TUNIS: Hamadi Mezzi, l’une des figures les plus en vue de la scène théâtrale tunisienne, en dresse un tableau guère reluisant à l’occasion de la Journée mondiale du théâtre.
La dégringolade que la Tunisie connaît depuis quelques années ne se limite pas aux domaines politique, économique et social. Elle s’étend à un autre qui était naguère l’un de ses titres de gloire: le théâtre. C’est du moins le constat que fait M. Mezzi qui, le 28 mars dernier, a lancé un véritable cri du cœur.
Dans un texte publié le lendemain de la Journée mondiale du théâtre, ce dramaturge et metteur en scène attire l’attention sur la dégradation en Tunisie de la maîtrise de cet art que Hamadi Mezzi pratique depuis quarante-sept ans. Ses griefs sont multiples.
Le premier tient au fait que «la plupart des pièces sont des adaptations de textes théâtraux mondiaux et de romans» et qu’il y a «très peu de pièces innovantes». D’après le dramaturge, ce phénomène fait du tort au «théâtre tunisien précurseur à l’échelle arabe et africaine en matière de recherche et de renouveau».
M. Mezzi s’étonne aussi – deuxième frustration – de voir «des compagnies de théâtre modestes» représenter la Tunisie à des festivals arabes et africains, grâce à du «copinage». Pour mettre fin à cette situation, il appelle le ministère de la Culture à «rationaliser le dispositif d’acquisition des spectacles, qu’ils soient destinés à être présentés lors de festivals tunisiens, arabes ou internationaux».
Hamadi Mezzi accuse aussi certaines de ces troupes de tromperie sur la marchandise, car elles recrutent des attachés de presse qui, selon lui, deviennent des «outils de propagande» et «écrivent des articles trompeurs sur des pièces très modestes».
Ce qui énerve sans doute le plus Hamadi Mezzi, ce sont «les très nombreux intrus qui parviennent, grâce à des structures influentes, à bénéficier de la carte professionnelle, à intégrer le milieu théâtral et, partant, à concurrencer les vrais professionnels»
En outre, le fondateur, en 1989, de la troupe de théâtre Sindbad – qui a produit dix-sept pièces – trouve regrettable la rupture entre les maisons de la culture et les maisons des jeunes, d’un côté, et les écoles et universités, de l’autre, imputable selon lui à l’absence «de professeurs spécialisés pouvant encadrer les jeunes amoureux de théâtre de manière appropriée».
Mais ce qui énerve sans doute le plus M. Mezzi, ce sont «les très nombreux intrus qui parviennent, grâce à des structures influentes, à bénéficier de la carte professionnelle, à intégrer le milieu théâtral et, partant, à concurrencer les vrais professionnels». Pour lui, «cette situation que tout le monde connaît, doit cesser» et pour cela, il faudrait revoir «de manière radicale» les critères d’attribution des cartes.
Néanmoins, le dramaturge relève de rares «aspects positifs et d’autres qu’il faudrait améliorer», qui sont autant de motifs d’espoir. D’abord, l’intérêt récemment porté par le président, Kaïs Saïed, aux maisons de la culture et aux maisons des jeunes –traditionnellement cocons des troupes de théâtre – dont il a recommandé l’entretien des équipements lors d’une audience accordée le 1er mars à la ministre de la Culture, Hayet Ketat-Guermazi.
Hamadi Mezzi estime que «la réparation dans les meilleurs délais des installations de ces espaces et le renouvellement de leurs équipements vont faire revenir les jeunes que nous avons perdus depuis vingt ans».
Dans un deuxième temps, le dramaturge évoque l’émergence «de rares pièces de théâtre qui tutoient le niveau mondial avec leurs thèmes, leur esthétique et la qualité du jeu de leurs acteurs». C’est le cas par exemple de Partiro («Je partirai», en italien) de l’association Mimosa de Tazarka, qui, indique M. Mezzi à Arab News en français, traite du problème de la Harga, cette envie d’émigrer, fut-ce clandestinement, s’emparant d’un nombre de plus en plus grands de jeunes. Mais ces travaux «passent inaperçus dans le flot des productions modestes et ils ne bénéficient pas de l’accompagnement nécessaire», regrette le metteur en scène.
Mais le dramaturge n’entend pas se contenter d’observer la scène théâtrale. Sa troupe a repris le travail sur une pièce mise en chantier il y a deux ans, dont la présentation, retardée par la pandémie de Covid-19, aura bientôt lieu, souligne-t-il à Arab News en français.