Indignation. Scandale. Le président de la Cambridge Union a démissionné le mois dernier après avoir été accusé de «bourrage des bulletins de vote» pour faire élire l’un de ses proches à sa succession. Si les normes de cette institution universitaire historique de renommée mondiale s'effondrent, où en est le reste de la Grande-Bretagne?
La question à laquelle sont confrontés ceux qui se soucient du système politique du pays est de savoir s'il peut résister à une attaque contre les normes de la vie publique et empêcher un glissement vers le populisme réactionnaire et le rejet des règles libérales. Quelle est la résilience des institutions britanniques? Ce sont les contemporains de l’époque victorienne qui ont introduit des idéaux tels que la reddition de comptes et la déontologie dans le gouvernement, et ont ainsi changé la façon de gouverner le pays. Ils ne seraient pas grandement impressionnés par la Grande-Bretagne de 2023.
Alors que les normes au cœur de Westminster ont pratiquement disparu, pourquoi devrions-nous imaginer que d'autres remparts de «l'establishment» ne seraient pas non plus gangrenés? Plus rien n'est sacré en politique, donc le fait de remplir des urnes à des fins politiques semble être la prochaine étape logique dans un nivellement vers le bas.
Pour que tout système politique fonctionne, il est vital d’avoir un ensemble d'hypothèses partagées et de vérités acceptées. C'est pourquoi les normes au cœur des systèmes politiques sont importantes. C'est pourquoi l'enquête sur l'attaque de la foule à Washington le 6 janvier 2021 est importante. C'est pourquoi le service public est important. C'est pourquoi la reddition de comptes est importante. C'est pourquoi l’état de droit est important.
Au Royaume-Uni, l'ère Boris Johnson semble toucher à sa fin. L'ancien Premier ministre n'a jamais semblé être attaché à une quelconque nécessité d’aller vers la vérité. Ce n'était pas la première fois qu’un Premier ministre s’aventurait à jouer avec la vérité, mais il l’a fait à un niveau jamais atteint auparavant. Ce faisant, il a compromis tous les politiciens qui l'entouraient et les a rendus complices de ses mensonges. La Cour suprême a affirmé que Boris Johnson avait illégalement conseillé à feue la reine Elizabeth de proroger le Parlement, le tout pour surmonter une nouvelle crise liée au Brexit. Il est accusé d'avoir menti à la reine.
Les brigades populistes ont également pris pour cible le pouvoir judiciaire, le présentant crûment comme un obstacle à la volonté populaire - Chris Doyle
Le Partygate s'éternise. C'est le scandale qui a tourmenté les derniers mois de Boris Johnson en tant que Premier ministre, même si ce n'était pas la raison essentielle pour laquelle il a été expulsé de Downing Street. Ce fut un autre scandale. Le comité des privilèges de la Chambre des communes a constaté le mois dernier que Boris Johnson avait délibérément induit le Parlement en erreur ou, comme la plupart le verraient, avait menti au sujet des fêtes de Downing Street lors du confinement. Le comité a déclaré: «Notre démocratie dépend de la capacité des députés à croire que ce que disent les ministres à la Chambre des communes est la vérité.» Son rapport sur la conduite de Boris Johnson l'a forcé à une démission anticipée de son poste de député. Il ne s’est pas retiré de la vie publique sans faire de bruit.
Mais qu'en est-il des autres politiciens qui ont mené une attaque contre le Comité des privilèges? Ils ont été accusés d'avoir intimidé les membres du comité dans le cadre d'une campagne coordonnée. Ces huit personnes ont en grande partie comparé le comité à une «parodie de tribunal». Un député l'a accusé d'être une «chasse aux sorcières parlementaire qui ferait honte à une république bananière.»
Le népotisme est une autre caractéristique du monde de Boris Johnson. Après avoir octroyé une pairie au fils d'un officier du KGB, allant à l’encontre des avertissements des services de sécurité, il aurait alors envisagé d'inclure son père Stanley dans son palmarès de démission. La liste finale comprenait certaines des personnes jugées coupables d’avoir enfreint les règles, et qui ont été récompensées pour leur échec total. En toute honnêteté, Boris Johnson n'est pas le seul à le faire, car les amis des premiers ministres et les donateurs des partis ont été récompensés dans le passé. Tout le système des distinctions honorifiques a été honteusement dévalorisé.
La liberté d'expression est également attaquée sans relâche. Le gouvernement vient de présenter un projet de loi visant à interdire aux organismes publics de se retirer d’un pays pour des raisons morales et éthiques.
Les brigades populistes ont également ciblé le système judiciaire, le présentant grossièrement comme un obstacle à la volonté populaire, par opposition à un gardien essentiel du système fondé sur des règles. Une fois de plus, ceci n'est pas propre à la Grande-Bretagne. Les régimes populistes s'en prennent toujours aux juges et aux tribunaux, comme nous l'avons constaté aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie et, en ce moment, en Israël. Après un examen judiciaire, le journal britannique le plus vendu a qualifié un groupe de juges de la Haute Cour d'«ennemis du peuple».
La commission des privilèges interpartis a porté un coup dur à la démocratie, mettant de côté les différends entre les partis pour un objectif plus ambitieux - Chris Doyle
Ensuite, il y a les guerres culturelles sans fin, délibérément mises en place pour contrarier et polariser plutôt que d'unir et d’avancer. La ministre de l'Intérieur, Suella Braverman, en est un exemple, notamment lorsqu'elle a proclamé que nombre de ceux qui traversaient la Manche dans de petits bateaux se comportaient d'une manière qui était «en contradiction avec les valeurs britanniques».
Le racisme et les préjugés, notamment l'islamophobie, ont été érigés en armes. Tout le débat sur le contrôle de l'immigration a plongé dans un langage grossier de diabolisation comme des hordes d'envahisseurs, une menace pour l'économie et le mode de vie britannique. L'extrême droite a alimenté cela. Le dénigrement des musulmans reste à la mode, surtout lorsqu'il s'agit d'immigrants et de réfugiés, les Ukrainiens blonds étant les bienvenus, mais pas les Afghans et les Syriens.
Le point culminant de la saga britannique de l'immigration est la proposition du Rwanda – un plan visant à expulser les demandeurs d'asile à 6 000 km vers l'Afrique de l'Est. La semaine dernière, les propositions du gouvernement ont été jugées illégales par la Cour d'appel. Le Rwanda a été jugé comme n'étant pas une destination sûre, ce qui n'a pas choqué ceux qui étaient conscients de son bilan en matière de disparition d'opposants et de limitation de la liberté d'expression. Moralité mise à part, les propres estimations du gouvernement indiquent que ce schéma coûtera aux contribuables 169 000 livres sterling (1 livre = 0,17 euro) par personne.
Cependant, une riposte est en marche. La commission des privilèges interpartis a porté un coup dur à la démocratie, mettant de côté les différends entre les partis pour un objectif plus ambitieux. Le Premier ministre Rishi Sunak s'est engagé à ramener les normes dans la vie publique. Les électeurs commencent à faire savoir à quel point ils en ont assez de l'épidémie de scandales et de corruption. Le chemin pour rétablir les normes et les conventions qui sont le ciment de toute démocratie opérationnelle est peut-être un chemin long et difficile, mais c'est un chemin qui doit être parcouru.
Il reste encore beaucoup à faire pour cautériser les blessures de l'ère Johnson, notamment le rejet complet et total de la politique raciste. Pourtant, la Grande-Bretagne est plus forte que ne l’indiquent certains de ses détracteurs. Ce n'est pas un système déclinant destiné à la casse.
Une grande partie de ce qui s'est passé en Grande-Bretagne est un écho du parcours politique qui se déroule outre-Atlantique. Le populisme et la dégradation des normes publiques se répandent. La démocratie et l'état de droit exigent une attention et un soin permanents. Ils sont vulnérables. Ainsi, quand les autorités parlementaires de Westminster ripostent avec aplomb, cela se répercute également sur tout le continent européen et engendre de nouvelles possibilités visant à faire respecter les règles démocratiques.
• Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l'Université d'Exeter. Il a accompagné et organisé les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes. Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com