Emmanuel Macron ne pourra pas dire que les images de Français participant aux émeutes urbaines sont une surprise ou une nouveauté pour lui. Depuis son arrivée à l’Élysée, il a été confronté aux Gilets jaunes, violent réveil de la France périphérique, et aux manifestations houleuses contre la réforme des retraites. Les images de ces différentes protestations ont créé une atmosphère d’insurrection devenue familière de la France d’aujourd’hui, constituant presque un label distinctif la distinguant des autres pays européens.
Malgré la lourde pression de l’opinion et de l’extrême droite, Emmanuel Macron a résisté à la tentation d’imposer aux Français l’état d’urgence comme solution sécuritaire à la crise née de la mort de Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier. Il n’y a pas eu recours pour des raisons objectives. Il n’a pas voulu utiliser une carte précieuse nécessitant en soi d’immenses moyens, et qui aurait pu être problématique. Qu’aurait-il en effet fait si cette solution extrême s’avérait inefficace pour mettre fin à cette crise? Quel message Emmanuel Macron aurait-il adressé à ses voisins européens et à la communauté nationale? Fébrilité? Fermeture? Incapacité à gérer des émeutes urbaines?
Aujourd’hui, au-delà de la thérapie sécuritaire visant à mettre fin à ce qui s’apparente à un «chaos social», Emmanuel Macron devra certainement revoir ses priorités sociales et politiques.
- Mustapha Tossa
Quelle que soit l’issue de cette crise qui semble se calmer de jour en jour, Emmanuel Macron ne pourra plus agir comme si de rien n’était. Son activité diplomatique a déjà été lourdement impactée par cette crise. Le président français a du raccourcir sa présence au sommet européen de Bruxelles et a été contraint d’annuler sa très importante visite d’État en Allemagne pour rester mobilisé à Paris.
Ces émeutes ont en outre de fortes chances de bouleverser l’agenda présidentiel et gouvernemental. Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a fait de la transition et de l’économie verte sa boussole politique. Les crises de la banlieue ont été régulièrement évoquées, mais aucun acte politique n’a refondé de manière concrète la géographie sociale des quartiers difficiles. Le fameux plan Borloo qui avait suscité des espoirs a été utilisé a minima. Ce que l’on appelle communément et par fainéantise intellectuelle «les quartiers difficiles» n’ont pas été la priorité sociale du gouvernement.
Aujourd’hui, au-delà de la thérapie sécuritaire visant à mettre fin à ce qui s’apparente à un «chaos social», Emmanuel Macron devra certainement revoir ses priorités sociales et politiques. Il devra avant tout veiller à empêcher la prochaine explosion de violences, partant de l’incontestable constat que la mort du jeune Nahel n’a été que le prétexte déclencheur des émeutes qui ont traversé la France.
Toute stratégie novatrice et efficace en la matière devra fatalement s’attaquer à l’immense chantier consistant à casser les ghettos qui favorisent à la fois une dangereuse économie informelle et encouragent toutes formes de rupture avec les autorités, l’État et les institutions pour aboutir en fin de compte à cette situation de séparatisme tant décriée.
Cette crise pose aussi des défis à la classe politique française. Les relents qu’elle a produits sont autant de signes encourageants pour une extrême droite raciste et xénophobe déjà en excellente santé.
- Mustapha Tossa
Les conséquences politiques de ces émeutes sur la gouvernance de Macron vont forcément se faire sentir. Le président vivait une séquence politiquement sensible où un remaniement gouvernemental devenait indispensable pour relancer son second mandat. Si remaniement il devrait y avoir ces prochaines semaines, il se fera indéniablement à l’aune de cette crise sociale et sécuritaire que traverse le pays. Le futur casting gouvernemental sera influencé par ces événements et certains profils seront écartés au profit d’autres.
Cette crise pose aussi des défis à la classe politique française. Les relents qu’elle a produits sont autant de signes encourageants pour une extrême droite raciste et xénophobe déjà en excellente santé. Est-ce à dire que cette atmosphère d’angoisse et de rejet va paver le chemin de l’extrême droite vers l’Élysée? Rien n’est moins sûr. Pour certains, ces images d’émeutes nocturnes et de défis à l’autorité valident visuellement le constat de l’extrême droite sur la société française.
D’autres au contraire peuvent prendre conscience que les enjeux actuels sont tellement graves et lourds que les solutions simplistes et réductrices proposées par l’extrême droite ne pourront que jeter l’huile sur le feu et précipiter le pays dans des abîmes inconnus.
Dans tous les cas, ces émeutes urbaines spectaculairement amplifiées par les réseaux sociaux, et qui peuvent dégénérer à n’importe quel moment, imposent à Emmanuel Macron de remuer cette poussière longtemps enfouie sous le tapis, ces fractures longtemps mises au placard. Macron et son futur gouvernement sont particulièrement attendus au tournant.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.