Malgré les efforts de la communauté euro-atlantique, on a l’impression que la crise ukrainienne se trouve dans une impasse. Les États-Unis et l’Allemagne font de leur mieux pour maintenir la pression sur la Russie, mais jusqu’à présent, aucune percée n’a été constatée.
Les membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), en particulier les États-Unis, envoient des messages forts à Moscou, affirmant qu’ils continueront d’augmenter la pression, mais on ne sait pas si la Russie finira par céder.
Bien que l’Otan se considère comme une alliance défensive, certains analystes estiment qu’il s’agit d’un outil américain pour répartir la part de responsabilité des crises à travers le monde. Avec la crise ukrainienne qui bat son plein, la solidarité de l’alliance va certainement s’accroître et, tant que la menace russe continuera de peser, cette solidarité risque de perdurer.
Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a annoncé la semaine dernière que l’alliance avait, jusqu’à présent, livré à l’Ukraine suffisamment d’armes pour équiper neuf brigades blindées bien entraînées. Les Ukrainiens estiment, à juste titre, que c’est moins que ce dont ils ont besoin. En comparant cette aide à la taille de l’armée russe, on se rend compte que ce n’est qu’un effort symbolique. Le vide restant doit être comblé par la détermination des troupes ukrainiennes.
Les lacunes de la Russie dans le domaine de la défense sont visibles, mais cela ne signifie pas que le pays n’est pas préparé pour une guerre prolongée. Personne ne sait quels étaient les objectifs de la Russie au départ. Les premières déclarations de Moscou donnaient l’impression que le pays allait se contenter d’annexer Donetsk et Louhansk, affirmant qu’il y avait une forte minorité russophone dans ces deux provinces. Selon les chiffres ukrainiens, cependant, seuls 38% des habitants de Louhansk et de Donetsk utilisent le russe comme première langue. Dans plusieurs autres provinces, ce pourcentage est beaucoup plus faible.
Après avoir lancé une attaque majeure le 24 février 2022, la Russie a envahi de vastes étendues de l’Ukraine et occupé près de 27% de son territoire, mais elle a ensuite dû se retirer de plusieurs provinces. Les territoires ukrainiens occupés par la Russie sont désormais réduits à 17%, y compris la Crimée. Expulser la Russie de certaines de ces régions, comme Donetsk et Louhansk, ne sera peut-être pas facile. Plus la guerre s’enracine, plus il sera difficile de déraciner les forces russes. Par conséquent, la Russie préfère voir la situation actuelle s’aggraver.
Il est irréaliste de présumer que la Russie est au bord de l’effondrement. Elle couvre une superficie considérable. Elle compte 143 millions d’habitants. Elle dispose d’une énorme quantité de ressources naturelles. Si nécessaire, elle peut imposer des mesures d’austérité pour contraindre le peuple ou le persuader.
Les relations turco-russes offrent un certain répit aux relations entre l’Otan et la Russie, leur permettant d’éviter l’asphyxie
Yasar Yakis
La Finlande est devenue membre à part entière de l’Otan. L’opposition de la Turquie à l’adhésion de la Suède à l’Otan sera probablement résolue d’une manière ou d’une autre, très probablement lorsque Ankara cédera à la pression américaine. La Suède, avec sa forte industrie de défense, deviendra bien sûr un atout important pour l’alliance. Cependant, le malaise de la Russie découlant de l’adhésion de la Suède à l’Otan – sans compter la frontière longue de 1 500 kilomètres entre la Finlande et la Russie – pourrait devenir un facteur perturbateur dans les relations Est-Ouest. Tous ces facteurs deviendront importants dans la nouvelle architecture de défense européenne.
Les tensions sont susceptibles d’augmenter dans la région de la mer Noire une fois l’équilibre actuel des pouvoirs dans la région remodelé. L’ancienne rivalité entre l’Est et l’Ouest pourrait refaire surface dans la région. Après que la Roumanie et la Bulgarie sont devenues membres de l’Otan en 2004, la balance a penché vers l’Ouest. La demande d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne (UE) progresse lentement. Si Tbilissi se joint à l’Otan, le malaise de la Russie en mer Noire serait encore exacerbé.
Dans le rapport de force Est-Ouest, la Turquie redeviendra importante puisqu’elle entretient avec la Russie une relation légèrement différente. Elle n’a pas pris part aux sanctions de ses collègues membres de l’Otan contre la Russie. Elle a des problèmes avec Moscou en raison de sa coopération avec l’Ukraine dans l’industrie de la défense. Elle coopère avec la Russie sur plusieurs autres dossiers, mais cela pose également des problèmes. C’est une situation particulière, mais les relations turco-russes offrent un certain répit aux relations entre l’Otan et la Russie, leur permettant d’éviter l’asphyxie.
Le rapport de force qui prévalait en mer Noire grâce à la Convention de Montreux de 1936 s’est maintenu pendant plus de quatre-vingts ans, principalement grâce aux apports de la Turquie et de la Russie. Depuis que la Bulgarie et la Roumanie ont rejoint l’Otan, la prépondérance de l’alliance en mer Noire s’est accrue. C’est un autre facteur dont il faut tenir compte dans la nouvelle architecture de défense en Europe.
La guerre russo-ukrainienne prendra fin tôt ou tard, mais seulement après que des dizaines de milliers de jeunes hommes – voire des centaines de milliers – auront été tués, après que des millions de civils auront subi toutes sortes d’épreuves et après que d’importants dommages auront été causés à l’infrastructure physique, principalement en Ukraine, mais aussi dans certaines parties de la Russie.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP, au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com