'armée libanaise ont été touchées à plusieurs reprises.

Près de 75 000 personnes ont été déplacées, les écoles ont été fermées, et une grande partie du sud du pays ressemble de plus en plus à une zone militaire fermée. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que les derniers échanges visaient à «renforcer un équilibre dissuasif», mais qu’il ne pouvait y avoir d’équilibre dans un conflit ouvert – rien que d’innombrables victimes et des cycles de vengeance croissants.

Plus qu’à tout autre moment depuis le début de ce conflit, le dernier discours de Nasrallah a été ponctué de propos belliqueux sur cette guerre. Il a parlé haut et fort de «l’opportunité historique» de libérer les terres occupées par Israël. «La guerre actuelle ne concerne pas seulement la Palestine, mais aussi le Liban et son Sud, en particulier la région située au sud du fleuve Litani», a-t-il affirmé.

Certains dirigeants israéliens préconisent une confrontation décisive avec le Hezbollah, depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre – au grand dam de l'administration américaine, qui a utilisé tout son pouvoir diplomatique pour parer à une telle éventualité, qui entraînerait les États-Unis et leurs alliés dans un conflit élargi contre la multitude de groupes paramilitaires iraniens, à l'échelle régionale. Des centaines de milliers de militants syriens et irakiens se joindraient ainsi à ces combats, Bachar al-Assad n’ayant que peu d’emprise sur l’ouverture d’un nouveau front de violences à travers la Syrie.

Selon le Washington Post, la dernière évaluation de la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine indique qu’Israël aurait du mal à s’imposer dans un conflit élargi, son armée étant profondément engagée à Gaza. Le dernier retrait partiel des forces israéliennes de Gaza est, dans une certaine mesure, calculé dans la perspective de l’éventualité d’un éclatement du conflit dans le nord.

Face à une intensification des tensions ces derniers jours, les États-Unis se sont engagés dans un nouveau ballet diplomatique, incluant notamment un nouveau voyage dans la région du secrétaire d’État Antony Blinken. Le Département d’État a déclaré qu’il n’était «dans l’intérêt de personne – ni celui d’Israël, ni celui de la région, ni celui du monde – que ce conflit s’étende au-delà de Gaza». Le roi Abdallah de Jordanie a mis en garde Blinken contre les «répercussions catastrophiques» d’un conflit élargi.

Au cours de la visite qu’il a effectuée au Liban, le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a également souligné que «personne ne gagnerait  dans un conflit régional». La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a déclaré à son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian, que «le risque d’une conflagration régionale n’avait jamais été aussi important. L’Iran et ses alliés doivent immédiatement cesser leurs actions déstabilisatrices».

«Peut-être qu’Israël et ses alliés occidentaux pourront en fin de compte altérer les capacités du Hezbollah, du Hamas et de leurs tuteurs iraniens – mais pas nécessairement avant qu’ils n’aient détruit des parties importantes d’Israël et de la région dans son ensemble»

Baria Alamuddin

L’assassinat, la semaine dernière, de Saleh al-Arouri, le principal émissaire du Hamas auprès du Hezbollah et de l’Iran, lors d’une frappe de drone israélien à Beyrouth, peut rétrospectivement être considéré comme le moment où la provocation a franchi le point de non-retour. Le Hezbollah a qualifié ses derniers tirs de roquettes comme une «première réponse» à la mort d’Arouri. Hassan Nasrallah a considéré que sa mort était «un crime majeur et dangereux sur lequel il n’est pas possible de rester silencieux». Il a ajouté que le Liban dans son ensemble pourrait être victime d’une agression israélienne si l’assassinat restait impuni.

Quelques jours plus tôt, une frappe aérienne israélienne en Syrie avait tué Sayyed Razi Mousavi, un haut commandant de la Force Al-Qods, et une frappe américaine avait tué un commandant de la faction Al-Nujaba du Hachd al-Shaabi. Alors que Nasrallah et ses semblables ont la réputation de lancer des menaces en l’air en réponse à de tels assassinats, les choses s’accélèrent rapidement, au-delà de la capacité de quiconque de pouvoir les contrôler.

Près de 200 000 Israéliens ont déjà été évacués de vastes régions du nord et du sud. Les dirigeants israéliens évoquent la perspective de zones tampons sous contrôle israélien, comprenant une partie du sud du Liban et des bandes de plusieurs kilomètres de territoire à Gaza, qui elle-même ne fait que quelques kilomètres de large. Cependant,  de telles options,  qui constituent des transferts forcés de population illégaux au regard du droit international, seraient susceptibles d’aggraver le conflit: le Sud-Liban occupé par Israël de 1985 à 2000 a été un casus belli pour le Hezbollah, lui permettant d’acquérir une expérience de combat asymétrique – sans parler d’une immense victoire symbolique lorsqu’Israël a finalement été contraint de se retirer sans aucune fierté.

Le président du Parlement libanais, Nabih Berri, a mis l’accent sur l’importance de mettre en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU engageant les deux parties dans une zone tampon sous la surveillance de l’ONU, et exigeant que le Hezbollah se retire au-delà du fleuve Litani. Nasrallah, dans son dernier discours, a laissé entendre qu'après la cessation des hostilités, il pourrait être ouvert aux négociations sur la démarcation de la frontière. Cela semble être l’objet de la manœuvre en coulisses émanant des interlocuteurs occidentaux.

La situation est aussi explosive en Irak et en Syrie après de nombreux accrochages entre les États-Unis et les milices soutenues par l’Iran. Les milices irakiennes ont déjà mené près de 140 attaques contre des cibles américaines depuis le 7 octobre, provoquant des représailles de plus en plus fortes. Les dirigeants occidentaux sont par ailleurs déroutés sur la manière de mettre un terme aux attaques des Houthis contre les navires dans la mer Rouge, sans pour autant créer davantage de tensions. Plus de 20 pays se sont joint à une coalition qui, selon le Pentagone, sera une «patrouille itinérante» aidant les navires commerciaux dans la mer Rouge et le golfe d'Aden.

À mesure que les missiles volent, l’espoir de pouvoir surmonter ce conflit sans une conflagration régionale majeure s’estompe, ce qui constituerait une grave défaillance de la diplomatie mondiale et mettrait en relief un leadership médiocre, incapable d’éviter que la situation n’atteigne un stade aussi désastreux. Nasrallah, Benjamin Netanyahou, Joe Biden et Ali Khamenei accordent toutefois peu d’attention aux conséquences apocalyptiques de ce scénario, malgré les menaces stratégiques évidentes posées depuis longtemps par de grandes hordes paramilitaires transnationales et l’impasse du processus de paix au Moyen-Orient.

Nous devrions prendre Netanyahou au pied de la lettre lorsqu’il menace de transformer le Liban et d’autres pays en Gaza, et faire le calcul du bilan astronomique des morts qui en résulterait. Le Middle East Institute estime que les pertes libanaises pourraient se situer entre 300 000 et 500 000 personnes, parallèlement à une évacuation en masse du nord d’Israël.

Peut-être qu’Israël et ses alliés occidentaux pourront en fin de compte altérer les capacités du Hezbollah, du Hamas et de leurs tuteurs iraniens – mais pas nécessairement avant qu’ils n’aient détruit des parties importantes d’Israël et de la région dans son ensemble. Pitié pour les millions de vies qui vont être déchirées par ces atrocités à venir.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com