ADEN: A l'approche de la fête musulmane d'al-Adha, les acheteurs sont rares au marché aux bestiaux à Aden, la plus grande ville du sud du Yémen, pays confronté à une "guerre économique" étouffant la population après plus de huit ans de conflit.
"Les gens n'arrivent même plus à acheter les produits alimentaires de base, comment voulez qu'ils s'offrent une bête", soupire un client, Amer Mohammed, enseignant à Aden, en déplorant la détérioration des conditions de vie dans le pays, malgré l'accalmie qui y prévaut depuis quelques mois.
Des dizaines de chèvres blanches mangent du foin pendant que leurs éleveurs couvrent les enclos pour les protéger d'un soleil de plomb, dans l'attente d'acheteurs peu nombreux derrière les grillages.
L'Aïd al-Adha est la plus grande fête du calendrier musulman, au cours de laquelle les fidèles doivent sacrifier un animal à la mémoire d'Abraham qui, selon la tradition, avait immolé un mouton in extremis à la place de son fils Ismaïl.
"On espérait que la situation allait s'améliorer (...), malheureusement tout est cher, et c'est encore pire qu'avant", fustige Iyad al-Alimi, un éleveur venu vendre son bétail dans la ville, capitale provisoire du pays depuis que le gouvernement a été chassé de Sanaa par les rebelles Houthis.
Depuis plus de huit ans, la population, largement coupée du monde, est prise au piège d'un conflit interne entre le gouvernement et les Houthis.
Les violences ont quasiment cessé depuis avril 2022, à la faveur d'une trêve négociée par l'ONU, toujours relativement respectée bien qu'officiellement expirée depuis plusieurs mois.
«Presque morts»
Mais la "guerre économique s'est intensifiée" entre les belligérants qui contrôlent chacun une partie du pays, a regretté à la mi-juin l'émissaire de l'ONU, Hans Grundberg, au cours d'une conférence.
La trêve et de récents efforts diplomatiques ont offert une bouffée d'oxygène aux 30 millions d'habitants, mais le soulagement et l'espoir ont été de courte durée.
Fin 2022, des attaques de drones des rebelles sur des terminaux pétroliers ont privé le pouvoir de ses modestes exportations d'hydrocarbures, sa principale source de revenus, aggravant la dégringolade de la monnaie nationale.
Le gouvernement peine alors à financer les services de bases et les salaires de ses fonctionnaires, sans compter ceux vivant dans les zones contrôlées par les Houthis: ils n'ont pas été payés depuis des années.
"Il y a pas d'eau, pas d’électricité, pas de salaires, les prix sont exorbitants, pas d'éducation, pas de santé", énumère Wahib Daoud, un habitant d'Aden. "On est presque morts, on ne vit pas", s'exaspère-t-il.
«Marchandises interdites»
Déjà frappé par des pénuries et des infrastructures déliquescentes, le secteur privé, lui, souffre "d'une double imposition (gouvernement et rebelles) et d'une corruption généralisée", estime la Banque mondiale, dans un rapport publié en avril, prévoyant une récession cette année et une inflation de 16,8%.
Dans les régions du Nord et de l'Ouest sous contrôle rebelle, où vivent près de 80% de la population, la situation est tout aussi dramatique.
"Il y a bien une trêve sur le plan militaire et politique, mais la bataille s'est intensifiée sur le terrain économique", confirme Moustafa Nasr, président de l'organisation yéménite Studies and Economic Media Center.
Malgré l'ouverture de lignes maritimes vers le port de Hodeida aux mains des Houthis, "l'entrée de marchandises importées depuis les ports contrôlés par le gouvernement a été interdite", souligne-t-il.
Dans cette ville stratégique de l'Ouest du pays, Hassan, un ancien fonctionnaire qui n'a pas souhaité donner son nom, s'est reconverti en marchand de glace pour subvenir aux besoins de sa famille.
Mais pour célébrer l'Aïd comme il se doit, il va devoir vendre sa voiture. "De toute façon, je n'ai pas les moyens de payer l'essence", se console-t-il.