Darmanin se positionne pour 2027

Pour le ministre de l’Intérieur, adoubé par l’ex-président de la république Nicolas Sarkozy, il était clair que la case «Élysée» ne pouvait être conquise qu’en passant par la case «Matignon». (AFP).
Pour le ministre de l’Intérieur, adoubé par l’ex-président de la république Nicolas Sarkozy, il était clair que la case «Élysée» ne pouvait être conquise qu’en passant par la case «Matignon». (AFP).
Short Url
Publié le Mercredi 06 septembre 2023

Darmanin se positionne pour 2027

Darmanin se positionne pour 2027
  • Dans les milieux gouvernementaux, l’impression qui domine est que Gérald Darmanin a choisi de dévoiler ses ambitions plus tôt que prévu sous l’effet de l’amertume et de la déception
  • Il y avait au sujet des ambitions présidentielles des membres du gouvernement une forme d’entente tacite: les hostilités ne devaient être lancées qu’en 2025

En France, la rentrée politique est aujourd’hui marquée par deux faits majeurs: la tentative d’Emmanuel Macron pour redonner un souffle à son second mandat à travers la relance du dialogue avec l’opposition et la proposition d’idées référendaires sur des sujets de société; et l’attitude du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui se positionne ouvertement pour la présidentielle de 2027.

Les deux faits ne laissent personne indifférent. Emmanuel Macron recherche de manière frénétique, presque désespérée, une majorité absolue au Parlement afin d’éviter le spectre répétitif et castrateur du fameux 49.3, l’article de la Constitution. Quant à l’initiative de Gérald Darmanin, elle risque de faire souffler avant l’heure sur le gouvernement un tourbillon de préoccupations électoralistes.

Dans les milieux gouvernementaux, l’impression qui domine est que Gérald Darmanin a choisi de dévoiler ses ambitions plus tôt que prévu sous l’effet de l’amertume et de la déception. Il était presque sûr que le président Macron le nommerait Premier ministre à la place d’Élisabeth Borne, dont la crédibilité et la gouvernance ont été épuisées par la crise de la réforme des retraites et le recours excessif au 49.3, cet article qui tue le débat et le vote parlementaire relatif aux projets de réformes présentés par le gouvernement.

Il y avait au sujet des ambitions présidentielles des membres du gouvernement une forme d’entente tacite: les hostilités ne devaient être lancées qu’en 2025. L’idée est que les préoccupations électorales des uns et des autres ne devaient pas parasiter l’action du gouvernement, provoquer des tensions ou susciter des compétitions paralysantes. En se positionnant aussi ouvertement pour 2027, Gérald Darmanin vient de faire voler en éclat ce fragile équilibre politique.

Pour le ministre de l’Intérieur, adoubé par l’ex-président de la république Nicolas Sarkozy, il était clair que la case «Élysée» ne pouvait être conquise qu’en passant par la case «Matignon». C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il tenait tant à être nommé Premier ministre en lieu et place d’Elisabeth Borne.

Il faut dire que, en France, la situation est très particulière. Par la Constitution, Emmanuel Macron ne peut prétendre à un troisième mandat. Le soir de sa réélection, la bataille du troisième mandat a été lancée dans l’esprit de son entourage et de ses ministres. Chacun des prétendants, voire des héritiers probables, rongeait son frein et attendait le timing adéquat pour se lancer.

Darmanin pourra-t-il figurer dans le casting gouvernemental en adoptant un comportement de futur candidat à la présidentielle?

Gérald Darmanin affronte une situation politique inédite. Ni la gauche, avec toutes ses composantes, ni la droite républicaine ne sont pour le moment en mesure de fournir un leadership susceptible de barrer la route de l’Élysée à Marine Le Pen, soutenue par des vents favorables à l’extrême droite en Europe. Avec son parcours politique et ses responsabilités sécuritaires au sein du gouvernement, Gérald Darmanin pense être l’homme capable d’empêcher l’accession de Marine Le Pen au pouvoir en 2027, qu’il estime fort probable.

Cette sortie de Gérald Darmanin sur la prochaine présidentielle n’est pas anodine et elle aura un impact politique important à la fois sur Emmanuel Macron et sur son gouvernement, dirigé par Élisabeth Borne. Elle entraîne de nombreuses interrogations et de nouvelles difficultés. Darmanin pourra-t-il figurer dans le casting gouvernemental en adoptant un comportement de futur candidat à la présidentielle? N’y a-t-il pas un risque que le ministre de l’Intérieur utilise sa fonction et les moyens que lui offre l’État pour faire avancer son agenda et se positionner comme le recours providentiel en 2027?

Ces questions seront vraisemblablement posées aussi bien par ses collègues du gouvernement que par l’opposition, qui verra sans doute dans la moindre action du ministre Darmanin une stratégie de conquête électorale à travers une recherche permanente d’alliances et de soutiens, et non un service désintéressé au profit des institutions de l’État et des Français.

Par ailleurs, ce positionnement précoce de Darmanin pour 2027 risque de faire sortir de l’ombre d’autres ambitions et d’autres personnalités qui convoitent ce scrutin. Il est question par exemple de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, présenté par la presse comme un éternel concurrent de Gérald Darmanin, aussi bien pour Matignon que pour l’Élysée.

En plus d’être confronté à une majorité qui cherchera à rendre difficile le reste de son second mandat, Emmanuel Macron aura à gérer les impatiences et les appétits de ses ministres. Il faudra sans doute agir pour éviter la cacophonie et la paralysie que pourrait provoquer une course anticipée vers la présidentielle et ses conséquences sur l’action du gouvernement. Pour le président français, il s’agit d’une tâche immense et d’un défi inédit.

 

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française etinternationale à dominance arabe et maghrébine. Twitter: @tossamus
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.