DJAKARTA: Lorsque les marchands de la péninsule Arabique ont commencé à s’installer à Batavia à la fin du XVIIIe siècle, la plupart d’entre eux sont restés à Pekojan, un quartier que certains membres de la communauté considèrent toujours comme son cœur battant.
Batavia était la principale ville des Indes orientales néerlandaises et correspond à l’actuelle capitale de l’Indonésie, Djakarta. Les dirigeants coloniaux néerlandais étaient très soucieux de mettre en œuvre la division raciale et les différents groupes ethniques étaient également tenus de vivre dans des zones spécifiques.
Pekojan était l’un de ces quartiers: il était non seulement témoin de la ségrégation, mais aussi de la nature de la communauté arabe, qui a su la transcender et embrasser les diverses influences multiculturelles de son nouveau foyer. Le style éclectique de Langgar Tinggi, l’une des plus anciennes mosquées de Djakarta et l’édifice emblématique du quartier arabe, en est la preuve vivante.
Contrairement à la plupart des structures historiques de Djakarta, la mosquée construite il y a près de deux cents ans a conservé sa forme originale. «Regardez cet édifice, il est toujours solide et intact depuis 1828 (...). Cette mosquée a conservé sa forme originale et n’a pas été modifiée depuis sa construction. Nous ne voulons pas qu’elle soit modifiée», raconte à Arab News le gardien de Langgar Tinggi, Achmad Alwi Assegaf.
La mosquée de deux étages a été construite par Aboubakar Shihab, un commerçant musulman du Yémen, sur un terrain offert par une importante famille de marchands d’Arabie du Sud. À l'époque, de nombreux riches commerçants d’origine arabe vivant en Asie du Sud-Est finançaient des installations religieuses ou communautaires pour les musulmans dans les pays colonisés par des puissances européennes non musulmanes.
«Ce sont des cadeaux laissés par les générations précédentes (...) Elles ont construit des mosquées, des salles de prière et financé la célébration des fêtes islamiques pour que les habitants de Pekojan les observent comme au Yémen», explique M. Assegaf, dont la famille est arrivée à Batavia en provenance du Yémen il y a sept générations.
L’ancienne communauté s’était également adaptée aux différents modes de vie de ses voisins: les Chinois, les Européens et les groupes indigènes locaux. Les éléments en bois, les tuiles rouges et les murs blancs de la mosquée font qu’elle ne ressemble pas forcément à une mosquée traditionnelle. En regardant de plus près, on s’aperçoit que c’est un mélange de traditions architecturales qui a contribué à sa forme.
Ses piliers s’inspirent de l’architecture portugaise, qui était à la mode à l’époque, précise M. Assegaf. Les portes, les fenêtres et les poutres de support s’inspirent de la tradition architecturale chinoise, tandis que le style de la base de la structure est commun à l’ensemble de l’île de Java.
«Une fusion a eu lieu. On le voit dans la mosquée de Langgar Tinggi, qui ne se limite pas à l’architecture des Arabes, mais à celle de tous ceux avec qui nous avons commercé et vécu», indique M. Assegaf. Au fil des décennies, Pekojan a perdu beaucoup de ses habitants d’origine. Les plus riches se sont installés dans d’autres parties de Djakarta et de nombreux bâtiments originaux du quartier se sont dégradés.
Abou Sulthan, marchand de bétail, est resté à Pekojan car sa famille y vit depuis 1910. Cependant, il a constaté que le caractère unique du quartier disparaissait peu à peu. «Avant, il y avait beaucoup d’Arabes et de commerçants ici», se souvient-il. «Pekojan est toujours connu comme un quartier arabe, mais beaucoup d’habitants ont déménagé», explique-t-il.
Celui qui, contre toute attente, garde l’espoir que la gloire d’antan reviendra est le gardien de Langgar Tinggi, qui insiste sur le fait que Pekojan sert toujours de référence à la culture arabe. «La culture du Yémen a toujours été préservée à Pekojan», affirme M. Assegaf, évoquant la tradition culinaire du quartier et donnant des exemples de plats arabes authentiques servis dans les restaurants locaux. «Les chefs d’hôtel apprennent également à cuisiner ici», assure-t-il. «L’identité unique est toujours vivante.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com