PARIS: Très difficile à chiffrer, le montant de la fraude fiscale en France ne fait l'objet d'aucune estimation officielle mais constitue potentiellement une manne de plusieurs dizaines de milliards à récupérer par l'État.
Alors que la dette publique frôle les 3 000 milliards d'euros, le président de la République a promis "des annonces fortes dès le mois de mai" pour lutter contre les fraudes sociales, mais aussi fiscales.
Partie émergée de l'iceberg, les montants mis en recouvrement par le fisc après contrôle fiscal ont atteint en 2022 14,6 milliards d'euros, soit 1,2 milliard de plus qu'en 2021.
À la suite des contrôles exercés par l'État, 10,6 milliards d'euros ont été encaissés par le fisc, autant qu'en 2021.
Selon le ministère de l'Économie et des finances, "ce résultat est porté principalement par l'impôt sur les sociétés et la taxe sur les salaires", en hausse de 30% sur un an, ainsi que les droits de succession (+23%), qu'Emmanuel Macron a promis d'alléger durant sa campagne de 2022.
Contrôle par algorithmes
Les contrôles fiscaux ont de plus en plus souvent lieu sur la base du data mining, les dossiers suspects étant repérés par des algorithmes. En 2022, 52% des contrôles des entreprises ont ainsi été engagés sur cette base, selon le ministère de l'Économie.
Mais selon Solidaires finances publiques, premier syndicat de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), si le data mining a été à l'origine de 45% des contrôles en 2021, il a seulement permis 9% des redressements.
Tandis que, parallèlement à l'avènement de l'intelligence artificielle, les effectifs du contrôle fiscal ont baissé entre 2017 et 2021, la députée Charlotte Leduc (LFI), autrice d'un rapport de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, propose l'embauche de 4 000 agents d'ici 2027.
TVA et facturation électronique
À elle seule, la TVA non recouvrée représentait en 2012 entre 20 et 26 milliards d'euros (soit 17% à 21% des recettes de TVA cette année-là), selon une estimation de l'Insee dans une note en décembre dernier.
L'État espère réduire la fraude à la TVA en rendant obligatoire la facturation électronique, à commencer par les grandes entreprises qui y seront assujetties à partir du 1er juillet 2024.
L'Italie a pu recouvrer deux milliards d'euros supplémentaires grâce à la facturation électronique, relève le ministre des Comptes publics Gabriel Attal.
Évaluer la fraude
Solidaires finances publiques estime que l'ensemble de la fraude fiscale en France atteint entre 80 et 100 milliards d'euros par an, beaucoup plus que la fraude sociale qui s'élèverait à 20 ou 25 milliards, essentiellement pour du "travail non déclaré", selon le syndicat.
À la suite d'une mission d'information, la commission des finances du Sénat recommande la production de données sur la fraude fiscale – par l'administration fiscale et par l'Insee – pour le budget 2024.
Elle préconise aussi le doublement du nombre d'officiers fiscaux judiciaires, actuellement au nombre d'une quarantaine, une proposition qui a été retenue par le gouvernement.
Optimisation ou évasion ?
La mission sénatoriale appelle aussi le gouvernement à "réviser les conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes".
Une recommandation faite dans le sillage du scandale Cum-Ex, qui désigne des montages financiers réalisés par des investisseurs du monde entier, avec l'aide de banquiers et d'avocats, pour éviter de payer le fisc ou de réclamer des remboursements d'impôts sur des dividendes jamais versés.
Contrairement aux pratiques d'optimisation fiscale légales permettant aux entreprises de déclarer leurs bénéfices là où ils sont le moins imposés, l'évasion fiscale relève, elle, de la fraude. Mais la frontière est parfois difficile à établir tant les transferts de fonds d'un pays à l'autre peuvent être complexes, avec le recours à de nombreux intermédiaires ou sociétés écran.
Pour limiter les abus, un accord a été scellé par près de 140 pays en 2021 sous l'égide de l'OCDE, fixant notamment un impôt minimal à 15% sur les bénéfices des entreprises, qui devrait générer quelque 220 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires au niveau mondial.