Pendant la conférence annuelle des ambassadeurs à l'étranger, le président français, Emmanuel Macron, a tenu la semaine dernière des propos prémonitoires concernant la situation politique en Afrique en parlant «d’épidémie des coups d'État» sur le continent. Le 30 août, le Gabon rejoint le cercle des pays africains gouvernés par les régimes militaires, après plus d'un demi-siècle de pouvoir de la dynastie Bongo.
La spirale des putschs militaires au Sahel qui s’étend désormais à l'Afrique centrale, est à analyser selon trois paramètres: tout d’abord, la fin du concept géopolitique du «Sahel» à l'issue des quatre coups d'État qui ont secoué dans un court intervalle cette bande charnière entre les trois régions du continent: le nord, l'ouest et le centre. Le concept du Sahel a été en effet la consécration d'une vision géopolitique particulière des grands enjeux stratégiques et sécuritaires du continent, en fonction des impératifs de stabilisation et de normalisation des entrées et accès mous et fragiles aux zones les plus sensibles et importantes de la région.
La communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), créée en 1975 par 15 pays de la région, comme noyau d'intégration économique et géopolitique au sein du continent, a achoppé sur la question complexe des coups d'État qui se sont succédé dans la région ces deux dernières années.
Seyid Ould Abah
La notion du Sahel est en effet une aberration géographique notoire, qui occulte l'enchevêtrement complexe des rapports intenses entre l'espace du grand Sahara et la région du golfe de Guinée. Elle a été conçue par la taxinomie coloniale pour désigner un zone tampon entre l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale, tout en excluant des pays relevant de l'espace ouest-africain comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire.
Après le déclenchement du processus continu de violence radicale dans les pays «sahéliens» (Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), un nouvel organisme régional nommé «G5 Sahel» a vu le jour en 2014, regroupant en plus des pays cités la Mauritanie, qui appartient à la fois aux deux espaces maghrébin et sahélien.
Force est de constater aujourd'hui que ce regroupement régional est frappée de léthargie profonde, et n'est plus en mesure d'assurer la mission géopolitique qui lui a été assignée par ses membres et ses partenaires internationaux.
La communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), créée en 1975 par 15 pays de la région, comme noyau d'intégration économique et géopolitique au sein du continent, a achoppé sur la question complexe des coups d'État qui se sont succédé dans la région ces deux dernières années. Tout en arrêtant une ligne dure face aux changements anticonstitutionnels des régimes politiques, la Cédéao a été incapable d'influer sur les processus de fluctuations internes au sein des pays membres. L'exemple nigérien en est une démonstration avérée.
La seconde donnée à prendre en compte pour ce qui se passe dans la région est la fin du concept du «pré carré» africain de la France. Ce concept remontant aux premières années de l'indépendance des anciennes colonies africaines de la France, s'incarnait dans des institutions et pratiques concrètes qui sont en voie d'effritement (accords monétaires et financiers, bases militaires, parrainage politique…). Les cinq coups de force survenus dernièrement en Afrique se sont déroulés dans la zone d'influence française. La recrudescence des sentiments antifrançais dans toute la région a été concomitante avec le rapprochement des nouveaux régimes militaires avec la Russie et la mise en fin des accords de défense ultérieurs avec la France. Les autorités françaises ont reconnu avec amertume cette situation de perte d'influence en Afrique, en prônant une nouvelle ligne de conduite à envisager pour l'avenir.
Troisième facteur en jeu: la fin des démocraties incomplètes ou boiteuses, qui sont plutôt des régimes d'«autoritarisme compétitif» («Competitive authoritarianism», concept développé par Steven Levitsky) qui combinent le despotisme intégral avec les mécanismes formels de la démocratie représentative. Dans la plupart des pays gouvernés actuellement par les transitions militaires, les coups de force ont été largement accueillis par une véritable liesse populaire qui contraste clairement avec la position radicale de rejet international.
Au Gabon en particulier, le dernier putsch a été perçu comme un réajustement nécessaire du processus démocratique confisqué durant plusieurs décennies par la dynastie Bongo. Les dernières élections présidentielles organisées au Gabon ont été particulièrement entachées d'irrégularités qui les ont rendues caduques et sans intérêt.
Le sociologue historien mauritanien Abdel Wedoud ould Cheikh s'est posé la question cruciale suivante: la demande démocratique est-elle réelle en Afrique? Il a pointé avec ironie «une demande despotique» concurrente, qui reflète les enjeux sociaux complexes des sociétés africaines. Le débat est on ne peut plus actuel.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.