PARIS: Alors que les ressources financières du pays s’amenuisent, les entreprises publiques algériennes font face à des problèmes structurels de trésorerie. Quelles sont les solutions envisagées pour assurer la sauvegarde des groupes publics en situation d’asphyxie financière?
Les entreprises du secteur public marchand, du transport et des travaux publics sont celles qui enregistrent le gros déficit en matière de trésorerie. Dans un entretien accordé au journal algérien El Watan, Habane Assad, analyste financier et fondateur du cabinet Finabi Conseil, explique cette situation par «les déséquilibres financiers diffus, car le coût de production de ces entreprises est plombé par les charges financières payées, la masse salariale pléthorique et un coût de maintenance des investissements prohibitif ».
L’expert précise que les injections de l’État ne servent qu’à «maintenir en vie l’entité publique», et ajoute: «Ces effets pervers sont liés à la compensation du chiffre d’affaires et des subventions d’équipements accordées à certains groupes publics comme la Société nationale des transports algériens (SNTF), Air Algérie et le groupe industriel énergétique Sonelgaz». Habane Assad va plus loin: il plaide pour des prises de décisions courageuses concernant le secteur public, car, explique-t-il, «la dette publique ira crescendo dès 2022, puisqu’il n’y a plus d’épargne publique pour financer ces errements».
Gouvernance et cahier des charges conditionnent l’aide de l’État
De son côté, le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, impose une condition: la mise en œuvre d’une modernisation du mode de gouvernance aux entreprises publiques en difficulté financière qui aspireraient à un accompagnement de l’État. «Nous tenons à préserver le tissu industriel national, et toutes les entreprises publiques ou privées seront accompagnées par l’État d’une manière ou d’une autre», précise le ministre des Finances. «Mais nous serons très regardants sur le mode de gouvernance et sur le management de ces entreprises.»
Selon l’Agence presse service (APS), le ministre des Finances a déclaré que l’aide financière serait toutefois conditionnée par la mise en œuvre d’un cahier des charges qui assurera la transparence et la rigueur. «Le cahier de charges en question sera élaboré par le Trésor public, les banques publiques et les entreprises industrielles publiques», a indiqué M. Benabderrahmane dans une déclaration à la presse algérienne lors du lancement du portail électronique du ministère des Finances.
Aymen Benabderrahmane n’a pas manqué de rappeler que cette pratique n’est pas propre à l’Algérie. «Le conditionnement de l’aide aux entreprises est une pratique universelle», fait savoir le ministre qui assure que ce procédé est un des moyens qui permettront aux autorités publiques de faire des évaluations régulières pour contrôler l’octroi et l’utilisation des prêts consentis. «L’État doit s’assurer que l’argent consacré pour ces entreprises sera utilisé à bon escient», confirme-t-il.
Situation d’endettement structurel
En Algérie, l’endettement structurel constitue un frein au développement des entreprises publiques. Malgré la mise en place de nombreux plans d’assainissement et de plans de financement colossaux de l’État, les entreprises publiques demeurent déficitaires.
«Depuis une dizaine d’années, des entreprises nationales ont en effet bénéficié d’un fonds d’assainissement qui dépassait les milles milliards de dinars (1 dinar algérien = 0,0062 euro), mais leur situation actuelle n’est pas reluisante», déplore le ministre des Finances.
«Les opérations d’assainissement faites dans le passé n’ont pas porté leurs fruits», confirme le premier argentier de l’État qui recommande «de changer les anciennes méthodes de soutien aux entreprise». «Car, à chaque fois, l’État n’a pas imposé les conditions strictes et rigoureuses qui auraient exigé des entreprises qu’elles adoptent des méthodes de gouvernance adaptées aux conditions du marché.»
Enfin, le ministre a fait savoir, que désormais, «il n’y aura plus de versement d’aide financière sans un préalable au mode de gouvernance des structures de ces entreprises, qui doit être adapté aux besoins du marché algérien mais surtout à la qualité de la production qui va être destinée à l’exportation».
Dans un rapport d’appréciation sur l’avant-projet de loi sur le règlement budgétaire de l’exercice 2018, divulgué le 15 décembre, la Cour des comptes a démontré «les défaillances» dans les opérations d’investissement public. Lors de la présentation du rapport devant la Commission des finances et du budget à l’Assemblée populaire nationale (APN), Abdelkader ben Maarouf, son président, a insisté sur la nécessité de maîtriser le budget d’investissement destiné au secteur public et le remboursement des crédits octroyés aux entreprises publiques.
Financement non conventionnel
En ligne de mire, le financement non conventionnel accordé par le gouvernement au cours de l’année 2018. «L’efficacité des dépenses publiques et l’exécution des crédits alloués à certains secteurs constituent le noyau et une problématique dans la méthode de gestion des deniers publics», affirme le président de la Cour des comptes.
Selon la Cour des comptes, le déficit budgétaire global a atteint 2 082 milliards de dinars en 2018, soit trois fois plus qu’en 2017, avec une hausse significative pour les dépenses d’équipement (+ 74,1 %). Quant à la dette publique, elle est évaluée par l’organisme à 7 778 milliards de dinars, soit 38 % du produit intérieur brut (PIB).
De son côté, dans une déclaration récente à l’APS, Ferhat Ait Ali Braham, ministre de l’Industrie, opte pour de l’ouverture du capital via le marché boursier, une option qui pourrait être retenue pour les entreprises en difficulté qui nécessitent «des recapitalisations cycliques». Ainsi, le ministre explique qu’un audit global du secteur industriel public est en cours de réalisation, lequel permettra de «désigner ce qui est privatisable et de fixer les conditions d’accès aux capitaux».
Enfin, le ministre de l’Industrie considère que le recours à la privatisation est «la meilleure option», car elle permet, selon lui, «aux épargnants algériens de refinancer le tissu industriel national réduisant ainsi le recours au Trésor public».
Les autorités publiques pourront-elles cette fois endiguer l’endettement structurel de certaines entreprises publiques qui dure depuis des décennies? Affaire à suivre.