Dans un pays où les systèmes financiers, sanitaires et sociaux se sont effondrés, où la moitié de la population est affamée, où l’on compte quatre millions de toxicomanes et où 20% des gens souffrent de troubles mentaux, les talibans sont obsédés par un seul objectif: priver les femmes de toute forme d’existence utile.
Parmi les 80 décrets publiés au cours de leurs deux années de pouvoir en Afghanistan, 54 sont explicitement dirigés contre les femmes dans le but de supprimer leurs libertés et leurs droits fondamentaux.
«La plupart des filles de ma classe ont eu des pensées suicidaires. Nous souffrons toutes de dépression et d’anxiété. Nous n’avons plus d'espoir.» Tels sont les mots d’une jeune Afghane d’une vingtaine d’années qui devrait avoir toute la vie devant elle, mais qui a tenté de mettre fin à ses jours après que l’accès à l’université lui a été interdit. Un rapport des Nations unies a constaté une augmentation du nombre de femmes qui ont tenté de se suicider. Les adolescentes, à qui on a refusé la poursuite de leurs études ou de leur carrière, sont particulièrement vulnérables.
«La plupart de nos patients sont des femmes, des militantes des droits de la femme, d’anciennes employées du gouvernement, des journalistes et des femmes qui travaillaient activement sous le précédent gouvernement afghan, mais qui ont maintenant perdu leur emploi», explique un praticien de la santé mentale.
Compte tenu de l’extrême marginalisation et de la discrimination auxquelles les femmes sont traditionnellement confrontées, l’Afghanistan a la triste particularité d’être le seul pays où le taux de suicide des femmes est nettement supérieur à celui des hommes. Il représente en effet plus de 80% des cas. Les niveaux de violence domestique sont parmi les plus élevés au monde.
Pour illustrer le fait que les femmes sont traitées comme des unités d’échange sans voix, on estime que 10% des mariages résultent d’une coutume tribale selon laquelle une fille de la famille d’un criminel condamné est offerte en compensation aux parents de la victime en tant que servante ou épouse. 80% des mariages se font sans le consentement de la mariée, qui est souvent une enfant.
Dans certaines provinces, les talibans ont demandé aux écoles de ne plus scolariser les filles au-delà de la troisième année, alors que la norme actuelle est la sixième année. Cette mesure correspond au manifeste des talibans, selon lequel les filles deviennent des adultes à partir de l’âge de 9 ans.
La fermeture des salons de beauté a supprimé l’un des rares espaces sûrs où les femmes pouvaient se réunir, les rapprochant un peu plus d’une condamnation à vie à l’assignation à résidence dans l’ensemble du pays. La fermeture des salons signifie que 60 000 autres femmes perdent leurs revenus.
L’Afghanistan possède toutefois un secteur de croissance: le chef suprême, Haibatullah Akhundzada, a ordonné la création de 100 000 emplois dans le secteur des madrasa, réaffectant les ressources et le personnel de l’enseignement général. Des dizaines de millions de dollars (1 dollar = 0,92 euro) ont été dépensés pour des centaines de nouvelles madrasa réservées aux garçons, qui accueilleront plusieurs millions d’enfants. Dans les écoles restantes, privées de financement, qui n’ont pas été converties en madrasa, les matières modernes sont remplacées par un enseignement islamique talibanisé.
Le mois dernier, les talibans ont fermé les 49 centres de formation des enseignants d’Afghanistan. Cette mesure est particulièrement désastreuse, car plus de la moitié du personnel de nombreux établissements d’enseignement a fui à l’étranger.
«La profondeur et l’ampleur des changements opérés par les autorités talibanes chargées de l’enseignement supérieur – avec des répercussions profondes et étendues – indiquent un processus rapide et radical de talibanisation, de théocratisation et d’instrumentalisation de l’enseignement supérieur», avertit un document de recherche. «Un problème encore plus grave que celui des filles qui ne peuvent pas aller à l’école est celui des garçons qui y vont», observe le magazine Foreign Policy. En effet, «le programme extrémiste apprend aux enfants à haïr, et non à penser».
Bien que les talibans soient censés combattre Daech, ces politiques antiéducation sont un cadeau pour les groupes extrémistes, car elles nourrissent une génération d’hommes imprégnés des interprétations les plus rétrogrades et les plus intolérantes de l’islam sans autre compétence ni perspective économique.
Parmi les 80 décrets publiés au cours des deux années de pouvoir des talibans en Afghanistan, 54 sont explicitement dirigés contre les femmes dans le but d'effacer leurs libertés et leurs droits fondamentaux.
Baria Alamuddin
Les observateurs avertissent que les talibans ferment les yeux sur l’expansion d’Al-Qaïda, du Tehrik-e-Taliban Pakistan et d’autres entités dont les objectifs sont similaires, en violation explicite des engagements pris par les talibans dans le cadre de l’accord de Doha. Et, pendant ce temps, la liberté d’expression et la protection des médias sont inexistantes. Au cours de ce mois, Reporters sans frontières a averti que les médias afghans ont été décimés. Plus de 80% des femmes journalistes ont perdu leur emploi au cours des deux dernières années.
Dans la précipitation malavisée de Donald Trump à retirer les actifs américains d’Afghanistan, son accord de Doha a donné aux talibans tout ce qu’ils voulaient sans aucun mécanisme n’ait été mis en place pour les obliger à rendre des comptes. Ensuite, Joe Biden a été averti des conséquences d’un retour au pouvoir des talibans, mais il a tout de même procédé à un retrait bâclé. Après avoir déclaré du bout des lèvres que les talibans seraient tenus de rendre des comptes, le monde est en grande partie distrait par l’Ukraine et les talibans ont été autorisés à poursuivre l’intégralité de leurs politiques d’apartheid en matière de genre. Des États comme la Turquie, le Pakistan, la Russie, l’Iran, l’Inde et la Chine se rapprochent d’une reconnaissance diplomatique de facto. La Chine, en particulier, a intensifié ses investissements et son engagement, considérant l’Afghanistan comme un élément clé de sa stratégie «la ceinture et la route».
À l’instar des promesses faites dans le cadre de l’accord de Doha, la quasi-totalité des déclarations publiques et des engagements pris par les talibans à l’égard du monde sont des mensonges. On a d’abord entendu des promesses sur la protection des droits des femmes puis une rhétorique censée empêcher l’Afghanistan de redevenir un point de départ du djihad mondial.
Le Conseil de sécurité des nations unies préconise une «stratégie internationale à plusieurs volets» à l’égard des talibans. Il s’agirait notamment de veiller au respect intégral de l’accord de Doha, d’encourager les acteurs politiques centristes et ceux de la société civile, y compris les femmes, à jouer un rôle plus important et de faciliter un dialogue national à grande échelle. Pour promouvoir les droits de l’homme, lutter contre la corruption et consacrer l’État de droit, les instances juridiques internationales devraient se voir confier une compétence pleine et entière.
L’hydre à plusieurs têtes des talibans est autant en guerre contre elle-même que contre le monde extérieur. Ce n’est pas parce que les partisans de la ligne dure régressive de Haibatullah dictent aujourd’hui la politique que des gens relativement pragmatiques ne tireront pas les ficelles demain. Il est d’ailleurs évident pour tous les observateurs extérieurs et intérieurs que l’Afghanistan est un pays profondément malade qui a besoin de guérison et de réhabilitation. Aucune nation ne peut prospérer lorsque la composante féminine est opprimée et marginalisée.
Nous pouvons affirmer avec une certitude absolue que les femmes sont l’avenir de l’Afghanistan, avec toutes leurs capacités, leur énergie et leur sagesse. Une telle vision contraste fortement avec les esprits ignorants, régressifs et extrémistes que les madrasa de Haibatullah cherchent à cultiver.
La question essentielle est de savoir, avant d’admettre ce fait inéluctable, à combien de misères, de répressions et de privations inutiles les talibans soumettront cette nation qui souffre depuis longtemps.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com