Depuis le début de cette crise au Proche-Orient entre Israël et le Hamas, la grande angoisse en France était de voir importer sur le territoire national les conséquences de cette guerre. Les raisons de cette crainte légitime résident dans la présence en France des deux plus grandes communautés juive et musulmane d’Europe. Plus que les autres pays de l’Union européenne (UE), la France a toujours été, pour des raisons historiques, la plus sensible aux convulsions politiques et militaires au Proche-Orient.
Aujourd’hui, avec cette crise, les interactions françaises ont dépassé toutes les prévisions. Au-delà de l’inquiétante libération de la parole raciste et antisémite, au-delà des craintes sécuritaires traditionnelles de voir naître et se développer une tension communautaire dans un pays déjà inflammable sur de nombreuses problématiques identitaires, cette crise vient de provoquer une énorme reconfiguration politique. Cette dernière aura forcément un impact majeur sur les équilibres et les rapports de force partisans. Les deux extrêmes, de droite comme de gauche, ont profité de cette situation pour l’exploiter et faire avancer leurs agendas internes.
La première grande utilisation opportuniste de cette crise est venue de l’extrême droite française, incarnée aujourd’hui par Marine Le Pen. L’un des éléments constitutifs du plafond de verre qui a toujours empêché cette extrême droite d’accéder au pouvoir était son accusation de proférer dans ses programmes et ses agendas un antisémitisme chronique. Le père fondateur du parti de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, avait passé le plus clair de sa carrière devant les tribunaux, notamment médiatiques, à tenter de laver la réputation de son parti de ces accusations, formulées à coups de phrases choc et de jeux de mots douteux . Elles sont encore présentes dans les esprits: «Les chambres à gaz, un détail de l’histoire», ou «Durafour crématoire»…
Cette crise s’est avérée une grande opportunité politique pour Marine Le Pen. Elle lui a permis d’exprimer un soutien appuyé à Israël, avec bien entendu l’arrière-pensée de redonner à son parti une nouvelle image politique. Sur les multiples plateaux de télévision, les icônes de l’extrême droite – traditionnellement hostile à l’égard de la politique israélienne pour cause de défis et de méfiances chroniques – se sont montré les fervents défenseurs de cette politique.
Ainsi, certains membres de la communauté juive de France, l’une des premières à combattre l’extrême droite en raison de son héritage antisémite, ont été séduits par la nouvelle posture de Marine Le Pen. À travers cette stratégie, cette dernière aspire à terminer le cycle du long et difficile processus de dédiabolisation de son parti en vue des prochains grands scrutins.
La seconde grande utilisation de cette crise au Proche-Orient a été l’œuvre de l’extrême gauche, incarnée par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Depuis le début de cette guerre, la gauche radicale a refusé de qualifier les opérations du 7 octobre d’«attentats terroristes» et le Hamas d’«organisation terroriste», se limitant l’appellation de «crimes de guerre». )) À cause de ce débat, La France insoumise, déjà soupçonnée de faire la promotion de l’islamo-gauchisme, est accusée de lorgner vers l’immense réservoir de votes des banlieues françaises sensibles au sort des Palestiniens dans cette guerre.
À gauche comme à l’extrême gauche, il existe une profonde conviction selon laquelle si les habitants de ces quartiers abandonnent leurs attitudes classiques de boycott des urnes, ils pourraient rebattre les cartes de la géographie électorale française. Preuve que La France insoumise a fait une bonne affaire avec ce positionnement sur la guerre au Proche-Orient, la popularité de ces chefs, qui était au plus bas de tous les baromètres d’opinion, connaît un bond prometteur.
Marine Le Pen et le Rassemblement national se sont servis de cette crise pour s’offrir une nouvelle réputation, moins satanique et moins clivante. Jean-Luc Mélenchon a quant à lui utilisé cette guerre pour tenter de mobiliser de nouveaux électorats aussi prometteurs. Pour ces deux leaders qui cannibalisent la vie politique française, modèlent ses dynamiques et ses respirations, la guerre au Proche-Orient a été une occasion de réécrire une nouvelle stratégie de conquête politique dont les résultats vont se voir lors des prochaines élections européennes et présidentielle.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.