La Turquie lutte contre ses problèmes économiques structurels

Hafize Gaye Erkan, gouverneur de la banque centrale de Turquie. (Photo AFP)
Hafize Gaye Erkan, gouverneur de la banque centrale de Turquie. (Photo AFP)
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Publié le Mardi 27 juin 2023

La Turquie lutte contre ses problèmes économiques structurels

La Turquie lutte contre ses problèmes économiques structurels
  • La nouvelle équipe de M. Simsek et de Mme Erkan a annoncé l'augmentation officielle des taux d'intérêt
  • La théorie douteuse d'Erdogan sur les taux d'intérêt a entraîné un énorme transfert d'argent des petits détenteurs de capitaux vers les grands au détriment de l'économie turque

Au lendemain des élections générales de mai dernier en Turquie, toute l'attention s'est portée sur les résultats politiques. Or, tout aussi importante est la manière dont l'économie sera gérée après ces élections.

Au cours de ce mois, la nomination de Hafize Gaye Erkan au poste de gouverneur de la Banque centrale a marqué un tournant dans la politique budgétaire du pays. Mme Erkan possède un brillant parcours académique et professionnel. Elle a obtenu son doctorat à l'université de Princeton et a travaillé pour Goldman Sachs aux États-Unis pendant neuf ans. Au cours de sa carrière à la First Republic Bank, elle a été promue au poste de PDG. Le 8 juin, elle est devenue gouverneur de la Banque centrale de Turquie. Si le président Recep Tayyip Erdogan se garde d'interférer avec les règles d'une économie de marché transparente, la nouvelle équipe pourrait améliorer l'économie turque, même si la pilule sera parfois difficile à avaler.

La première mesure concrète prise par le nouveau gouvernement d'Erdogan concerne les taux d'intérêt. La semaine dernière, la Banque centrale a presque doublé le taux d'intérêt directeur du pays, qui est passé de 8,5% à 15%. Paradoxalement, Erdogan s'était auparavant farouchement opposé à cette question. Il avait développé une théorie selon laquelle «le taux d'intérêt est la cause et l'inflation en est le résultat». Rares sont les économistes qui croient en cette théorie. Les hausses et les baisses des taux d'intérêt sont le résultat d'interactions complexes sur le marché libre, mais Erdogan maintient obstinément sa position.

À son retour de Bakou, en Azerbaïdjan, au cours du présent mois, Erdogan a déclaré: «Nous avons accepté que le ministre des Finances, Mehmet Simsek, ainsi que Mme Hafize Gaye Erkan, nouvellement nommée gouverneur de la Banque centrale, mettent rapidement en œuvre les mesures nécessaires.» Il a soigneusement évité de donner carte blanche à M. Simsek, car il ne souhaite pas légitimer la hausse des taux d'intérêt.

Jeudi dernier, la nouvelle équipe de M. Simsek et de Mme Erkan a annoncé l'augmentation officielle des taux d'intérêt. Les taux d'intérêt réels dépassent toujours la barre des 15%. Toutefois, M. Simsek a expliqué que la différence entre les taux d'intérêt réels et les taux d'intérêt officiels se réduirait au fil du temps.

Même cette valeur est loin d'être réaliste. Le chiffre exact doit se situer autour de 25%, mais la nouvelle équipe de décideurs semble déterminée à rapprocher le taux réel du chiffre politique en procédant à des ajustements fréquents.

Les taux d'intérêt flottent selon les règles de l'économie de marché. Le ministre des Finances, M. Simsek, a déclaré lors de sa première intervention publique que la Turquie n'avait d'autre choix que de revenir à un «terrain rationnel» pour garantir la prévisibilité de l'économie, gage de stabilité, de confiance et de durabilité.

En dépit de pronostics peu prometteurs, l'économie turque a prouvé sa résilience par le passé. Avec une meilleure gestion, elle a le potentiel pour être revitalisée.

Le salaire mensuel minimum en Turquie est de 520 euros. Seuls trois pays d'Europe ont un salaire minimum inférieur: la Serbie (460 euros), la Bulgarie (398 euros) et l'Albanie (297 euros). La Turquie dispose également d'une main-d'œuvre relativement qualifiée. Par conséquent, si l'économie du pays est correctement gérée, elle pourrait surmonter certains de ses problèmes. Erdogan est un dirigeant capable de persuader son peuple de prendre des pilules difficiles à avaler de temps à autre.

L'économie turque a prouvé sa résilience par le passé. Avec une meilleure gestion, elle a le potentiel pour être revitalisée.

Yasar Yakis

Quatre vice-ministres ont été nommés au cours de la semaine dernière. L'un d'entre eux est une personnalité politique, ou un commissaire du parti, qui jouera le rôle de garde-fou et supervisera le recrutement et le transfert de personnel d'un département à l'autre. Les trois autres sont des professionnels de l'économie aux profils variés.

Au cours des cinq dernières années, quatre ministres des Finances ont été remplacés, tandis que, au cours des deux dernières années, trois gouverneurs de la Banque centrale ont été démis de leurs fonctions. De telles pratiques découragent les fonctionnaires prêts à relever le défi qui consiste à accepter des postes importants. Elles ne permettent pas non plus aux milieux d'affaires de bénéficier de la confiance indispensable à la stabilité de l'économie.

La théorie douteuse d'Erdogan sur les taux d'intérêt a entraîné un énorme transfert d'argent des petits détenteurs de capitaux vers les grands au détriment de l'économie turque. Lorsque le taux d'intérêt a été fixé par la banque centrale à 8,5%, les acteurs économiques qui avaient besoin d'argent ont dû payer la différence entre le taux politique et le taux du marché.

Le gouverneur sortant de la Banque centrale a qualifié les pratiques de l’établissement d'«hétérodoxes», bien que les acteurs économiques n'en aient pas compris le sens. En termes encyclopédiques, «hétérodoxe» signifie «non conforme aux normes acceptées». L'ancien gouverneur semble donc indiquer qu'un amalgame de règles diverses serait utilisé pour guider l'économie du pays.

L'un des principaux défauts de la démocratie est qu'elle pousse les dirigeants politiques à promettre la lune. Avec les prochaines élections locales en Turquie, qui se tiendront en mars 2024, les dirigeants politiques du gouvernement et de l'opposition sont presque obligés de promettre des salaires élevés, tandis que les décideurs économiques essaieront de les dissuader de faire des promesses irréalistes.

Si M. Simsek reste à son poste pendant quelques années, la Turquie pourrait surmonter certaines de ses difficultés économiques. Cependant, il ne faut pas s'attendre à des miracles.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de la Turquie et membre fondateur du parti AKP, au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com