LONDRES: Israël a laissé ouverte la perspective d'une réoccupation de la bande de Gaza après la défaite attendue du groupe militant palestinien Hamas, affirmant qu'il lui incomberait de trouver une administration civile pour prendre en charge le territoire palestinien.
La perspective d'un retour à une administration israélienne directe soulève toutefois une série de questions sur les obligations et les responsabilités qui incomberaient à Israël en tant que puissance occupante, compte tenu des caractéristiques uniques de Gaza au regard du droit international.
Plus d'un mois après le début des combats, Israël ne dispose toujours pas d'une politique post-conflit cohérente pour Gaza, le gouvernement faisant face aux provocations des politiciens d'extrême droite en faveur de l'expulsion des Palestiniens tout en faisant volte-face sur ses propres intentions.
Après avoir déclaré à ABC News, au début du conflit, qu'Israël aurait «la responsabilité globale de la sécurité (...) pour une période indéfinie» sur l'enclave palestinienne, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait volte-face à la suite d'un reproche sévère des États-Unis, déclarant quelques jours plus tard à Fox News que l'occupation n'était en fait pas l'objectif recherché.
Il a plutôt indiqué que le plan consistait à «démilitariser, déradicaliser et reconstruire» la bande de Gaza tout en se chargeant de trouver un «gouvernement civil» pour gérer le territoire, laissant ainsi la porte ouverte à une occupation provisoire.
C'est en tout cas ce que les experts pensent de la situation.
Dans un article paru sur The Conversation au début du mois, Rob Geist Pinfold, professeur d'études sur la paix et la sécurité à l'université de Durham, a déclaré qu'il s'attendait à ce que les «diverses occupations antérieures d'Israël» se répètent.
Dans la pratique, Israël occuperait probablement «indéfiniment» certaines parties de Gaza et chercherait «à fuir de ses responsabilités en matière de gouvernance civile dans le reste du territoire».
Bien qu'il puisse chercher à éviter toute responsabilité, en vertu du droit humanitaire international, Israël pourrait néanmoins se trouver dans l'obligation d'intervenir dans la gouvernance civile.
Eugénie Duss, chargée de recherche à l'Académie de droit international humanitaire et de droits de l'homme de Genève, a déclaré à Arab News que le droit de l'occupation belligérante est conçu pour permettre aux civils de poursuivre leur vie «aussi normalement que possible».
À ce titre, le système local existant doit garantir la fourniture de nourriture, de services de santé, d'hygiène, d'assistance spirituelle et d'éducation.
«Toutefois, si les besoins de la population locale ne peuvent être ainsi satisfaits, la puissance occupante doit elle-même fournir des biens et des services tout en respectant les traditions et les sensibilités locales», a-t-elle précisé.
«Si elle ne peut toujours pas satisfaire les besoins de la population locale, la puissance occupante doit accepter et faciliter l'aide humanitaire extérieure», a-t-elle ajouté.
L'occupation n'est cependant pas une nouveauté pour Gaza.
Israël a certes démantelé et retiré ses 21 colonies de la bande de Gaza en 2005 dans le cadre de la politique de désengagement de l'ancien Premier ministre Ariel Sharon, mais la communauté juridique internationale s'accorde à reconnaître que le gouvernement a conservé un contrôle effectif sur le territoire en tant que force d'occupation.
Selon Duss, ce «point de vue majoritaire» s'explique en grande partie par le fait qu'Israël a conservé le contrôle de l'espace aérien de Gaza, des eaux territoriales, des points de passage frontaliers terrestres, de la fourniture d'infrastructures civiles et de fonctions gouvernementales clés telles que la gestion du registre de la population palestinienne.
Lorsqu'on l'interroge sur ce point, Israël soutient depuis longtemps que Gaza n'était pas, et n'est pas, occupée. Pour se justifier, il affirme que le territoire n'a pas été reconnu comme une «haute partie contractante» investie de droits et d'obligations en vertu du droit international au moment de son occupation initiale en 1967.
«La Cour internationale de justice a rejeté l'argument d'Israël en déclarant qu'il suffisait que la Jordanie et Israël (la CIJ n'avait à se pencher que sur le statut de la Cisjordanie) aient été, au moment des faits, parties aux conventions et se soient engagés dans un conflit armé qui a conduit à l'occupation de la Cisjordanie», a expliqué Duss.
«Il est donc indifférent que le territoire occupé appartienne à un autre État» a-t-elle poursuivi.
Dans le même contexte, Emily Crawford, professeure de droit international à l'université de Sydney, a déclaré à Arab News que la reconnaissance du statut d'État palestinien était sans importance. En effet, sur les 193 États membres des Nations unies, 138 ont reconnu la Palestine comme un État souverain.
Pour Crawford, l'adhésion de la Palestine aux conventions de Genève et de La Haye entre 2014 et 2018 lui a permis de bénéficier de la protection du droit international humanitaire et a obligé Israël à occuper le territoire palestinien conformément aux dispositions des conventions.
Ces règles sont «assez larges et couvrent certains principes fondamentaux», a mentionné Duss.
EN CHIFFRES
* Plus de 12 000 Palestiniens ont été tués à Gaza lors de l'offensive militaire israélienne, selon les autorités sanitaires palestiniennes.
* 1 200 Israéliens et étrangers tués lors de l'attaque du Hamas le 7 octobre, selon les autorités israéliennes.
* Plus de 230 personnes sont retenues en otage par le Hamas et des groupes alliés, selon les autorités israéliennes.
«Les personnes protégées ne peuvent être ni transférées de force ou déportées d'une autre manière hors du territoire occupé, ni transférées de force à l'intérieur du territoire occupé», a clarifié Duss.
«De même, la puissance occupante ne peut pas transférer une partie de sa propre population, même si elle y consent, dans le territoire occupé», a-t-elle avisé.
En outre, les personnes protégées dans un territoire occupé ne peuvent être privées de leur liberté en tant qu'internés civils que pour des raisons impératives de sécurité, en vue d'un procès pénal ou pour purger une peine pénale.
Et pour les personnes détenues, la loi garantit qu'elles seront traitées humainement et sur leur propre territoire.
La législation locale reste applicable et les institutions locales doivent pouvoir continuer à fonctionner, a déclaré Duss, la puissance occupante n'étant autorisée à modifier les lois locales que dans quatre cas: pour protéger la sécurité de ses forces, pour se conformer au droit humanitaire international, pour respecter ses obligations en vertu du droit international des droits de l'homme et lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies l'autorise explicitement.
Même la propriété privée est protégée par la loi. Il s'agit notamment des biens consacrés à la religion, à la charité, à l'éducation, aux arts et aux sciences, qui ne peuvent être confisqués, même si, selon Duss, ils peuvent être réquisitionnés pour les besoins de l'armée d'occupation.
«On peut faire valoir que le concept de propriété couvre également les intérêts tangibles et intangibles», a éclairci Duss.
«La destruction de biens privés n'est autorisée que si elle est rendue absolument nécessaire par les opérations militaires. Les biens publics mobiles de l'ennemi, notamment l'argent liquide, qui peuvent être utilisés pour les opérations militaires peuvent être saisis comme butin de guerre», a-t-elle illustré.
Une question reste cependant en suspens, celle de savoir si une occupation est en soi légale.
Crawford et Duss notent toutes deux que la légalité d'une occupation dépend essentiellement de son autorisation par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Si tel est le cas, l'occupation peut être considérée comme légale. À titre d'exemple, Crawford a cité l'occupation provisoire du Kosovo, qui a duré de 1999 à la déclaration d'indépendance en 2008.
Étant donné que l'affirmation selon laquelle Israël occupe en fait la Palestine depuis plus de 50 ans bénéficie d'un large soutien, on peut s'interroger sur l'efficacité de ce corpus juridique.
«La loi est-elle adaptée à l'objectif visé? En quelque sorte, mais uniquement dans les situations où il ne s'agit pas d'une occupation prolongée», a déclaré Crawford.
«L'ensemble du droit de l'occupation est axé sur le caractère temporaire de l'occupation, de sorte que dans les situations où l'occupation n'est pas temporaire, le système commence à être mis à rude épreuve», a-t-elle estimé.
Comme c'est souvent le cas en droit international, le comportement des forces de l'ordre dépend de la mesure dans laquelle l'État en question entend respecter les règles. Néanmoins, Crawford a souligné qu'il existe des mécanismes que les tierces parties peuvent utiliser pour forcer la main de l'occupant.
«Il existe toujours la possibilité de recourir à des mécanismes d'application non judiciaires, tels que les sanctions, les embargos, les pressions diplomatiques, ainsi que les procès pénaux d’après-guerre ou la saisine de la Cour internationale de justice», a indiqué Crawford.
De nombreux facteurs non juridiques contribuent également au respect du droit humanitaire international, notamment la routine, l'intérêt militaire pour la discipline et l'efficacité, l'opinion publique, les facteurs éthiques et religieux, la réciprocité positive et le désir de rétablir une paix durable, a développé Duss.
Alors que les médias mettent «trop souvent» l'accent sur les violations, la réalité est que le droit international humanitaire est le plus souvent «respecté plutôt que violé», a-t-elle ajouté.
Certains pourraient se moquer de cette dernière suggestion, la Cour internationale s'étant montrée impuissante par le passé, en particulier si l'on considère l'affaire Contra (l’Irangate) avec les États-Unis en 1986, qui, lorsque Washington a été condamnée, elle a simplement nié la compétence de la Cour.
Mais ce qui rend les choses différentes dans le cas de Gaza, c'est «l'attention publique sans précédent qui lui est portée», a jugé Crawford.
«Pour la première fois de ma mémoire, nous assistons à des protestations généralisées, non seulement de la part de groupes palestiniens, mais aussi de la part d'Israéliens et de groupes juifs préoccupés par ce qui se passe en Israël et à l'étranger», a-t-elle estimé.
«Il semble y avoir une énorme vague de fond contre Netanyahou et la réponse du gouvernement israélien, qui a été décrite comme disproportionnée et peut-être motivée par d'autres raisons que l'autodéfense.
«Avec le temps, cela peut s'avérer être une force puissante pour contrôler et même mettre fin à ce qui se passe», a soutenu Crawford.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com