Soutenir la cause palestinienne est un impératif moral, et non un crime

Nuage de fumée à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la bande de Gaza, vue à partir du sud d'Israël, le dimanche 15 octobre 2023 (Photo, AP).
Nuage de fumée à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la bande de Gaza, vue à partir du sud d'Israël, le dimanche 15 octobre 2023 (Photo, AP).
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Publié le Jeudi 19 octobre 2023

Soutenir la cause palestinienne est un impératif moral, et non un crime

Soutenir la cause palestinienne est un impératif moral, et non un crime
  • Le soutien occidental à Israël est considéré comme noble et sacré, alors que même un soutien relatif aux Palestiniens est suspect, dangereux et peut-être criminel
  • Afin de rassurer un lobby sioniste d’extrême droite vengeur, l’Occident ne doit pas abandonner des centaines d’années de droits politiques, de libertés et de défense des droits humains durement acquis

Dans le monde occidental libéral et démocratique, où la liberté d’expression et la défense des droits humains sont des articles de foi fondamentaux, des diplômés de Harvard ont été menacés d’être licenciés pour avoir épousé des opinions favorables aux Palestiniens.

Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a interdit les manifestations pro-palestiniennes et a ordonné l’expulsion de tous les ressortissants étrangers qui «commettent des actes antisémites». Des mesures similaires ont été appliquées en Allemagne et ailleurs. La ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, une activiste au passé peu brillant pour avoir exprimé ouvertement des opinions ouvertement racistes, a signifié à de hauts responsables de la police que brandir un drapeau palestinien ou entonner des slogans pro-arabes pouvaient constituer des actes criminels.

Le massacre d’enfants, de retraités et de civils par le Hamas a été répugnant, incorrect et préjudiciable à la cause palestinienne. Cependant, des efforts insidieux ont été déployés pour attribuer ces horreurs à la nation palestinienne tout entière. Les hommes politiques et les médias occidentaux se sont empressés d’adopter le langage pro-israélien le plus virulent possible, tout en manquant de courage pour s’exprimer avec une lucidité morale comparable sur le massacre de civils de Gaza, qui est déjà en cours.

Le soutien occidental à Israël est considéré comme noble et sacré, tandis que même un soutien relatif aux Palestiniens est suspect, dangereux et peut-être criminel. Il existe une amnésie calculée selon laquelle il s’agit d’un conflit avec une longue et sanglante histoire d’atrocités commises par les deux parties. Chaque meurtre d’Israéliens à ce jour a inévitablement été vengé par des actes disproportionnés de punition collective infligés par une armée infiniment plus destructrice. Ceux qui, ces derniers jours, ont couvert sans réserve la classe politique israélienne sont tout aussi coupables que ceux qui ont applaudi l’effusion de sang du Hamas en alimentant la haine et en préparant le terrain pour un futur carnage.

Nous devons avoir le courage de demander des comptes de manière équitable aux deux parties.

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe, des politiciens populistes d’extrême droite et des médias exploitent de manière cynique et amorale la question palestinienne comme une extension de leurs guerres culturelles antilibérales. La montée des tensions alimente le militantisme des deux côtés, provoquant des attaques ignobles contre les juifs et les musulmans, ciblant les écoles et les lieux de culte dans le monde entier. Le matériel et les moyens de recrutement de Daech et d’Al-Qaïda exploitent à outrance le soutien occidental à Israël comme étant la continuation d’une guerre de «croisades» contre le monde musulman.

Les communautés sont de plus en plus divisées, avec de grandes manifestations rivales pro-palestiniennes et pro-israéliennes dans des villes comme New York, Paris et Londres. Les juifs modérés ont été parmi les voix les plus franches ayant exprimé leurs inquiétudes concernant le bombardement de Gaza, tout en accusant Netanyahou et ses ministres d’extrême droite d’avoir poussé les tensions communautaires à un point d’ébullition, dans un contexte de défaillances manifestes en matière de sécurité.

Le véritable antisémitisme doit être condamné, d’autant plus que les Arabes et les Juifs sont de proches cousins ​​partageant les mêmes origines sémitiques et les mêmes langues étroitement liées. Des efforts continus ont cependant été déployés pour stigmatiser et réduire à néant toutes les sympathies pro-palestiniennes en les qualifiant d’«antisémitisme», alors qu’en réalité le soutien à la détresse des Palestiniens est une conséquence inévitable de la défense universelle des droits humains et de la justice internationale.

«Ceux qui, partout dans le monde, défendent pacifiquement des causes humanitaires comme  la Palestine, notamment les juifs modérés qui partagent la vision de la coexistence de deux États souverains, doivent être respectés et entendus»

Baria Alamuddin

Au milieu de témoignages objectifs sur qui s'est passé le 7 octobre, les médias et les réseaux sociaux ont sans aucun doute accueilli un déluge de rumeurs non fondées, de désinformations et d’images contrefaites, souvent dans le but systématique de diaboliser les Palestiniens en les considérant comme des «animaux» et des «sous-humains» méritant d’être exterminés. Des messages sur les réseaux sociaux ont affirmé de façon mensongère que des «traîtres» arabes israéliens avaient contribué à faire franchir la barrière de Gaza, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles violences anti-arabes. Au cours des derniers jours, des colons militants ont organisé des attaques meurtrières contre les Palestiniens de Cisjordanie.

Un rapport viral alléguant que le Hamas avait décapité des bébés a été largement diffusé dans les médias, et des atrocités ont été dénoncées par le président Joe Biden, avant que le gouvernement israélien et la Maison Blanche ne soient contraints de nier que cela s'était réellement produit, et que CNN ne présente des excuses pour avoir colporté de tels mensonges. La BBC a été attaquée pour ne pas avoir qualifié le Hamas de «terroriste», tandis que ses studios ont été aspergés de peinture rouge par des militants pro-palestiniens pour avoir «fabriqué un consentement aux crimes de guerre d’Israël».

Au sein de chaque mouvement historique de défense des droits humains, les modérés ont coexisté aux côtés des militants radicaux. Au nombre de ceux-ci, les militants anti-apartheid, ceux défendant les droits civiques américains, les suffragettes, les républicains irlandais, mais également le mouvement sioniste – une cause pour laquelle de nombreux futurs dirigeants israéliens ont perpétré des attaques terroristes. On peut notamment évoquer l'implication de Menahem Begin dans l'attaque de 1946 contre l'hôtel King David à Jérusalem, et la supervision par Ariel Sharon des massacres de Sabra et Chatila en 1982, ce dernier ayant fait preuve d'une sauvagerie bien supérieure à celle de ces derniers jours. Les ministres actuels d’extrême droite ont glorifié le massacre de 29 Palestiniens par Baruch Goldstein en 1994 dans une mosquée d’Hébron, un acte célébré par l’extrême droite sioniste comme un modèle sur la manière dont tous les Palestiniens devraient être expulsés de leur terre.

Les témoignages de mères israéliennes qui ne savaient pas si leurs enfants étaient vivants, morts ou pris en otage m’ont arraché des larmes à cause d’un souvenir personnel de l’invasion du Liban par Israël en 1982. Le bus scolaire était censé ramener mes deux filles à la maison, mais au milieu du chaos, le chauffeur les a conduites vers un endroit sûr, à côté d'un hôpital. Pendant une journée entière, j'étais désespérée, pensant qu’elles avaient pu mourir, ou être perdues à jamais. Ces heures de quasi folie nous ont poussés à fuir le Liban comme réfugiés. Je me demande combien d’Israéliens qui ont fui les zones frontalières dangereuses choisiront également de ne jamais y revenir, ou de quitter complètement Israël.

Les tentatives néfastes de bombarder Gaza jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de militants debout ne font que miner la sécurité d’Israël en cultivant de nouvelles générations amères qui nourrissent des fantasmes de vengeance aveugle, donnant ainsi du pouvoir à des factions haineuses telles que le Hezbollah et le Hamas. La violence n’engendre qu’une violence horrible et perpétuelle.

Le droit d’Israël à l’autodéfense, à la création d’un État et à la sécurité, a été proclamé haut et fort ces derniers jours, un nombre croissant de pays arabes ayant en effet déjà souscrit à ces principes. Tous les Palestiniens cherchent raisonnablement à obtenir certains des mêmes droits qui lui sont accordés, notamment celui de gouverner des territoires qui, selon les résolutions juridiquement contraignantes de l'ONU, leur appartiennent.

Ceux qui, partout dans le monde, défendent pacifiquement des causes humanitaires telles que la Palestine, notamment les juifs modérés qui partagent la vision de deux États souverains qui coexistent, doivent être respectés et entendus. Afin de rassurer un lobby sioniste d’extrême droite vengeur, l’Occident ne doit pas abandonner du jour au lendemain des centaines d’années de droits politiques, de libertés et de défense des droits humains durement acquis.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com