BEYROUTH: Cette année, c’est un Liban en crise qui va fêter Noël.
Et si ces derniers jours les rues et les marchés se sont remplis d'acheteurs de dernière minute pour Noël, ce n'est pas le signe d'une amélioration de l'économie ou d'un sentiment de liesse. Cela reflète en fait une recherche désespérée de bonnes affaires.
Les salaires au Liban ont perdu environ 80 % de leur valeur cette année par rapport au dollar (1 dollar = 0,82 euro). Ils ne suffisent déjà plus à couvrir l’achat des produits de première nécessité, dont les prix ont grimpé en flèche, alors comment peuvent-ils permettre de se payer des «luxes» festifs tels que des cadeaux pour les enfants ou un dîner de Noël chaleureux?
«100 000 livres libanaises ([LBP], 1 livre libanaise = 0,00054 euro) ne suffisent pas pour acheter du détergent, de la lessive, du dentifrice et du shampooing», raconte Souad, une habitante de Forn el-Chebbak dans la banlieue sud de Beyrouth. «Alors, comment une personne avec un salaire de 800 000 LBP peut-elle payer les autres besoins de base, ainsi que la nourriture et les boissons?»
«J'essaie de convaincre mes enfants de se contenter d'un seul cadeau cette année. Nous devons nous contenter de ce que nous avons – et nous ne nous attendons pas à mieux l’année prochaine.»
Les prix des jouets et des cadeaux pour les enfants qui étaient d’environ 20 000 livres avant l’effondrement de la monnaie sont maintenant à plus de 120 000 livres. Les prix des jouets importés de marques étrangères bien connues sont passés de 45 000 à 250 000 livres.
Le coût des cadeaux pour adultes est encore plus prohibitif – une paire de chaussures de bonne qualité qui se vendait jusqu'à 300 000 livres coûte désormais plus de 1 million de livres.
«La baisse hebdomadaire qui affecte notre activité a atteint près de 90 %», explique Ghassan, propriétaire d'une bijouterie. «Une personne qui pouvait acheter un collier pour 200 dollars, ou 300 000 livres il y a un an doit maintenant débourser 1,6 million de livres, soit trois fois le salaire minimum du pays.»
Si la menace que représente la crise du coronavirus pour la santé ne doit pas être banalisée, la pandémie pourrait, dans une certaine mesure, se révéler une bénédiction financière déguisée au Liban, car les familles pourront réduire le coût des repas de Noël en évitant les grands rassemblements familiaux.
Les viandes chères, les desserts extravagants et les fromages importés seront absents de la plupart des tables de fête cette année. Une assiette contenant 200 grammes de trois types de fromages et une sélection de viandes transformées coûte désormais 350 000 livres, contre 60 000 l'année dernière.
La dinde, une tradition du dîner de Noël au Liban, coûtait en moyenne 150 000 livres dans un restaurant. Désormais, le prix d'une dinde cuite livrée à votre domicile est d'au moins 750 000 livres – et pourrait atteindre 1,3 million de livres selon les plats commandés pour l’accompagner.
Quant aux friandises sucrées pour le dessert, le prix d'un kilogramme de chocolat de haute qualité dépasse désormais 120 000 livres, tandis qu'un gâteau de Noël de luxe peut coûter jusqu'à 1 million de livres.
«Les célébrations de Noël de cette année sont différentes, car il n'y a pas de mets étrangers sur les tables ni de cadeaux importés», explique Joëlle Daniel, une résidente de Beyrouth. «Nous achetons des produits locaux, et nous nous concentrons sur les cadeaux éducatifs pour enfants, fabriqués par des designers libanais.
«Tout le monde souffre économiquement, et nous devons nous contenter de ce que nous avons. Cette année a été mauvaise, et nous ne pensons pas que ce sera mieux en 2021. Ma famille et moi avons commencé à préparer nos papiers d'immigration parce que la situation économique, sociale et politique ici est devenue désastreuse.»
«La révolution n’a réalisé aucune de nos ambitions, et l’explosion survenue dans le port de Beyrouth a révélé à quel point notre État est corrompu.»
Beaucoup de ceux qui ont déjà quitté le Liban à la recherche d'une vie meilleure à l'étranger sont rentrés dans le pays pour passer Noël avec leur famille. Au cours des derniers jours, plus de 7 000 personnes sont revenues à Beyrouth pour les vacances, et plus de 8 000 sont arrivées depuis le début du mois. Mais il est peu probable que les visiteurs apportent beaucoup de joie aux entreprises en difficulté.
«L'activité économique qui a accompagné les vacances a eu un effet limité», explique Ghassan Abou Jaoude, propriétaire d'un magasin de vêtements près du Palais de justice à Beyrouth. «Lorsque les vacances seront terminées, chaque commerçant devra faire le bilan de ses pertes et de ses bénéfices et constatera que rester chez soi coûte moins cher que d'accumuler plus de dettes.»
«C'est parce que les gens n'ont tout simplement plus d'argent, alors que tous nos dirigeants politiques ont abandonné leur peuple, préfèrent obéir aux souhaits des puissances étrangères et refusent toute concession face à ces questions nationales si catastrophiques.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com