Une autre guerre. Une autre catastrophe. Une autre série d'évacuations dramatiques. Une autre porte verrouillée face à des réfugiés désespérés. Combien de fois ces dernières années les grands acteurs internationaux ont-ils tenté d'évacuer en urgence leurs propres ressortissants d'une zone de guerre, tout en ignorant les inévitables flux de réfugiés que cela engendre? Les puissances rivales se retrouvent presque en concurrence pour faire sortir leurs ressortissants en premier, le pont-levis étant bel et bien relevé pour les réfugiés qui cherchent à s’y joindre.
La situation au Soudan provoquera sans aucun doute une nouvelle augmentation considérable des déplacés. L’ONU prévoit déjà que jusqu'à 270 000 réfugiés fuiront le Soudan, en plus des près de 5 millions qui ont déjà été déplacés. N'oublions pas non plus que le Soudan accueille plus d'un million de réfugiés, même si ce n'est pas un pays riche. Si l’on dresse un tableau plus large de la situation, le nombre de personnes déplacées de force dans le monde dépasse désormais les 103 millions. Au tournant du siècle, ce chiffre n'était que de 18 millions.
Le Royaume-Uni est malheureusement en train de devenir un chef de file dans cette catégorie d'États qui mènent des politiques contre les réfugiés. Mettant de côté un accueil historique louable de protection pour ceux qui fuient les guerres et les persécutions, la sixième économie mondiale devient l'une des moins accueillantes.
Cela s’est fait par étapes. Au plus fort de la crise des réfugiés syriens en Europe en 2015, le Premier ministre britannique à cette période, David Cameron, a fini par autoriser un programme visant à accueillir sur cinq ans 20 000 réfugiés syriens. Londres s’est montrée généreuse dans son aide aux Syriens, mais seulement s'ils restaient au Moyen-Orient. En toute franchise, seules l'Allemagne et la Suède, parmi les puissances européennes, ont ouvert alors leurs portes.
Qui accueillera les réfugiés soudanais en Europe? Le gouvernement britannique répond aux questions sur leur venue au Royaume-Uni en déclarant qu'il se concentre sur l'évacuation des ressortissants britanniques du Soudan. Certains voient cette prise de position comme une préoccupation très individualiste dans le tableau d'ensemble de la catastrophe sur le terrain. Les politiciens britanniques semblent vouloir éluder la question. Pourtant, dans un avenir proche, les Soudanais fuyant ce conflit pourraient finir par traverser la Manche sur de petites embarcations.
Un grand nombre de ceux qui travaillent sur les questions des réfugiés mettent en relief un élément raciste inquiétant dans cette situation. L'année dernière, lorsqu'il s'agissait d'Ukrainiens européens blancs, le Royaume-Uni, comme d'autres pays européens, n'était que trop heureux de faciliter l'arrivée des réfugiés. Il a accueilli plus de 117 000 Ukrainiens en un peu plus d'un an. D'autres ont regardé ça avec envie. Les Soudanais le font maintenant alors que leur pays est déchiré par les conflits.
C’est la ministre de l'Intérieur, Suella Braverman, qui est le fer de lance de la politique hostile de la Grande-Bretagne envers les réfugiés non européens et non blancs. C'est la bien-aimée de l'extrême droite du Parti conservateur. Elle n'a pas tardé à souligner que le gouvernement n'avait pas l'intention d'ouvrir des voies sûres et légales aux réfugiés soudanais souhaitant venir dans le pays. Elle a indiqué que les Soudanais pourraient contacter l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s'ils souhaitaient venir au Royaume-Uni, bien que cette organisation ait rapidement rejeté cette proposition comme inexacte.
«La Grande-Bretagne, comme d'autres pays, a installé un climat malsain pour les réfugiés, en particulier ceux d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient»
Chris Doyle
Braverman rejette toute comparaison avec l'Ukraine, lorsque des routes sûres et appropriées avaient été rapidement ouvertes, affirmant qu'il s'agissait d'une «situation très différente». Reste à savoir comment. Les réfugiés soudanais pourraient ne pas voir la différence. Interrogé à la Chambre des communes sur les réfugiés soudanais venant au Royaume-Uni, le Premier ministre Rishi Sunak a simplement esquivé la question.
La pression peut monter à un point tel que le gouvernement sera obligé d'annoncer une certaine forme d'itinéraire sûr pour un nombre limité de réfugiés soudanais. Pourtant, jusqu'à présent, les ministres font tout ce qu'ils peuvent pour éviter même de faire allusion à cette perspective. S'ils peuvent l'éviter, ils le feront.
Tout cela s’inscrit dans un climat très hostile et malsain que la Grande-Bretagne et d'autres pays ont installé pour les réfugiés, en particulier ceux d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient. Ceux qui attendent le traitement de leur demande d'asile au Royaume-Uni sont confrontés à d’horribles conditions. Un travailleur réfugié m'a dit qu’un grand nombre d’entre eux espéraient maintenant qu'ils pourraient même être envoyés au Rwanda pour sortir de l'existence infernale dans laquelle ils sont plongés. Suella Braverman ne perd aucune occasion de s'attaquer à l'immigration «illégale» au Royaume-Uni, en particulier à ceux qui traversent la Manche par bateau. La semaine dernière, elle a affirmé qu'ils «avaient des valeurs qui étaient en contradiction avec notre pays» et a parlé de «niveaux accrus de criminalité». Elle a toujours tenu un discours politique sélectif, ménageant la chèvre et le chou.
Le gouvernement sait qu'il s'agit d'une question électorale d’actualité, et tente actuellement de faire adopter au Parlement de façon préoccupante un projet de loi sur la migration illégale, désastreux et faussé. Même l'ancienne Première ministre et collègue au parti conservateur, Theresa May, a été accablante à ce sujet. Pour ceux qui en doutent, il suffit de jeter un coup d'œil aux éloges de la politique d'immigration britannique formulés par la Première ministre italienne d'extrême droite, Georgia Meloni.
Le Royaume-Uni n'est qu'un exemple parmi d’autres. Les puissances européennes, tout comme les États-Unis, se sont tournées vers cette politique d’un environnement hostile envers les réfugiés non blancs, renonçant à leurs engagements moraux et légaux. Le contraste avec l'Ukraine est vraiment éloquent. Il est alimenté par la conviction intérieure, de plus en plus répandue, souvent sans fondement, que ces pays plus riches se remplissent de plus en plus, mais aussi que les réfugiés apportent des cultures et des croyances différentes en contradiction avec les leurs. Les plus radicaux et extrémistes dans la sphère politique les dépeignent comme une menace, comme des criminels venus tenter de se substituer aux populations autochtones.
Les forces politiques de l'opposition ne peuvent pas rester les bras croisés et se plaindre. L'option la plus facile est de recourir à la politique de l'indignation et de la colère. Cela n'aidera pas les réfugiés. L'augmentation massive du nombre de réfugiés nécessite un débat politique majeur qui reconnaisse que de nombreuses sociétés d'accueil se sentent dépassées, et que cela fera le jeu des racistes et de l'extrême droite.
Cela suppose de comprendre que permettre à des conflits sans fin de se poursuivre sans résolution a des conséquences majeures. Cela suppose de comprendre que le monde riche ne peut pas simplement laisser les pays les plus pauvres accueillir et prendre soin de l'écrasante majorité des personnes déplacées. Cela suppose de s'attaquer aux facteurs de déplacement profondément enracinés plutôt que de les ignorer.
• Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com