La célébration du 14-Juillet, l’heure de la cohésion nationale?

Le président français Emmanuel Macron s’adresse à des représentants de l’armée, le 13 juillet à Paris (Photo, Reuters).
Le président français Emmanuel Macron s’adresse à des représentants de l’armée, le 13 juillet à Paris (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 14 juillet 2023

La célébration du 14-Juillet, l’heure de la cohésion nationale?

  • Après plusieurs jours d’émeutes, la fête nationale sera célébrée cette fois dans un contexte social particulièrement tendu.
  • Les émeutes récentes caractérisent-elles une fracture au sein de la société française ou indiquent-elles un problème endémique lié à l’immigration?

PARIS: Les citoyens français, secoués par plusieurs jours de violences urbaines après la mort de Nahel, un jeune homme de 17 ans tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, vont-ils pouvoir profiter de l’accalmie de ces derniers jours pour célébrer le 14-Juillet dans un esprit de cohésion nationale? Comme chaque année, les festivités prévues pour cette occasion sont maintenues; elles se dérouleront les 13 et 14 juillet 2023. Il y aura donc un défilé militaire sur les Champs-Élysées en présence du président de la république – et, cette année, de son invité d’honneur, le Premier ministre indien, Narendra Modi –, des bals populaires, un grand concert de musique classique qui rassemblera des centaines de milliers de personnes sur le Champ-de-Mars, des feux d’artifice...

Emmanuel Macron et Narendra Modi à l'Elysée le 13 juillet (Photo, AP).

Après plusieurs jours d’émeutes, la fête nationale sera célébrée cette fois dans un contexte social particulièrement tendu. Au sein du gouvernement français, on craint qu’elle ne soit perturbée par les appels à manifester lancés sur les réseaux sociaux ou par des embrasements dans les cités. Rassemblements interdits, mortiers d’artifice prohibés par un décret publié le 9 juillet 2023: le gouvernement renforce sa politique sécuritaire.

Pour protéger les Français, la Première ministre, Élisabeth Borne, a indiqué dans un entretien au journal Le Parisien que «les moyens seront massifs». Lors d’un point de presse du 12 juillet, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé des mesures exceptionnelles pour sécuriser le déroulement de la fête à travers la mobilisation de 130 000 policiers et gendarmes, équipés de véhicules blindés, hélicoptères et drones ainsi que l’arrêt des transports en commun dès 22 heures.

La mort du jeune Nahel a provoqué une vague d'émeutes dans le pays (Photo, AFP).

Le 14-Juillet, le moment propice pour apaiser les esprits?

Interrogé sur l’opportunité de faire de cette fête nationale une occasion pour asseoir une forme de cohésion sociale, William Leday, professeur en relations internationales à Sciences Po Aix, explique: «Une fête nationale est un moment singulier qui convoque l’histoire et les mythes fondateurs d’une nation. […] Elle est censée être un moment de concorde durant lequel une opportunité est offerte au chef de l’État d’adresser au pays des messages forts. Compte tenu du contexte actuel des violences urbaines consécutives à la mort de Nahel, le 14-Juillet serait un moment propice pour apaiser les esprits et annoncer des mesures fortes en direction de catégories de citoyens français qui ne se sentent plus partie prenante du récit national, ce que [le président] n’a pas fait jusque-là – ses propos ont pour l’instant été focalisés sur la supposée responsabilité des parents et des réseaux sociaux, faisant fi de la question sociale et des discriminations, pourtant au cœur de l’irruption actuelle.»

Pour William Leday, «les migrations sont des facteurs structurels qui travaillent les sociétés contemporaines; elles sont appelées à s’accroître».

Dans un communiqué publié par l’Élysée, Emmanuel Macron a décidé de déroger au traditionnel discours présidentiel lors de la fête nationale, mais il fera le bilan de «cent jours d’apaisement» dans les prochains jours.

Contexte de fracture sociale?

Les émeutes récentes caractérisent-elles une fracture au sein de la société française ou indiquent-elles un problème endémique lié à l’immigration? Pour William Leday, «Les migrations sont des facteurs structurels qui travaillent les sociétés contemporaines; elles sont appelées à s’accroître. Bâtir des murs physiques, bureaucratiques, informatiques, ou d’autres encore, n’y change rien et contribue à  invisibiliser des personnes qui n’ont souvent pas eu d’autre choix de quitter leurs pays d’origine en raison de conflits, de catastrophes climatiques ou parce que le “maldéveloppement” y est endémique.»

Le professeur William Leday (Photo Margot L’Hermite).

Selon lui, «les migrations, qu’elles soient italiennes, polonaises ou espagnoles dans un premier temps, puis celles, postcoloniales, originaires des Afriques, sont venus enrichir une société qui est devenue multiculturelle. Beaucoup de politiques peuvent déplorer cette nature multiculturelle de la société française, mais elle reste un fait tangible et établi d’un point de vue sociologique».

EN BREF

«Je suis pour la création d’une Journée nationale de l’immigration. Après tout, on a construit la France et on continue à construire la France. On attend du président de la république un message d’apaisement et un esprit fédérateur», affirme la Franco-Tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve.

William Leday rappelle qu’une «majeure partie des populations dont la présence sur le territoire est désormais ancienne [2e, voire 3e génération], qui sont [des] Français de naissance, ne se sentent pas partie prenante de la nation en raison de leur couleur de peau, de leur religion, et de l’invisibilisation dont ils sont victimes dans les médias et les instances de représentations politiques. Cela signifie, au-delà de la question sociale, qui reste entière pour de nombreuses Françaises et Français, que le récit national est incomplet et ne parvient plus à prendre en considération une partie non négligeable de citoyens qui ne demandent pas autre chose que d’y participer».

Fatma Bouvet de la Maisonneuve (Photo fournie).

De son côté, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre, ancienne membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et auteure du livre Une Arabe en France, une vie au-delà des préjugés, affirme que «les inégalités sociales et scolaires poussent à la souffrance extrême ou à la délinquance». Afin d’y remédier, elle plaide pour la mise en œuvre d’une politique axée sur le long terme. «Pour répondre aux inégalités, nous n’avons pas d’autre réponse à ces questions que l’unité nationale», précise-t-elle, expliquant que, après «la tragédie de la mort de Nahel et celles des autres morts ignorées, la population issue de l’immigration ressent une blessure. […] Descendre dans la rue pour manifester sa colère est un acte politique», souligne Fatma Bouvet de la Maisonneuve, qui regrette que la réponse choisie soit celle de la répression et du durcissement de la loi.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.