«Mieux vaut tard que jamais», pourrait-on dire à propos de la transformation numérique tant attendue et enfin opérée par notre média frère basé à Londres, Asharq Al-Awsat.
Pourtant, cet énorme investissement réalisé par notre propriétaire, le groupe SRMG, ne devrait pas surprendre, non seulement parce que le groupe a pris une décision stratégique ces deux dernières années en faveur de la transformation numérique, mais aussi parce que la technologie n'est pas étrangère à Asharq Al-Awsat.
Fondé par les légendaires éditeurs Hisham et Mohammad Ali Hafez en 1978, le média s'est taillé une place de choix parmi les journaux de langue arabe. En effet, il a toujours été en quelque sorte l'International Herald Tribune du monde arabe – un incontournable pour les personnes influentes dans leur pays et un fidèle compagnon de route pour les voyageurs d'affaires arabes, presque partout dans le monde.
Dans les années 1980, Asharq Al-Awsat est devenu le premier journal au monde à imprimer sur quatre continents via satellite. Il s'agissait d'une véritable percée dans le monde de l'édition. Même les Japonais – les maîtres du monde en matière de technologie à l'époque – s'étaient rendus à Londres pour découvrir cette merveille saoudienne.
C'est grâce à cet investissement dans l'innovation que le journal a obtenu son premier slogan publicitaire: «Soixante-dix pour cent du globe est couvert d'eau, le reste est couvert par Asharq Al-Awsat».
Alors que le secteur de la presse britannique, essentiellement syndiqué sous Margaret Thatcher, résistait aux changements technologiques et recourait aux grèves, Asharq Al-Awsat a été l'un des premiers journaux du Royaume-Uni ou du monde arabe à se lancer dans la publication assistée par ordinateur (PAO). Du jour au lendemain, les Mac d'Apple ont remplacé les papiers, les stylos et les machines à écrire, offrant aux journalistes arabes des technologies de pointe bien avant leurs confrères.
Au début des années 2000, Asharq Al-Awsat a également été le premier journal arabe à passer à la couleur (un privilège jusqu'alors réservé aux magazines) en lançant une vaste campagne publicitaire intitulée «Les couleurs font toute la différence». La publicité montrait un soldat en noir et blanc, avant de faire apparaître la vraie couleur, celle d'un Casque bleu de l'ONU.
Issu d'une famille qui lit religieusement Asharq Al-Awsat, j'ai eu le privilège de travailler avec le journal à son siège londonien de 2004 à 2009. En tant que rédacteur en chef fondateur de sa rubrique hebdomadaire consacrée aux revues de presse, j'ai eu la chance de documenter, par mes reportages, certains changements importants qui continuent d'avoir un impact à ce jour sur l'ensemble du monde de l'édition : l'introduction du haut débit, l'essor des smartphones et la naissance des réseaux sociaux.
Tout le mérite en revient à la direction du groupe SRMG, mais la technologie n'a jamais été étrangère à Asharq Al-Awsat
Faisal J. Abbas
Malheureusement, peu de temps après mon départ où j'ai entamé mon parcours de transformation (je me suis retrouvé à écrire en anglais pour le Huffington Post, une plateforme exclusivement en ligne), Asharq Al-Awsat n'avait toujours pas réalisé sa transformation numérique complète, et ce pour diverses raisons.
Alors que le marché de l'impression traditionnelle décliait et que les concurrents numériques se multipliaient, c'était comme si ce «géant vert» de l'intégrité, du professionnalisme et de la clairvoyance n'avait pas réussi à atteindre son plein potentiel sur le plan numérique.
Le mérite en revient donc à la direction actuelle du groupe SRMG, qui a donné la priorité au réveil du géant en autorisant son rédacteur en chef actuel, le journaliste chevronné Ghassan Charbel (un géant à lui tout seul), à procéder aux changements annoncés dimanche.
M. Charbel a incontestablement amélioré le contenu d'Asharq Al-Awsat et y a injecté du sang neuf depuis qu'il en a pris la direction il y a six ans. Mais une refonte et une nouvelle opération numérique ne peuvent être réalisées sans un investissement substantiel et sans la conviction qu'elles sont nécessaires pour que le contenu parvienne aux consommateurs, qui sont de plus en plus souvent en déplacement et de moins en moins capables de se concentrer.
Naturellement, si je m’attarde ici sur la conception et la technologie, c'est parce que l'intégrité éditoriale du journal n'est plus à démontrer. En dépit des incidents de parcours, comme pour tout autre journal, nul ne peut nier le nombre impressionnant d'exclusivités mondiales, de reportages audacieux et d'articles d'opinion pertinents qu'Asharq Al-Awsat a générés au cours des quarante-cinq dernières années.
En plus de l'actuel rédacteur en chef Ghassan Charbel, le journal a produit deux légendes vivantes du journalisme saoudien/arabe : Othman al-Omeir (qui a créé le premier journal électronique arabe, Elaph, en 2001) et Abdulrahman al-Rashed (qui a ensuite dirigé avec succès la chaîne d'information Al Arabiya pendant 10 ans).
En outre, Asharq Al-Awsat a fait émerger deux ministres saoudiens des Médias : Adel al-Toraifi (2015-2017) et l'actuel ministre Salmane al-Dossary. Sans parler d'un grand nombre d'auteurs, de présentateurs de télévision et de rédacteurs en chef d'autres journaux et publications de premier plan dans la région.
Alors que nous sommes bombardés par toutes sortes de contenus, certains véridiques, d'autres factices, et que les partis pris sont monnaie courante, nous avons plus que jamais besoin d'un journalisme arabe de qualité.
Ce besoin est d'autant plus important que nous vivons à une époque où seulement 1,1% des 10 millions de sites web les plus importants sont en arabe, alors que cette langue est parlée par 3,5% de la population mondiale.
Asharq Al-Awsat a toujours offert un contenu de qualité dans sa version papier. Le moment est venu d'en faire de même en ligne !
Faisal J. Abbas est rédacteur en chef d'Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com