Alors que les idées de l’extrême droite sont en train de gagner du terrain et de s’infiltrer dans les esprits, un événement majeur, en lien avec la crise migratoire, a marqué l'actualité européenne. Ce qui, autrefois, arrivait de manière prévisible et régulière aux territoires européens s’est soudainement transformé en une arrivée spectaculaire et massive de migrants. Il n’en fallait pas plus pour que l’extrême droite exploite son argument favori et iconique de la grande invasion du Nord par le Sud.
Réagissant à cette crise, le président français, Emmanuel Macron, a repris à son compte une perception de l’ancien Premier ministre de gauche, Michel Rocard, selon laquelle la France ne pouvait pas «accueillir toute la misère du monde». Cette réaction fait suite à celle du pape François qui, lors de sa visite à Marseille, a fustigé «l'indifférence» et la «peur» dans une Europe tentée par le repli face aux migrants. Emmanuel Macron a réussi le tour de force de se fermer à ce flux migratoire tout en saluant la position du pape: «Le pape a raison d'appeler à ce sursaut contre l'indifférence.»
Les positions du pape François ont provoqué des dissensions au sein de la droite française. Elles sont apparues de manière flagrante dans la posture de l’extrême droite, dont la parole a été portée par le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, et ont jeté le trouble dans l’opinion. L’extrême droite était partagée entre sa solide doctrine de rejet de l'immigration dans sa globalité et la nécessité chrétienne d’accueil et de refuge.
Même le président Macron a été obligé de naviguer dans son éternel «en même temps» qu’il essaie d’appliquer face à ce qui est perçu comme «le fléau de l’immigration». Il a à la fois pris une posture déterminée à s’opposer à toute vague migratoire tout en reconnaissant la nécessité d’ harmoniser ses valeurs d’accueil avec ceux du chef de l’église catholique.
Ni les pays de premières arrivées n’acceptent de bon cœur d’être aux premières loges pour gérer cette crise ni les autres pays européens, notamment ceux de l’Est, qui ne veulent se soumettre à la logique des quotas obligatoires.
- Mustapha Tossa
Dans tous les cas de figure, cette crise migratoire est une grande opportunité pour l’extrême droite. Elle agit comme un carburant électoral qui mobilise contre la politique du gouvernement en la matière. Son importance est dans son timing. La crise intervient dans une année électorale européenne décisive où certaines forces tentent de réécrire la géographie politique du Parlement européen au profit de forces qui rêvent de transformer l’espace européen en citadelle hermétique.
Cette crise migratoire pose aussi des défis majeurs à la politique européenne de l’immigration. Récemment, le «big deal» signé avec la Tunisie afin de faire baisser les arrivées de migrants a fait grand bruit médiatique. En échange d’une aide économique sonnante et trébuchante et d’un appui politique important auprès des institutions financières internationales, la Tunisie de Kaïs Saïed s’est en effet engagée à lutter sans merci contre les réseaux de trafic d’êtres humains qui inondent d’immigrés la côte sud de la Méditerranée.
Or, les faits dramatiques de Lampedusa ont montré les limites de ce contrat avec la Tunisie que Bruxelles rêvait de dupliquer avec d’autres pays de la région.
Mais le défi majeur de cette crise migratoire est une épreuve inédite de la solidarité européenne en la matière. La solution trouvée par Bruxelles passe par le traitement de dossiers d’asile par les pays d’arrivée et la répartition la plus équitable avec d’autres pays européens du fardeau de cette immigration.
Or ni les pays de premières arrivées n’acceptent de bon cœur d’être aux premières loges pour gérer cette crise ni les autres pays européens, notamment ceux de l’Est, qui ne veulent se soumettre à la logique des quotas obligatoires. La solidarité européenne est mise à rude épreuve par cette crise. L’Europe se retrouve face à un choix important: soit elle tient sur ses fondamentaux de solidarité et résiste à ces pressions externes et internes, soit elle se fissure sur ces questions, remettant gravement en cause le projet européen commun.
Ce n’est donc pas un hasard si, pour tous les hommes politiques qui comptent aujourd’hui, la gestion de la crise migratoire est une priorité absolue. Tous les programmes politiques, tous les discours, toutes les postures sont élaborées en fonction de la capacité à apporter des solutions aux grands défis de la pression migratoire qui s’exercent sur le continent européen.
Le prochain scrutin européen prévu en juin prochain se déroulera à n’en pas douter sur le rythme d’une campagne autour d’un seul sujet: les capacités des uns et des autres à lutter avec efficacité et humanité contre ces vagues migratoires. Les différentes écuries aiguisent déjà leurs argumentaires, avec une compétition ouverte des solutions les plus radicales les unes que les autres.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.