La conférence africaine pour la paix vient de tenir à Nouakchott un colloque de grand intérêt sur la question du Soudan dans son contexte régional.
Le président de la conférence Sheikh Abdullah bin Bayyah, qui est également le président du forum d'Abu Dhabi pour la paix, a défini la méthode préconisée pour la médiation dans ce conflit meurtrier par la formule « d'action urgente du pompier » qui ne se soucie en rien des enjeux normatifs de la confrontation.
Au lieu de situer la responsabilité, l'impératif actuel devrait être l’arrêt de la chaîne de violence, la mise en place du processus de réconciliation nationale.
Le forum de la paix supervisé par Sheikh Abdullah bin Bayyah a élaboré en effet une véritable doctrine de médiation, basée sur les principes référentiels suivants :
- La priorité de la paix par rapport au droit. Ce principe n'implique en rien l'évacuation des exigences morales ou éthiques, ou la suspension du jugement normatif, mais la prise en conscience des aspects problématiques et antinomiques inhérents aux conflits politiques. En terminologie de la jurisprudence islamique la paix est une « finalité originale » de la religion ,elle précède de ce fait les paramètres de justice et d'équité qui présupposent et nécessitent une posture d'apaisement et de quiétude. C'est pour cette raison qu'il serait judicieux de préparer le terrain propice aux arrangements pacifiques avant de trancher les litiges violents.
- Mettre l'accent sur le rôle des religions et des autorités religieuses dans le maintien de la paix et la résolution pacifique des conflits. Si la religion est couramment manipulée et instrumentalisée dans les enjeux conflictuels ,il va de la responsabilité du leadership religieux de mettre en avant les enseignements théologiques et éthiques des dogmes sacrés qui servent à rapprocher les humains et à renforcer leur solidarité et leur cohésion. Dans ce sens ,le forum d'Abu Dhabi a lancé depuis des années l'idée d'une alliance de vertus entre les différents adeptes des religions qui a eu des échos largement favorables sur la scène internationale.
Au Soudan, il faut Consolider l'allégeance citoyenne égalitaire à l'état national, qui est la seule communauté éthique et politique susceptible de garantir la paix civile et la solidarité sociale
- Seyid Ould Abah
- Consolider l'allégeance citoyenne égalitaire à l'état national, qui est la seule communauté éthique et politique susceptible de garantir la paix civile et la solidarité sociale. La déclaration de Marrakech sur la citoyenneté globale, entérinée le 27 janvier 2016 ,a consacré cette conception salvatrice de l'identité civique qui met fin à toute velléité d'instrumentalisation politique et idéologique de la religion dans la sphère publique.
Ces trois principes ont orienté les débats de Nouakchott, auxquels ont participé plusieurs leaders et représentants des différents courants d'opinion et des groupes politiques soudanais et sahéliens.
Deux questions principales ont accaparé l'intérêt des participants : la militarisation des clivages politiques qui a entraîné la guerre meurtrière actuelle, et l'effritement du modèle étatique soudanais déjà moribond et fragile depuis des décennies.
Quant au premier point ,l'accent a été mis sur le phénomène des milices politico - militaires qui n'est point une spécificité soudanaise dans le contexte arabe global. L'état soudanais moderne a cependant souffert lourdement des défaillances récurrentes de la monopolisation souveraine de la violence, optant souvent pour la mobilisation armée des communautés ethniques et religieuses lors des guerres internes opposant le centre du pays à ses périphéries. Ce qui différencie l'actuel conflit est qu'il se déroule en pleine zone centrale du pays (la vallée du Nil et le littoral de la mer rouge), bien qu'il déborde sur les régions reculées. La réunification de l'institution armée, épurée de tous les groupes idéologico - politiques ,devient dès lors une nécessité urgente pour instituer une armée républicaine et nationale au Soudan.
Refonder et réinstaurer le modèle étatique soudanais reste la solution ultime de la crise profonde qui sévit dans ce pays ensanglanté. Depuis la révolte de 2019 mettant fin au régime d'Omar Elbechir, le Soudan a vecu une longue transition tumultueuse, qui devait déboucher sur le transfert de pouvoir aux forces politiques civiles. Le conflit récent a entraîné la régression notoire du processus de transition démocratique. La résolution de la confrontation en cours ne sera efficace et substantielle ,que si elle reprend, à nouveaux frais la dynamique de refonte et de refondation de l'état national soudanais.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.