Depuis 2017, on se targue à tort de l’éradication de l’organisation Daech en Irak et en Syrie. Aujourd’hui, des indicateurs montrent que ce scénario heureux pourrait enfin se réaliser.
L’activité de Daech dans ces deux pays ne cesse de décliner et ne se limite désormais plus qu’à quelques localités. Selon les propres affirmations de Daech, le nombre de victimes de la plupart des attaques menées dans ses territoires est extrêmement faible. Vers 2021, Daech perpétrait en moyenne cinquante attaques par mois en Irak. Désormais, dans sa phase apparemment terminale, la branche peine à perpétrer une douzaine d’attaques de faible envergure chaque mois.
Au cours des derniers ramadans, Daech a intensifié ses activités. Son échec à organiser une campagne terroriste majeure en 2023 met en évidence la faiblesse de ses capacités actuelles, bien que les djihadistes célèbrent le ramadan comme un «mois de conquêtes».
Deux des dirigeants de Daech ont été tués l’année dernière. Il est impossible de trouver un militant capable de vous fournir une quelconque information sur son mystérieux chef actuel – Abu Hussein al-Husseini al-Qurachi – à supposer déjà qu’il existe. Les opérations de ces dernières semaines ont permis d’abattre un nouveau groupe de dirigeants de Daech. Les autorités irakiennes affirment que Daech ne compte plus que quatre cents combattants répartis dans quatre provinces irakiennes. Par ailleurs, son isolement géographique rend le recrutement de plus en plus difficile.
Les djihadistes rivaux notent l’absence de vétérans de Daech encore en vie, capables de prendre des décisions stratégiques, de gérer des opérations mondiales ou de conférer une légitimité aux choix des dirigeants. Les djihadistes soulignent les répercussions du meurtre, en février dernier, d’un haut commandant, Abu Sarah al-Iraqi, sur le chaos actuel au sein de Daech.
Des médias militants influents comme Sawt al-Zarqawi reprochent aux adeptes de la plate-forme Telegram d’avoir «fait fi de leurs messages» et de ne pas avoir diffusé de propagande. Les déclarations de Daech expriment leur frustration face à la réticence des musulmans européens à se faire exploser ou à foncer dans des foules de passants au volant de leurs véhicules pour satisfaire la version pervertie de Daech de «la bonne cause».
Cependant, l’implosion de Daech en Irak et en Syrie contrebalance une transformation cataclysmique de la fortune du groupe à travers l’Afrique subsaharienne. En 2018, 80% de son activité était concentrée en Irak et en Syrie; désormais, plus de la moitié des attaques du groupe se produisent en Afrique.
En Afrique de l’Ouest, Daech et ses rivaux d’Al-Qaïda ont établi leur contrôle dans de vastes zones au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Des rapports signalent que la principale agglomération malienne du nord-est de Ménaka est désormais entièrement encerclée par les combattants de Daech. Les djihadistes ont de facto le pouvoir sur près de 40% du Burkina Faso. Les vidéos de propagande montrent leur capacité à mobiliser des centaines de combattants bien armés, qui peuvent envahir de vastes territoires peu peuplés à motos et en véhicules blindés.
Les faiblesses chroniques en matière de sécurité et de gouvernance dans la région du Sahel signifient que le principal frein à l’expansion djihadiste est la rivalité qui existe entre eux. En effet, Daech et Al-Qaïda tuent des centaines de combattants du camp adverse.
Les dirigeants tribaux n’ont d’autre choix que de payer des impôts, de conclure des marchés et d’autoriser le recrutement de leurs jeunes par des militants après la disparition des forces militaires régulières et des milices d’autodéfense locales, compte tenu notamment du vide stratégique laissé par le départ des forces françaises et régionales. Les tentatives du groupe de mercenaires russes Wagner d’intervenir n’ont fait qu’aggraver une situation déjà difficile, avec des massacres à l’aveugle poussant encore plus les citoyens dans les bras des djihadistes. Une grande partie de la Somalie est sous contrôle djihadiste.
«Les djihadistes ne se sentent nullement exposés au risque de défaite; ils affirment qu’ils attendent leur heure avant de futures victoires.» - - - Baria Alamuddin
Dans la région du lac Tchad, les forces de Boko Haram et de la province de l’État islamique dans l’Afrique de l’Ouest étaient occupées à se battre ces derniers mois, mais depuis le mois de mars, ces dernières ont de nouveau intensifié les assauts contre l’armée et mené des attaques dans de nouvelles zones comme l’État de Jigawa. Dans d’autres régions du Nigeria, des bandits et des groupes militants – dont certains ont des liens avec des djihadistes – se vantent d’avoir conclu des accords lucratifs avec des entreprises chinoises pour leur permettre de prospecter des minerais et de faire des affaires. L’enlèvement d’étrangers et de personnes fortunées est un moyen facile pour les groupes militants de récolter des millions en rançon. La province de l’État islamique dans l’Afrique de l’Ouest est en grande partie financièrement indépendante de l’organisation centrale de Daech et récolte quelque 36 millions de dollars (1 dollar = 0,91 euro) par an grâce à son contrôle de la pêche et de la production agricole.
Les branches de Daech au Congo et au Mozambique continuent de tuer des centaines de personnes parmi la population locale. La propagande de Daech est jonchée de décapitations atroces, de mutilations et de massacres gratuits.
Pourquoi Daech et Al-Qaïda se font-ils la guerre? Évidemment, la raison principale remonte aux scissions au sein de ces mouvements djihadistes en Syrie aux alentours de l’année 2012. Cependant, une guerre idéologique malsaine continue de se dérouler. À titre d’exemple, en Afghanistan, les talibans et leurs alliés d’Al-Qaïda dénoncent Daech comme des extrémistes «Khawâridjs» brutaux, tandis que la propagande de Daech dénonce les talibans comme des vendus déviants qui collaborent avec l’Occident pour réprimer les militants de Daech. Alors qu’Al-Qaïda n’a toujours pas publiquement nommé de chef après l’élimination d’Ayman al-Zawahiri l’année dernière, ces deux organisations djihadistes mondiales manquent de leadership clair, mais elles ne semblent pas prêtes à se réconcilier de sitôt.
Les terroristes sont comparables à la mauvaise herbe. Si l’on ne s’occupe pas constamment et consciencieusement de son jardin, il sera vite ravagé par des plantes indésirables qui se répandront rapidement dans les jardins de mes voisins aussi. En Irak, au Nigeria, au Yémen et en Égypte, les groupes terroristes savent qu’il leur suffit de survivre et de subsister jusqu’à ce qu’une crise politique inévitable éclate, leur permettant de surgir et de se rétablir en tant que force dominante dans tous les espaces sous-gouvernés.
Des dirigeants malveillants tels que Bachar al-Assad, les ayatollahs iraniens et la coalition Hachd al-Chaabi en Irak ont exploité les djihadistes à leurs propres fins et s’en sont servis comme épouvantails pour terroriser leurs ennemis – ce qui signifie que Daech ne peut pas disparaître complètement.
Ainsi, au lieu de se réjouir des malheurs de Daech, le monde devrait ajuster ses stratégies antiterroristes pour faire face à une nouvelle phase écrasante du conflit; ralentir l’expansion incessante des djihadistes à travers l’Afrique et l’Asie centrale, stabiliser les États qui sortent d’un conflit comme la Libye, le Yémen et la Syrie, empêcher les États qui parrainent le terrorisme de financer les paramilitaires et les djihadistes et veiller à ce que les jeunes frustrés ne soient pas séduits par l’idéologie mortifère de Daech. Le monde occidental est quant à lui menacé par la montée de l’extrême droite.
Daech en Irak a été pratiquement vaincu vers 2010, mais il n'est pas nécessaire de rappeler la manière dont le groupe a repris le dessus trois ans plus tard, en raison de l’incompétence politique et de l’incitation à la haine sectaire du Premier ministre, Nouri al-Maliki, ainsi que du conflit en Syrie.
Les djihadistes ne se sentent nullement exposés au risque de défaite; ils affirment qu'ils attendent leur heure avant de futures victoires. Les politiques à court terme et les échecs des services de renseignement ne doivent pas leur donner l'occasion de prouver qu'ils ont raison.
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com