Les deux derniers mois ont été particulièrement sinistres depuis que les tremblements de terre ont ravagé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie. À 4h17 précises, des millions de vies ont changé à tout jamais. Pour les Syriens, il s’agissait du plus grand tremblement de terre depuis plus de huit cents ans – depuis le séisme de 1202 à Damas, qui avait provoqué des inondations et la famine. Comment ces régions vont-elles et comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?
À ce jour, le nombre exact de morts en Syrie demeure inconnu. Peut-être 5 000, probablement plus. Le nombre de décès en Turquie s’élève à plus de 50 000. 148 villes et villages du nord-ouest de la Syrie ont été touchés par les tremblements de terre. Les chiffres précis, comme toujours en Syrie au cours des dernières années, sont rarement fournis compte tenu de l’absence d’autorités gouvernementales efficaces.
Il faut rendre hommage à ceux qui ont travaillé sans relâche sur le terrain pour apporter de l’aide. Ce n’est jamais facile. En Syrie, plus de 101 000 personnes ont bénéficié d’abris d’urgence depuis les tremblements de terre. De nombreux Syriens et Turcs séjournent dans des tentes menacées par les tempêtes et 50 camps de personnes déplacées ont jusqu’à présent été inondés.
Le Programme des nations unies pour le développement (Pnud) estime les coûts de remise en état de la Syrie à 14,8 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro). Là encore, il s’agit probablement d’une sous-estimation. La Syrie est littéralement ensevelie sous les grabats. 80 000 m3 de débris ont déjà été enlevés par la communauté humanitaire. Il en reste beaucoup plus. Les rues de villes comme Jindires, à Afrin, sont toujours recouvertes de décombres, ce qui bloque la circulation.
Les Syriens ne connaissent que trop bien le déplacement. Plus de la moitié de la population a été déplacée depuis 2011, et bien plus d’une fois. Plus de 30 000 mouvements de déplacement ont été enregistrés dans le nord-ouest de la Syrie entre le 6 et le 8 février.
Le besoin le plus pressant serait sans doute un soutien psychologique. Les personnes concernées continuent de revivre l’événement. Beaucoup ne sont même pas conscientes du traumatisme dont elles souffrent et ne comprennent pas le trouble de stress post-traumatique. Elles savent que quelque chose ne va pas et ignorent que c’est fréquent après un tel événement. Le traumatisme est universel. Même les personnes qui s’occupent d’enfants sont traumatisées. Les parents, qui ont déjà du mal à se gérer eux-mêmes, ne savent pas comment aider leurs enfants bien-aimés.
Les principaux acteurs internationaux continuent de traiter les événements en Syrie comme une crise d’urgence, et non comme un défi politique à long terme qui devrait être résolu.
Chris Doyle
Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, les histoires d’horreur qui ont fait la une des médias mondiaux ont malheureusement disparu par la suite. C’est à peine si on en parle. Le monde n’a peut-être pas tout à fait oublié, mais la question a été reléguée au second plan.
Les Syriens sont victimes d’une série de catastrophes depuis douze ans. Plus que jamais, ils se sentent seuls et abandonnés. Une population déjà traumatisée a dû faire face à un nouveau traumatisme. Ayant eu peur de mourir pendant des années en raison des bombardements du régime, ils redoutent désormais que la terre s’écroule sous leurs pieds. Au plus fort de la pandémie de Covid-19, les gens hésitaient à sortir. Maintenant, ils sont terrifiés à l’idée de rentrer chez eux. De nombreux Syriens disent préférer les tentes glaciales à l’horreur que représente le fait de retourner à l’intérieur des bâtiments. Le bruit des murs qui craquent les hante et ce souvenir ne semble pas près s’effacer. Certains ont quitté les abris d’urgence pour rejoindre des refuges à moyen terme.
Comment les différentes administrations se sont-elles comportées ? De nombreuses critiques ont été adressées aux autorités turques, dont la planification d’urgence en cas de catastrophe s’est révélée inadéquate. En outre, beaucoup de gens sont morts dans des bâtiments qui n’étaient pas adaptés, construits sans contrôle approprié. La Turquie avait toujours besoin d’un soutien extérieur. L’ampleur de la catastrophe a été considérable : 30 000 bâtiments se sont effondrés dans dix villes. Les performances des autorités dans les quarante-huit premières heures, cruciales, ont été beaucoup critiquées.
Supposons que la Syrie soit un État fonctionnel bien gouverné doté d’une multitude de ressources et d’alliés utiles. Le pays aurait tout de même souffert. Pourtant, avec des zones de contrôle divisées, c’est le manque de gouvernance qui a rendu toute la situation syrienne si différente de la Turquie. Le régime a tardé à réagir et s’est avéré globalement inefficace. Dans les zones d’opposition, l’absence d’une autorité compétente explique pourquoi, là encore, de nombreuses structures ont été construites de manière si lamentable et se sont effondrées si facilement. En règle générale, bon nombre des trois millions de personnes déplacées dans le nord-ouest vivaient dans des bâtiments qui appartenaient à des réfugiés, ce qui soulève des problèmes juridiques délicats. Si les demeures des réfugiés se sont effondrées lors des tremblements de terre, pour qui seront-elles reconstruites ?
Au nord-ouest de la Syrie, la société civile a déployé des efforts considérables. Tout le monde savait qu’aucune autorité ni aucune puissance supérieure n’était là pour faire le travail ; ainsi, dans la mesure du possible, tout le monde a participé. Aussi importants que soient ces efforts, ils ne compensent pas l’absence d’expertise et d’équipements vitaux. Expédiés en quantités abondantes vers la Turquie, les équipements lourds n’ont pas traversé la frontière.
C’est là que l’échec de la communauté internationale des donateurs a frappé le plus durement. L’aide déployée au nord-ouest de la Syrie a été terriblement lente. Le premier convoi de l’ONU est parti le 10 février, mais il ne contenait que des kits d’aliments et d’hygiène standard qui avaient été distribués avant les tremblements de terre. Plutôt que de fournir des équipements lourds et une expertise indispensable, les États donateurs ont généralement signalé le soutien financier de groupes comme les Casques blancs.
La conférence des donateurs à Bruxelles, au mois de mars, s’est caractérisée par l’absence totale de Syriens. Le ministre turc des Affaires étrangères était là, mais il n’y avait aucun représentant syrien. Il y a là un abîme – personne ne prend la parole pour prendre la défense des Syriens. Reste à savoir quelle somme sera réellement fournie parmi les 6,05 milliards d’euros promis à la Turquie et les 911 millions d’euros à la Syrie.
Mais le financement n’est même pas le plus grave problème. Les principaux acteurs internationaux continuent à traiter les événements en Syrie comme une crise d’urgence plutôt que comme un défi politique à long terme qui devrait être résolu. L’échec politique a conduit à la mort de personnes pendant et après ces tremblements de terre. Les acteurs internationaux n’auraient jamais dû se limiter à un seul passage frontalier pour l’ONU dans le nord de la Syrie. Si cette organisation ne pouvait faire en sorte que l’aide traverse la frontière, chaque État aurait pu – et dû – prendre ses propres dispositions.
Rien ne laisse présager que le malaise politique international au sujet de la Syrie va changer. Dans quelques semaines, le Conseil de sécurité de l’ONU discutera de la prolongation de l’ouverture du point de passage de Bab al-Hawa pendant encore six mois. L’aide ne sera destinée qu’aux urgences, pas même au redressement accéléré. Les Syriens ne sont pas éligibles à l’aide au développement.
Le pire, ce qu’on va laisser la carcasse syrienne pourrir. Le régime syrien agira, comme toujours, dans son propre intérêt. Ses alliés, la Russie et l’Iran, ne pourront fournir qu’une aide minime. L’opposition syrienne est impuissante. Les États arabes normaliseront les relations, mais quel est donc le grand plan pour apporter un réel changement ? Le reste du monde se contente d’ignorer la Syrie – une approche imprudente et dangereuse, que beaucoup regretteront.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com