Gaza n’est pas le seul endroit où règne l’injustice

Des Palestiniens affrontant les forces de sécurité israéliennes lors d'un raid sur le camp de Balata, en Cisjordanie occupée. (AFP)
Des Palestiniens affrontant les forces de sécurité israéliennes lors d'un raid sur le camp de Balata, en Cisjordanie occupée. (AFP)
Short Url
Publié le Mardi 28 novembre 2023

Gaza n’est pas le seul endroit où règne l’injustice

Gaza n’est pas le seul endroit où règne l’injustice
  • L’extrême droite xénophobe poursuit son implacable progression dans toute l’Europe
  • Lorsque les nations civilisées ne parviennent pas à défendre le droit international, elles encouragent les États parias et les acteurs malveillants à prendre l’avantage et à semer le chaos

Il est aisé de penser qu’il ne se passe rien dans le monde en dehors du massacre de Gaza, étant donné l’attention justifiée des médias sur cette tragédie. Lors du dialogue de Manama organisé par l'IISS ce mois-ci, c'était pratiquement le seul sujet dont les dirigeants politiques et les délégués voulaient discuter. Toutefois, cela ne doit pas nous faire oublier que d’autres événements majeurs se déroulent dans le monde, et nécessitent notre urgente attention.

L’extrême droite xénophobe poursuit son implacable progression dans toute l’Europe, notamment avec la victoire inattendue aux élections néerlandaises du parti de la Liberté de Geert Wilders. Parmi ses commentaires anti-immigration, M. Wilders a diabolisé les immigrés marocains, les qualifiant de «racaille», et il a mis en garde contre une «invasion islamique». Il a également dénoncé le Coran comme un «livre fasciste», et il a appelé à la relocalisation forcée des Palestiniens en Jordanie.

Avec Giorgia Meloni, l’Italie a le régime le plus à droite depuis Mussolini, et des groupes partageant les mêmes idées sont au cœur des coalitions gouvernementales en Finlande et en Suède. Les partis d'extrême droite gagnent en popularité en Allemagne, en Autriche et en Grèce, et Marine Le Pen se trouve actuellement en tête dans les sondages français. Le Hongrois Viktor Orban a été un éminent partisan et défenseur de ces tendances autoritaires anti-immigrés. En Amérique du Sud, le candidat de l'extrême droite radicale, Javier Milei, vient d'être élu président de l'Argentine.

Le parti nationaliste polonais Droit et Justice est arrivé en tête aux dernières élections, mais il pourrait être exclu du gouvernement par une coalition de partis centristes, tandis que le populiste Robert Fico remportait les élections slovaques au mois de septembre. L'extrême droite portugaise espère profiter de cette poussée lors des élections du mois de mars prochain, même si l'Espagne a résisté à la tendance, le parti de droite Vox ayant subi des revers lors du vote du mois de juillet. En Grande-Bretagne, où les élections n'auront lieu que dans un an, les tendances populistes de la droite ont mis le parti conservateur au pouvoir sur la voie d'une cuisante défaite. Quant aux États-Unis, Dieu seul sait si, d’ici à la fin de l’année 2024, Donald Trump sera en route vers la Maison-Blanche, vers une cellule de prison – ou les deux.

Le discours de Geert Wilders sur la sortie de l’Union européenne (UE) provoque des nuits blanches chez les politiciens européens, toujours traumatisés par les querelles autodestructrices du Brexit. Gaza est un facteur supplémentaire de divisions européennes, entre les dirigeants résolument pro-israéliens en Allemagne et en Grande-Bretagne, et des opinions propalestiniennes en Irlande, en Belgique et en Espagne. De vastes manifestations propalestiniennes ont eu lieu dans toutes les capitales occidentales.

La crise de Gaza a également eu d’importantes répercussions sur les efforts occidentaux visant à réduire le programme nucléaire iranien. Comme l’a fait remarquer de manière préoccupante un haut diplomate: «Il n’y a aucun intérêt à provoquer une réaction en Iran dans le cadre de la guerre au Moyen-Orient.» Ceci, malgré le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) indiquant que Téhéran dispose désormais de suffisamment d’uranium enrichi à 60 % pour fabriquer trois bombes. À la suite de la détection de centrifugeuses modifiées permettant un enrichissement à 84%, l’Iran a supprimé l’accréditation d’un certain nombre d’inspecteurs de l’AIEA, éliminant ainsi la transparence à un moment décisif.

Les importantes milices iraniennes en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen sont non seulement un symptôme de l’incapacité de la communauté internationale à juguler les démonstrations manifestes d’instabilité et de désordre, mais elles rendent également bien plus probable le risque de voir s’étendre à l’échelle régionale le conflit entre Israël et Gaza. L'Iran se sent d'autant plus enhardi qu'il bénéficie de la couverture diplomatique d'un Kremlin tout aussi enhardi et conflictuel.

Vladimir Poutine, quant à lui, n’arrive pas à croire à sa chance face à la manière dont s’est déroulé le carnage à Gaza. Non seulement la couverture de la guerre en Ukraine a disparu de l’agenda médiatique, mais les États-Unis et ses alliés réorientent les fournitures d’armes vitales vers Israël – ce qui soulève la question de savoir si de nouveaux gains territoriaux sont possibles pour une Ukraine en manque d’équipements, et rend plus probable un accord de paix bancal. De même, le fait que les États-Unis soient distraits par l'embrasement du Moyen-Orient convient à la Chine. Certains observateurs se demandent si Pékin ne pourrait pas profiter de l’occasion pour poursuivre ses activités expansionnistes en mer de Chine méridionale, ou pour renforcer sa position militaire vis-à-vis de Taïwan.

«Gaza est un facteur supplémentaire de divisions européennes, entre les dirigeants résolument pro-israéliens en Allemagne et en Grande-Bretagne, et des opinions propalestiniennes en Irlande, en Belgique et en Espagne.»

Baria Alamuddin

Il existe également de nombreux autres conflits et crises qui ne reçoivent aucune attention mondiale soutenue: le Haut-Karabakh, le Myanmar, le Venezuela, la Libye, la Syrie, l’Éthiopie et le Yémen – sans parler des troubles en Cisjordanie occupée. L’ensemble de la ceinture sahélienne de l’Afrique connaît une suite catastrophique de coups d’État, d’insurrections et de guerres, la population du Darfour étant à nouveau menacée d’extermination par les Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) du Soudan, et de vastes régions de la Somalie, du Mali, du Niger et du Burkina Faso se trouvant sous contrôle djihadiste. Entre-temps, la pression internationale exercée sur les talibans en raison de leur politique d’apartheid à l’encontre des Afghanes s’est entièrement évaporée.

La rivalité entre la Chine, la Russie et l’Occident a paralysé et discrédité le Conseil de sécurité de l’ONU, et neutralisé les institutions du droit international, rendant pratiquement impossible la dynamique mondiale visant à résoudre ces différends. Ces divisions neutralisent également la coopération autour des efforts substantiels nécessaires pour réduire les émissions de carbone et arrêter l’ébullition de la planète – des politiques vertes auxquelles la droite populiste ascendante s’oppose de manière suicidaire.

Il serait superflu d’affirmer que la communauté internationale devrait être capable de faire face à plus d’une crise à la fois. Si les capacités diplomatiques mondiales sont si limitées, c’est en grande partie en raison de l’absence d’un leadership mondial compétent et visionnaire. La politique occidentale essentiellement axée sur le marché intérieur au cours de la dernière décennie a laissé si peu de marge pour répondre aux défis planétaires que M. Poutine croyait sincèrement pouvoir engloutir l’Ukraine dans son intégralité sans subir de conséquences préjudiciables.

Lorsque les nations civilisées ne parviennent pas à défendre le droit international, elles encouragent les États parias et les acteurs malveillants à prendre l’avantage et à semer le chaos. Un cercle vicieux se perpétue ainsi, dans lequel l’injustice engendre l’injustice.

Le fait que quatorze mille cinq cents personnes aient été tuées à Gaza, dont 70% de femmes et d’enfants, et que sept mille autres soient probablement enterrées sous les décombres, en dit long sur les niveaux criminels de léthargie, d’inaction et d’inhumanité du monde.

L’Ukraine et Gaza sont des signaux d’alarme. Les dirigeants mondiaux doivent collectivement redoubler d’efforts sur la scène internationale. Selon de nombreux indicateurs, la stabilité, les normes de gouvernance et la justice sociale sont en fort déclin partout dans le monde.

Comme le disait Martin Luther King: «L’injustice, où qu’elle soit, est une menace pour la justice.» Alors que le chaos nous assaille sur tous les fronts, ce n’est qu’en prenant position au nom des Palestiniens, des Ukrainiens, des Soudanais, des Syriens et des autres peuples opprimés que nous pourrons espérer jouir nous-mêmes d’une stabilité et d’une justice à long terme.

 

• Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com