NEW YORK: Depuis le jour de sa création, le rôle et les responsabilités du secrétaire général des Nations Unies sont quelque peu ambigus.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'ambivalence des puissances alliées victorieuses à l'égard du poste, autrefois surnommé « le travail le plus impossible sur terre », était évidente dès la toute première réunion il y a 75 ans.
Lorsque la discussion s’est penchée sur la nomination du premier secrétaire général, les Alliés (la Grande-Bretagne, la France, la Chine, les États-Unis et l’Union soviétique), ont pris fermement position contre un secrétaire général directement élu par l'Assemblée générale en défendant le droit de veto qu’ils ont acquis plus tard à l’égard du processus de nomination en tant que membres permanents du Conseil de sécurité.
Il est également devenu évident dès le début que le choix d'un secrétaire général ne serait basé sur aucune qualification, aucun niveau ou même aucune qualité de leadership, mais serait simplement déterminé par ce que veulent les deux puissances, les États-Unis et l'Union soviétique.
Quoique que l'article 97 de la Charte des Nations Unies accorde la responsabilité de sélectionner un secrétaire général des Nations Unies à l'Assemblée générale, « agissant sur la recommandation du Conseil de sécurité », le rôle de l'Assemblée pendant les 70 premières années s'est limité à approuver sans hésiter la décision du cinq membres permanents du conseil (connus sous le nom de P5) qui ne « recommande » qu’un seul candidat à l'assemblée dans le but de sa nomination.
Les candidats ont été contraints de conclure des accords en coulisses afin d’obtenir le soutien du P5 en échange de postes prometteurs de haut niveau aux Nations Unies pour leurs citoyens. À titre d’exemple, en 1996, la France a opposé son veto à Kofi Annan jusqu'à ce qu'il accepte de nommer un français à la tête des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
Le processus de sélection inintelligible a abouti à une crise de crédibilité qui entache l'organisme mondial depuis des décennies.
Néanmoins, il y a cinq ans, cela a vraiment commencé à changer.
Le 13 octobre 2016, l'Assemblée générale a nommé pour la première fois depuis la création de l'ONU, un secrétaire général qui n'était pas le premier choix des États-Unis et de la Russie: Antonio Guterres.
La sélection de Guterres a toutefois couronné des années de lobbying intense de la part de groupes de la société civile et de certains membres de l'Assemblée générale pour un processus de sélection plus ouvert et plus inclusif.
La campagne, menée à New York et dans d'autres grandes capitales, a abouti à l'adoption par l'Assemblée générale de la résolution historique 69/321 en septembre 2015, qui appelle à un calendrier général pour le processus de sélection et propose des critères pour un candidat incarnant les plus hauts critères de compétence et d'intégrité.
L'Assemblée générale a accepté de publier les noms de tous les candidats, ainsi que leurs CV et leurs déclarations de mission tout en invitant les États à proposer des candidates. Plus tard, la résolution 70/305 s'est opposée à un monopole des postes de haut niveau à l'ONU par tout État ou tout groupe d'États.
« Cela ne semble pas révolutionnaire, mais c'était vraiment le cas - d'avoir les noms des candidats dans le domaine public », a affirmé Ben Donaldson, co-fondateur de la campagne mondiale 1 for 7 Billion : « Trouvez le meilleur leader des Nations Unies », un groupe de la société civile qui a lancé une campagne en vue de réformer le processus en 2014 et a depuis été rejoint par 750 ONG et leurs groupes affiliés dans le monde entiers.
« Pour nous et pour beaucoup d'autres membres de la société civile, il semblait scandaleux qu'il n'y ait pas de qualifications essentielles, pas de processus de candidature, pas de présélection, rien dans le domaine public sur la façon même avec laquelle le candidat retenu est choisi.
« Il semblait insensé que, pour un tel poste qui est à l'avant-garde de la riposte aux défis mondiaux tels que le changement climatique et les catastrophes humanitaires, il y ait si peu d'examen et de transparence ».
Le 15 décembre 2015, un an avant la fin du mandat de Ban Ki-moon en tant que secrétaire général, la présidente du Conseil de sécurité, l'ambassadrice américaine Samantha Power, et le président de l'Assemblée générale, Mogens Lykketoft, ont envoyé une lettre conjointe lançant ainsi le processus de sélection.
Lykketoft, le président proactif de la 70e Assemblée générale qui s'est donné pour priorité de « créer plus de transparence et d'ouverture lors de la sélection du prochain secrétaire général », a mis en place un site Web répertoriant les candidats ainsi que leurs visions.
Des conférences ont été organisées et diffusées en ligne et les États membres ont été autorisés à sonder les 13 candidats - 7 femmes et 6 hommes - sur leur bilan et leur vision de l'avenir. Des questions ont été posées de partout dans le monde au moment où des milliers de citoyens ont pris part aux réunions.
« C'était donc une vraie révolution: dès qu'il y avait des candidats, des visions et des CV dans le domaine public, tout à coup cela a ouvert toute une vague de transparence, ainsi que de vastes débats dans la salle de l'AG sur l'avenir de l'ONU : quel genre d’organisation devrions-nous être ? Et comment pouvons-nous nous transformer en une organisation principale plus saine et plus ouverte afin de faire face aux catastrophes auxquelles l'humanité est confrontée? », a déclaré Donaldson à Arab News.
Deux groupes à l'Assemblée générale sont devenus les plus fervents défenseurs d'un processus ouvert et inclusif et qui ont rapidement uni leurs efforts avec 1 for 7 Billion - le groupe de responsabilité, de cohérence et de transparence (RCT) de 25 États, dont la Jordanie et l'Arabie saoudite sont membres, et les 120 États qui forment le Mouvement des pays non alignés (MNA), coordonné par l'Algérie.
Pendant des années, ils ne cessent de réclamer un rôle plus fort de l'Assemblée générale dans la sélection et plus de transparence et d'inclusivité.
« Mais les réformes ne sont allées que peu loin », a déclaré Donaldson.
« Parce qu'après la période d'inclusivité et de transparence lors de la course de 2016, le processus est revenu au Conseil de sécurité où la décision de savoir qui allait devenir le prochain secrétaire général s'est déroulée à huis clos où les membres permanents détiennent encore le veto. Le Conseil de sécurité a ensuite recommandé la nomination d’un seul candidat à l’Assemblée générale.
« Ainsi, les réformes sont restées fidèles à la Charte des Nations Unies mais, surtout, la volonté de l'Assemblée générale a pu atténuer la volonté du P5 et cela représente en effet un énorme succès. À 1 for 7 Billion, nous sommes ravis d'avoir pu réduire une partie de la puissance et des privilèges auxquels les P5 ont pu s'accrocher pendant des années.
Le premier mandat de Guterres prendra fin dans un an à peine, Donaldson a exhorté le président de la 75e Assemblée générale à travailler avec son homologue au Conseil de sécurité afin de lancer le processus de sélection en présentant un plan bien structuré pour la nomination du prochain secrétaire général.
En raison de la pandémie de la Covid-19, les réunions de l'Assemblée générale visant à améliorer le processus de sélection – de grande importance cette fois-ci, car cela pourrait impliquer un titulaire de poste pour un second mandat - n'ont malheureusement pas eu lieu.
« En raison de ce bouleversement, nous pourrions nous retrouver à manquer par mégarde, une occasion de renforcer les réformes formidables qui ont eu lieu en 2015-2016 », a expliqué Donaldson. « Au sens large, l'ONU pourrait manquer l'occasion de renforcer sa légitimité en menant un processus transparent et inclusif dans le but de nommer son prochain leader ».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com