PARIS: Il faut être "lucide" et considérer beaucoup des femmes détenues dans les camps de prisonniers djihadistes du nord-est de la Syrie, dont 10 ont été rapatriées mardi en France, comme des "combattantes", affirme à l'AFP Anne-Clémentine Larroque, historienne et spécialiste de l'islamisme.
Le niveau d'imprégnation des enfants - 25 ont également été rapatriés mardi - aux thèses djihadistes dépend fortement de leur âge, poursuit l'ancienne analyste pour les magistrats antiterroristes français, qui a assisté aux entretiens de djihadistes de retour en France et a écrit un livre sur le sujet, "Le trou identitaire" (PUF).
QUESTION : Qui sont ces revenantes ? Peut-on les voir comme les seules accompagnatrices de leurs combattants d'hommes ?
REPONSE : Je suis de ceux, de celles, qui pensent qu'il faut arrêter avec cette naïveté et redevenir lucide. Vous avez véritablement des combattantes.
Bien sûr on peut être combattante avec une arme, mais toutes, souvent dans ce qu'on peut voir, ont été en lien avec une arme, ont appris à tirer à la Kalachnikov, ont pu être entremetteuses ou logisticiennes.
Certaines ont voulu combattre, d'ailleurs il y a une katiba qui a été mise en place à la fin de l'EI en 2017 à Raqa, dans l'idée justement de pouvoir compenser la perte des hommes (...) Il y a des femmes dans la Hisbah, c'est-à-dire la police islamique, qui se battaient tous les jours, qui passaient à la violence physique vis-à-vis de leurs 'soeurs' qui n'étaient pas assez radicales.
Je ne dirais pas du tout que seules 5% des femmes étaient combattantes. Je pense que c'est bien plus, précisément parce qu'on leur a donné un statut au départ beaucoup plus passif et beaucoup moins visible.
Q : Leurs enfants sont-ils fortement endoctrinés ?
R : Vous avez une grande différence entre un enfant qui a quatre ans qui revient maintenant et celui qui a 12 ou 13 ans et qui a été 'lionceau du califat'.
On peut savoir l'imprégnation, tout ce qui a pu être donné, endoctriné, s'ils ont un certain âge parce qu'ils parlent.
Mais s'ils sont tout petits, c'est quelque chose qu'on va ignorer.
Q : Constate-t-on une forte culpabilité des mères par rapport à leurs enfants ? Quel est l'état d'esprit des revenants, notamment des femmes ?
R : Si c'est une femme, par exemple, qui a des enfants et qui doit être séparée de ses enfants, évidemment elle va avoir un certain émoi par rapport à la séparation, on peut même parler de traumatisme.
C'est d'ailleurs comme ça que certaines femmes – c'est moins évident chez les hommes - vont repenser à leur responsabilité, vis-à-vis de la justice mais aussi d'abord vis-à-vis de leurs enfants.
Cette prise de conscience se fait aussi parce que désormais l'État français poursuit les mères ou les pères qui ont emmené leurs enfants de force dans l'État islamique ou dans une autre organisation terroriste.
La culpabilité existe, mais pas chez tous les parents. Globalement, c'est vrai qu'elle tend à poindre à partir du moment où ils comprennent que leurs enfants ont eu des traumatismes et ne sont pas sortis indemnes de toute cette affaire.