Le monde se démène en réaction aux manifestations d’une coordination russo-iranienne de plus en plus symbiotique, qui défie l’ensemble des normes internationales et compromet foncièrement la sécurité mondiale.
L’Iran s’est empressé d’accorder son soutien à la Russie alors que l’Ukraine en avait besoin, après des années au cours desquelles Moscou a offert des bouées de sauvetage à son allié du sud. La Russie a en effet utilisé à plusieurs reprises son veto au Conseil de sécurité pour protéger l’Iran, elle a fourni à Téhéran une aide en matière de défense et pour éviter les sanctions, et est venue à son secours de manière cruciale en Syrie.
Téhéran a réciproquement redynamisé les difficiles efforts de guerre de la Russie en lui fournissant à prix réduit des centaines de drones kamikazes ainsi que diverses armes. Cet accord de plusieurs milliards de dollars permettra notamment à l’Iran d’aider Moscou à créer sa propre industrie nationale de drones de guerre, visant à fabriquer 6 000 drones d’ici à mi-2025.
Moscou a cherché à fabriquer une variante du drone d’attaque iranien Shahed 136 d’une portée de plus de 1 600 km. En raison de son moteur bruyant et dépassé, semblable à celui d'une tondeuse à gazon, les Ukrainiens ont surnommé le Shahed 136 «le cyclomoteur volant». Cette arme a néanmoins eu un impact dévastateur sur les infrastructures civiles de Kiev et sur les silos à grains contenant des milliers de tonnes de denrées alimentaires essentielles pour le monde en développement.
Les techniciens russes cherchent à surmonter les techniques de fabrication obsolètes et le mauvais contrôle de qualité de l’Iran. Environ 25% des drones expédiés d’Iran se sont avérés inutilisables. Selon le Washington Post, la Russie souhaitait passer des lancements limités actuels de Shahed à des frappes massives utilisant des centaines de drones kamikazes, avec une technologie permettant aux drones d’essaimer et de coordonner de manière autonome des frappes ciblées. Des observateurs comme le Hezbollah, la Corée du Nord et Daech suivront de près ces innovations et en tireront leurs propres leçons.
Des accords sont en place pour partager ces innovations avec Téhéran, dans un cycle non vertueux de coopération mutuelle qui élèverait les capacités militaires de ces deux agresseurs à des niveaux entièrement nouveaux. L’Iran espère en outre garantir un accès futur aux systèmes avancés de défense aérienne russes S-400, ainsi qu’aux avions de combat Su-35.
Moscou et Téhéran ont réussi tout cela en dépit de lourdes sanctions internationales. C’est d’autant plus frappant que 90 % des composants électroniques de ces systèmes de drones ont été fabriqués par des entreprises occidentales.
Entre-temps, des efforts importants sont faits pour harmoniser les systèmes bancaires russe et iranien afin d’échapper aux sanctions. Des centaines de banques seraient concernées, avec la possibilité d'établir des liens supplémentaires avec les systèmes bancaires chinois et asiatiques.
Les deux pays construisent une route commerciale transcontinentale de 3 200 km défiant les sanctions, de l’Europe de l’Est à l’océan Indien. Ce projet comprend la modernisation des ports de la mer Caspienne, une liaison ferroviaire via le Kazakhstan et le Turkménistan, ainsi qu'un chemin de fer de 164 km de construction russe, traversant l'Iran jusqu'au port de Bandar Abbas.
«Les frappes de drones contre les centrales électriques de Kiev ne sont que la pointe de l’iceberg de ce système transcontinental émergent… qui met l’Europe, le CCG et l’Asie du Sud-Est sous la menace d’une agression militaire»
Baria Alamuddin
Des plans sont également en place pour que le conglomérat Khatam al-Anbiya des Gardiens de la révolution construise une ligne ferroviaire reliant l’Iran au port irakien de Fao, avec des connexions vers la Syrie et la Méditerranée, reliant ainsi sans entrave les alliés de «l’Axe du mal» de Téhéran. Si l’on prend en compte l’initiative chinoise de «la Ceinture et la Route», il est facile de comprendre à quel point les transports et les connexions bancaires transasiatiques rendent les sanctions occidentales inutiles.
Les négociations américaines avec Téhéran visent à mettre fin à la poursuite de l’enrichissement nucléaire en échange d’un allègement des sanctions. Avec un optimisme louable, Washington cherche à s’engager à mettre un terme aux expéditions de drones et à la coopération militaire entre l’Iran et la Russie. Compte tenu de leur proximité géographique, de tels accords seraient presque impossibles à contrôler, d’autant plus que l’Iran et la Russie nient systématiquement l’existence d’une telle coopération.
Aux côtés des drones, l’Iran possède de loin le plus grand programme de missiles balistiques de la région – même s’il n’est pas nécessairement le plus efficace. L’Iran, la Russie, la Chine et la Corée du Nord comptent quant à eux parmi les principaux partisans de la cyberguerre, un autre moyen de mener une guerre à moindre coût. Les infrastructures vitales des États arabes du Golfe et des pays européens ont déjà subi des milliers de cyberattaques. L’Iran partage généreusement ses connaissances en matière de drones, de missiles et de cybersécurité avec des milices supplétives en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban, et a organisé des frappes répétées dans tout le Conseil de coopération du Golfe (CCG), et notamment l’attaque de 2019 contre des installations saoudiennes de traitement du pétrole.
Cependant, il est parfaitement possible que ces régimes voyous provoquent mutuellement leur mort. Cette protection réciproque, au niveau local et sur la scène internationale, berce les dirigeants dans un faux sentiment de sécurité leur donnant l’impression qu’ils peuvent massacrer leurs civils et menacer leurs voisins en toute impunité. Pourtant, le soulèvement massif en 2022 d’écolières et de femmes iraniennes en rébellion, ainsi que le coup d’État bâclé de l’un des plus proches seigneurs de guerre alliés de Vladimir Poutine, ont mis en évidence à quel point ces juntes fantoches étaient fragiles et impopulaires. Un jour prochain, ces régimes belliqueux se lanceront dans un combat qu’ils ne pourront pas gagner.
La récente intégration de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai et au groupe des Brics donne également naissance à deux organismes à travers lesquels la Russie, l’Iran et la Chine peuvent projeter leurs programmes antidémocratiques. L’accord avec la Chine visant à investir jusqu’à 400 milliards de dollars (un dollar = 0, 93 euro) dans l’économie iranienne au cours des vingt-cinq prochaines années a permis une amélioration majeure de cette relation bilatérale, avec un programme similaire visant à saper la suprématie mondiale de l’Occident.
Les frappes de drones contre les centrales électriques de Kiev ne sont que la pointe de l'iceberg de ce système transcontinental émergent, spécifiquement créé pour renverser les normes internationales et faciliter la prolifération de l'argent sale, de la technologie nucléaire et des armes lourdes – mettant l'Europe, le CCG et l'Asie du Sud-Est sous la menace d'une agression militaire.
Les coûts de production à bas prix des drones armés et de la cyberguerre ont de profondes implications sur la manière dont les conflits futurs seront menés, laissant entrevoir la possibilité que des groupes paramilitaires et terroristes soutenus par Téhéran puissent organiser des attaques diversifiées contre des villes en utilisant des nuées de drones et de missiles.
Alors que les anciens drones et fusées ne sont pas à la hauteur des systèmes de défense antimissile d’Israël et des États-Unis, cette menace de «dépassement» militaire empêche les généraux de dormir, inquiets que l’Iran, la Corée du Nord ou le Hezbollah lancent simultanément un si grand nombre d’attaques qu’ils ne surchargent la capacité des systèmes de défense pour la neutralisation de l'assaut.
Alors que l’Ukraine organise également des attaques aveugles de drones contre la Russie et intensifie sa propre production de telles armes, cela rappelle à Poutine que la capacité de mener une guerre avec des armes peu chères est susceptible d’aller dans les deux sens. En attendant, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un large éventail d’autres acteurs mineurs ne se joignent à cette course aux armements.
Nous ne devrions pas simplement essayer de tranquilliser ou d’ignorer les principaux producteurs d’armes bon marché, comme l’Iran. Cette menace d'armes de carnage de masse si bon marché qu'elles peuvent être achetées par quelqu'un avec un revenu moyen doit être combattue frontalement, avec des conventions internationales rigoureusement appliquées restreignant leur fabrication, leur vente et leur utilisation, ainsi que l'exportation de leurs composants clés, si nous voulons éviter un scénario dans lequel les frappes sauvages contre des infrastructures vitales ou des terroristes menaçant des villes entières ne deviennent la norme.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans ces pages est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com