La tentative de rébellion du groupe paramilitaire russe Wagner le 24 juin dernier a suscité un grand désarroi dans le monde entier. La crainte réelle que la guerre civile ne dégénère en Russie a effleuré bien des esprits, dans un contexte géopolitique explosif exposant la planète à des dangers sans précédent. Bien que l'accord à l'arraché obtenu par les bons offices du président biélorusse, Alexandre Loukachenko, ait permis de dénouer la situation apocalyptique, la situation reste floue et incertaine.
La société paramilitaire privée, qui fut l'un des principaux piliers de la puissance russe à l'étranger, n'a pas été dissoute officiellement, et la nature de ses rapports actuels avec le Kremlin n'est pas encore nette. Néanmoins, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a rassuré les partenaires africains de Wagner sur la continuité des actions du groupe paramilitaire privé dans les zones sous tension dans lesquelles il intervient. Il s’agit essentiellement de la République centrafricaine et du Mali, auxquels il faut ajouter la Libye, pays dans lequel le groupe Wagner serait déjà présent et actif aux côtés de l'armée nationale dirigée par le maréchal Khalifa Haftar.
Le groupe Wagner est devenu la véritable garde prétorienne du président, l'ossature du dispositif sécuritaire du pays, au cœur du pouvoir de décision sur les dossiers stratégiques principaux
La mission du groupe Wagner a commencé en Centrafrique dès 2018, à l'initiative du président Faustin-Archange Touadéra, qui ne contrôlait que partiellement le territoire national divisé entre plusieurs mouvements rebelles soutenus par les pays riverains. L'objectif déclaré de la mission russe en Centrafrique consistait à former et encadrer une armée centrafricaine en voie de recomposition. Force est de constater cependant que cette mission initiale a été largement dépassée. Le groupe Wagner est devenu la véritable garde prétorienne du président, l'ossature du dispositif sécuritaire du pays, au cœur du pouvoir de décision sur les dossiers stratégiques principaux.
En contrepartie, le groupe russe a mis la main sur l'essentiel des ressources minières et naturelles du pays, en plus de transactions commerciales et douanières. Des informations avérées ont confirmé le retrait récent de plusieurs unités du groupe Wagner opérant en Centrafrique, mais tout pense à croire qu'il ne s'agit que d'une simple rotation de forces et non d'un retrait définitif. La République centrafricaine qui organisera le 30 juillet un référendum constitutionnel de grande ampleur, a manifesté son souhait de maintenir la rôle des instructeurs russes, indispensable pour la sécurité et la stabilité du pays.
Le groupe d'Evgueni Prigojine aurait même accaparé les sites miniers les plus juteux au Mali, et contrôlerait aujourd'hui l'essentiel des activités commerciales avec l'étranger, en contrepartie de son soutien militaire au régime an pouvoir au Bamako
Le Mali, qui continue de nier la présence du groupe Wagner sur son territoire, a entamé depuis 2021 une coopération militaire intense avec la Russie, qui a débouché selon des informations sûres sur un rôle prépondérant de la société paramilitaire russe dans le nord et le centre du pays, où sévissent des mouvements radicaux violents et des groupes séparatistes.
Le retrait militaire français du Mali accompli en août 2022, suivi par la fin, le 30 juin dernier, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), à la suite de demandes du gouvernement malien, devrait ouvrir la voie à une présence militaire russe plus affirmée. Le groupe d'Evgueni Prigojine aurait même accaparé les sites miniers les plus juteux au Mali, et contrôlerait aujourd'hui l'essentiel des activités commerciales avec l'étranger, en contrepartie de son soutien militaire au régime an pouvoir au Bamako. Le Burkina Faso, voisin du Mali, aurait également sollicité l'aide russe pour affronter la menace terroriste de plus en plus pressante dans le pays. Le groupe Wagner aurait même effectué une mission préliminaire à Ouagadougou dans ce sens.
Pour Sergueï Lavrov, les services accomplis par le groupe Wagner en Afrique sont supervisés et avalisés par les hautes sphères du pouvoir à Moscou. Il ne s'agit donc nullement d'activités illégales d'un groupe de mercenaires irréguliers, comme le soutiennent les pays occidentaux. S'il s'avère clair que la mutinerie du 24 juin a conduit à la fin de l'autonomie relative du groupe paramilitaire, désormais sous la tutelle directe des services militaires russes, l'action de Wagner en Afrique a été des le début fixée et contrôlée directement par Moscou. Dans un continent où les armées nationales sont souvent de simples façades pour les milices communautaires ou privées, la présence du groupe Wagner est considérée comme naturelle et logique.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
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