Le sommet de la Ligue arabe à Djeddah était une bouffée d’air frais par rapport à ce que nous avions l’habitude de voir pendant de telles occasions. Les journalistes professionnels ont généralement peu de points positifs à relever lorsqu’il est question de sommets arabes. Ces derniers ont en effet tendance à être très riches en beaux discours, mais très pauvres en action et en pertinence, avec beaucoup de sous-performance et d’occasions manquées.
Les journalistes et les diplomates ont publié des commentaires positifs sur le bon déroulement de ce dernier événement, avec des discours disciplinés et ciblés, ainsi qu’un programme pragmatique. L’inclusion ostensible de voix plus jeunes constitue un clin d’œil aux dirigeants régionaux, qui sont de plus en plus tournés vers l’avenir, jeunes et dynamiques.
Le sommet témoigne de la volonté des États arabes, et de l’Arabie saoudite en particulier, de jouer à nouveau un rôle plus affirmé et unifié sur la scène mondiale. Cependant, comme toujours, la véritable épreuve sera celle des résultats tangibles.
L’invitation de Volodymyr Zelensky était un choix audacieux et la preuve d’une volonté mûre d’écouter des messages difficiles et des critiques adressées publiquement. Le président ukrainien a déclaré: «Quiconque défend sa terre natale contre les envahisseurs et quiconque défend les enfants de sa nation contre l’esclavage est un guerrier sur le chemin de la justice. Je suis fier de représenter de tels guerriers.» Des Arabes patriotes peuvent-ils écouter une telle déclaration et ne pas penser à la lutte palestinienne ? Saluons la réponse audacieuse de M. Zelensky et de l’Ukraine face à une agression non provoquée.
Pour des États comme l’Égypte et le Liban, l’Ukraine a toujours été le principal fournisseur de céréales. Le bien-être et la stabilité agricole de l’Ukraine sont donc une question de survie existentielle pour des centaines de millions d’Arabes.
Bachar al-Assad était le deuxième invité controversé. Beaucoup d’entre nous espéraient que le dirigeant syrien montrerait une plus grande contrition, reconnaîtrait les bains de sang dont il est responsable et s’engagerait à la réconciliation, mais le discours était typiquement assadien, mélange de théories du complot et de reproches mesquins. «Il est important de mettre les affaires intérieures entre les mains du peuple du pays, puisqu’il est le mieux placé pour les gérer», a-t-il déclaré, oubliant commodément l’intervention de l’Iran et de la Russie en son nom.
Les médias associés au Hezbollah, à Téhéran et à Damas saluent l’inclusion du président syrien comme une victoire sur d’autres États arabes, et le présentent comme un «héros conquérant». Hachem Safieddine, du Hezbollah, a soutenu de manière hyperbolique que la présence de Bachar al-Assad offrait «une preuve irréfutable que les déclarations de nombreux politiciens sont des fantasmes, des mirages, des illusions et des promesses expirées». Tout cela n’a aucun sens. Au cours des douze années qu’il a passées à détruire son pays et à gazer et torturer ses propres citoyens, d’autres États arabes n’ont fait que prospérer, avec des systèmes éducatifs de pointe, un épanouissement culturel, une diversification économique et de profondes réformes sociales.
Al-Assad ne peut se targuer d’aucune victoire en 2023. Ce n’est que grâce au soutien massif de l’Iran et de la Russie qu’il contrôle de petites portions du territoire syrien. La Syrie est une nation fragmentée et dépeuplée, avec plus de la moitié de ses citoyens déplacés. Cinq millions d’entre eux ont trouvé refuge au Liban, en Jordanie et en Turquie. L’économie s’est irrémédiablement effondrée, avec environ 15,3 millions de Syriens qui ont besoin d’une aide d’urgence.
«La décennie post-2011 a été une période horrible pour le monde arabe, définie par des conflits civils, des guerres par procuration, une instabilité politique, des divisions amères et une ingérence iranienne effrénée.» Baria Alamuddin
Le ministre syrien des Affaires étrangères, Faisal Mekdad, a déclaré que les réfugiés ne pourraient pas rentrer tant que la Syrie n’aura pas été reconstruite. Mais comment espère-t-il que la Syrie se reconstruise ? Tant que ce régime fantoche s’organise pour faciliter le pillage des fonds de reconstruction par Téhéran et le clan Assad, il ne touchera pas un sou des États riches du Golfe ou de toute autre source – d’autant plus que le régime se maintient financièrement à flot en faisant passer par contrebande des stupéfiants dans les États de la région.
Le commentaire désinvolte d’Al-Assad selon lequel tous les Syriens étaient invités à rentrer au pays n’a pas offert de garanties que ses tortionnaires et bourreaux ne persécuteraient pas quiconque s’aventurerait à l’intérieur des frontières syriennes. Innombrables sont les histoires de Syriens enrôlés de force par l’armée ou disparus dans les chambres de torture d’Al-Assad. Ce régime doit se ressaisir s’il veut bénéficier des dividendes de la paix qu’offre sa réintégration par la Ligue arabe, au-delà des simples occasions de photos où l’on se serre la main. Le monde surveillera attentivement la réintégration d’Al-Assad au sein de la Ligue arabe. S’il l’exploite pour un gain maximal tout en n’offrant aucun compromis, il n’y aura aucun soutien pour le retour de la Syrie dans le giron international.
Des décennies après avoir conclu leurs propres accords de paix nominaux, la plupart des Égyptiens et des Jordaniens considèrent toujours Israël comme un ennemi en raison de sa politique hostile et expansionniste continue envers les Arabes et les Palestiniens. Le fait que les Arabes reprennent le commerce, le tourisme et les investissements avec la Syrie, ou bien que l’isolement de facto de Damas se poursuive, dépend de la volonté d’Al-Assad de continuer ou non d’agir comme un ennemi de l’humanité et de ses propres citoyens.
Le sommet de Djeddah ponctue une période vertigineuse de réalignements régionaux rapides. Grâce à la médiation chinoise, l’Arabie saoudite a rétabli des relations diplomatiques avec l’Iran, ce qui ouvre la voie à la fin du conflit au Yémen, avec des implications potentiellement profondes pour des États comme l’Irak, le Liban et la Syrie. L’année dernière, l’Arabie saoudite a négocié un accord d’échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie, et a laissé entendre qu’elle pourrait jouer un rôle de médiation plus étendu. Les pourparlers de Djeddah entre les belligérants soudanais semblent également commencer à porter leurs fruits – ce conflit ayant été un thème de discussion central lors du sommet arabe.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Bahreïn et le Liban et les efforts du Conseil de coopération du Golfe pour réhabiliter l’Irak font partie d’une multitude d’efforts globaux en faveur du réalignement arabe. Le communiqué final du sommet arabe a défini des objectifs ambitieux pour s’attaquer aux facteurs de conflit et d’instabilité régionaux, notamment en interdisant le soutien aux milices «non autorisées et illégitimes», en rejetant l’ingérence d’États hostiles comme l’Iran et en appelant «toutes les factions libanaises» à s’unir autour d’un choix consensuel pour le poste de président et à sortir ainsi le pays de sa crise.
Ces objectifs louables doivent être associés à des campagnes régionales de renaissance économique, culturelle et éducative, en particulier pour soutenir des pays comme le Liban, le Yémen, la Jordanie et le Soudan, où la souffrance des gens ordinaires est chronique et profonde.
La décennie post-2011 a été une période horrible pour le monde arabe, définie par des conflits civils, des guerres par procuration, une instabilité politique, des divisions amères et une ingérence iranienne effrénée. Le sommet de Djeddah a constitué l’occasion parfaite de refermer ce chapitre douloureux et d’offrir au monde arabe la perspective d’être à nouveau une puissance mondiale forte et unie.
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com