Alors que la poussière retombe sur l'engagement militaire de la France au Sahel, qui a duré une décennie, et que les dernières troupes françaises se sont retirées du Niger le mois dernier, une réflexion sur la présence de la France dans la région s'impose. Ce retrait symbolise la fin d'une stratégie qui mettait l'accent de manière disproportionnée sur la puissance militaire, tout en négligeant les éléments indispensables que sont le soutien social et politique. Cette chronique se penche sur le cœur du problème: La France a trop misé sur les mesures sécuritaires au détriment de la promotion du développement, ce qui a finalement conduit à l’effondrement de sa présence au Sahel.
Il existe un axiome clair et ancien dans les cercles politico-militaires: aucune victoire militaire n'est durable si elle n'est pas étayée par un soutien social et politique. Pourtant, les interventions de la France au Sahel ont illustré de manière frappante l'absence de prise en compte d'un principe aussi fondamental. La coordination civilo-militaire envisagée, un concept inscrit dans les manuels stratégiques, ne s'est jamais réellement concrétisée, alors que la France s'efforçait d'endiguer une vague extrémiste au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad, tout en étendant l'aide au développement. Malgré la création de l'Alliance pour le Sahel en 2017, aux côtés de l'Allemagne, de l'UE et d'autres partenaires, le résultat a été loin du consortium de soutien envisagé.
Les interventions françaises au Sahel, baptisées opération Serval puis opération Barkhane, ont été lancées avec deux objectifs principaux: endiguer la vague extrémiste au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad, et étendre l'aide au développement, construisant ainsi un cadre de soutien pour maintenir sa présence dans la région. Cependant, ce double plan a échoué sur la seconde ambition, garantissant l'effondrement total de la première. Le passage de Serval à Barkhane a en partie mis à nu la disjonction des politiques françaises au Sahel. Ce qui devait être un recalibrage opportun n'a fait que creuser le fossé entre les objectifs militaires français et les réalités sociopolitiques des dynamiques sahéliennes.
Les ramifications de ce désalignement sont flagrantes. Alors que la France se concentrait sur la répression des insurrections, les gouvernements régionaux étaient aux prises avec des problèmes endémiques qu'une armée ne peut pas résoudre. En conséquence, le sentiment anti-français s'est développé, conduisant finalement à des coups d'État au Mali et au Burkina Faso, ce qui n'a fait que saper davantage la position de la France et compliquer la dynamique régionale. Dans ce bourbier, les pays du Sahel ont commencé à se tourner vers la Russie, à la recherche d'une alternative au modèle militaire français. L'arrivée du groupe Wagner dans les territoires précédemment occupés par les forces françaises est révélatrice de cette tendance. Cette évolution met en évidence un conflit géopolitique plus large et reflète le désespoir des gouvernements locaux qui cherchent des solutions différentes à leurs problèmes, qu'ils soient liés à la sécurité ou non.
Le pivotement vers la Russie et l'emploi d'agents de Wagner représentent un nouveau modèle d'intervention au Sahel, qui s'écarte des alliances occidentales pour se tourner vers une confédération d'acteurs plus opportunistes. Ce changement aggrave donc les tensions géopolitiques existantes et reflète le désespoir des gouvernements locaux qui cherchent des solutions alternatives à leurs crises sécuritaires persistantes.
«Les pays du Sahel ont commencé à se tourner vers la Russie, à la recherche d'une alternative au modèle militaire français.»
Hafed Al-Ghwell
Pour être juste, l'Alliance pour le Sahel a tenté de fournir une structure formelle pour une coordination civilo-militaire indispensable. Mais même une initiative aussi ambitieuse n'a pas pu combler les lacunes laissées par une stratégie française défectueuse qui a négligé un pilier essentiel de soutien: l'aide au développement. L'aide française au développement ciblant les pays du Sahel n'a représenté que 10% de son aide totale à l'Afrique en 2018. Plus révélateur encore, le Mali en a reçu moins de 3%. Cette tendance est restée constante tout au long de son engagement dans la région, un indicateur clair de l'écart entre les objectifs politiques déclarés de la France et l'allocation réelle des ressources.
En outre, chaque intervention française s'est inscrite dans une logique de sécurité, ce qui a limité l'efficacité de Paris et sa capacité à contribuer à la stabilité à long terme. L'approche sécuritaire musclée de la France s'est manifestée par d'importants déploiements militaires. Rien qu'à Niamey, la présence française comprenait une base aérienne et de plus petites unités le long des frontières avec le Mali et le Burkina Faso. Malgré ses prouesses militaires, cette stratégie centrée sur la sécurité s'apparente à un pansement sur une plaie béante. Elle a négligé les problèmes sous-jacents qui alimentent l'instabilité: la pauvreté, le manque de gouvernance et le désespoir économique.
En privilégiant la sécurité au détriment du développement, la France a involontairement renforcé les fondements mêmes du mécontentement qu'elle cherchait à surmonter. L'absence de soutien au développement a nourri le sentiment anti-français, alimentant les doutes sur les intentions du pays et conduisant finalement à des accusations de modèles néocoloniaux de dépendance.
La résolution des conflits au Sahel a toujours été une tâche herculéenne qui nécessitait un équilibre délicat entre l'intervention militaire et un soutien socio-économique actif. Certes, la complexité des parties en présence et les intérêts divergents des acteurs internationaux ont encore compliqué la tâche. Néanmoins, l'histoire de la politique française au Sahel montre que toute stratégie d'intervention militaire qui ne tient pas suffisamment compte de la composante essentielle du soutien civil est vouée à rencontrer des obstacles considérables. Les leçons tirées de la mésaventure de la France au Sahel montrent qu'il est urgent de s'éloigner des stratégies militarisées pour adopter une approche plus holistique, axée sur la société civile, qui englobe non seulement la sécurité mais aussi le développement, notamment dans le but d'anticiper les menaces mondiales telles que le changement climatique et les pandémies.
L'expérience de la France constitue une étude de cas inestimable qui souligne le besoin pressant d'une approche politique et civile plus équilibrée et coordonnée des interventions militaires – une approche dans laquelle le principe de coordination civilo-militaire n'est pas une réflexion après coup, mais fait partie intégrante de la conception et de la mise en œuvre de politiques efficaces basées sur des réalités objectives sur le terrain. Pour la France et ses alliés européens, la leçon est claire: les solutions militaires doivent être complétées par des initiatives de développement solides et de véritables partenariats politiques. Il est nécessaire de recalibrer la stratégie pour donner la priorité au bien-être des populations sahéliennes, soutenir les institutions démocratiques et s'attaquer aux causes profondes de l'instabilité.
En conclusion, le départ des forces françaises du Niger n'est pas seulement la fin d'une opération, mais un signal d'introspection et de réorientation stratégique. La France, ainsi que ses partenaires internationaux, doivent maintenant réfléchir aux lacunes d'une approche trop militarisée. Une paix durable au Sahel dépend d'une stratégie holistique qui concilie les préoccupations sécuritaires et le développement social, politique et économique. Ce n'est qu'à cette condition que les pays du Sahel pourront s'engager sur la voie d'une stabilité et d'une prospérité durables.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l'Initiative pour l'Afrique du Nord à l'Institut de politique étrangère de l'École des hautes études internationales de l'université Johns Hopkins à Washington, DC.
X: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com