Latifa ben Ziaten, une mère meurtrie qui a fait de la haine son combat

Latifa ben Ziaten explique à Arab News en français qu’elle a cinq enfants. «Mais avec la mort d’Imad, c’est une moitié de moi que j’ai perdue». (Photo fournie).
Latifa ben Ziaten explique à Arab News en français qu’elle a cinq enfants. «Mais avec la mort d’Imad, c’est une moitié de moi que j’ai perdue». (Photo fournie).
L’association « Imad pour la jeunesse et la paix » que ibn Zyaten a créée, lui permet d’apporter sa contribution à cette tâche, et de rester debout, tout comme son fils. (Photo fournie).
L’association « Imad pour la jeunesse et la paix » que ibn Zyaten a créée, lui permet d’apporter sa contribution à cette tâche, et de rester debout, tout comme son fils. (Photo fournie).
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Publié le Mercredi 14 juillet 2021

Latifa ben Ziaten, une mère meurtrie qui a fait de la haine son combat

  • Le 11 mars 2012, Latifa ben Ziaten, une mère de famille comme tant d’autres, qui vivait dans la région de Toulouse, a vu sa vie basculer dans l’horreur
  • Submergée par la douleur, elle refuse pourtant de baisser les bras et parvient à dépasser son drame pour se lancer dans une action positive: agir contre la radicalisation

PARIS: Le 11 mars 2012, Latifa ben Ziaten, une mère de famille comme tant d’autres, qui vivait dans la région de Toulouse (sud-ouest de la France), a vu sa vie basculer dans l’horreur.

Son fils Imad (28 ans), parachutiste de l’armée française, a été abattu par le terroriste Mohamed Merah (24 ans), surnommé à l’époque «le terroriste à scooter».

Les deux jeunes hommes ne se connaissaient pas. Ils se sont donné rendez-vous après une annonce publiée par Merah sur Internet concernant la vente d’un scooter.

L’annonce est un piège: Merah sait qu’Imad ben Ziaten est soldat. Lorsque ce dernier arrive au lieu fixé pour leur rencontre, Merah l’abat froidement avec une arme à feu.

Latifa ben Ziaten est dévastée. Elle est touchée dans sa chair par un terroriste qui lui a enlevé son fils, sa fierté.

Submergée par la douleur, elle refuse pourtant de baisser les bras et parvient à dépasser son drame pour se lancer dans une action positive: agir contre la radicalisation.

Ce qui l’a aidée à ne pas s’abandonner au chagrin et à la haine, c’est en premier lieu l’amour incommensurable qu’elle porte à ce fils qu’on lui a arraché.

Elle explique à Arab News en français qu’elle a cinq enfants. «Mais avec la mort d’Imad, c’est une moitié de moi que j’ai perdue», confie-t-elle. Puis le procureur de Toulouse lui apprend que son fils est mort debout, refusant les injonctions de Merah de se mettre à plat ventre.

Elle décide de rechercher l’assassin pour savoir pourquoi il a tué son fils.

(Par la suite, Merah fera six autres victimes, avant d’être abattu par les forces spéciales du Raid).

Un travail énorme

Mme ben Ziaten se rend dans le quartier où a grandi Merah, dans une banlieue de Toulouse, à la rencontre des jeunes. Elle est sidérée par la fierté qu’ils affichent à l’égard de Merah, «ce héros qui a mis la France à genoux», disent-ils.

Ces paroles choquantes lui font prendre conscience de la gravité de la situation. Alors, s’adressant aux jeunes qui sont en face d’elle, elle leur dit: «Vous êtes la cause de ma souffrance», mais aussi: «Je veux vous tendre la main. Je veux vous aider.»

Ses propos ne recueillent que le sarcasme. Un des jeunes lui rétorque: «Nous avons déjà entendu ça à plusieurs reprises et nous n’y croyons plus.»

Elle insiste, affirmant que l’islam n’est pas ce que Merah a fait, que la France est un pays de liberté et de droit, non un pays de haine.

Elle entend cette réponse: «Mais regardez, madame, où on vit, regardez autour de vous. On est comme des singes, des bestioles enfermées, et on essaye de se venger sur la société.»

«Sauf que la société n’y est pour rien», rétorque-t-elle. «Si vous avez besoin d’aide, il faut appeler, manifester, écrire, il faut appeler au secours, mais pas tuer.»

Là encore, la réponse est désespérante: «Personne ne nous entend, les journalistes viennent et nous filment comme si nous étions des singes. On est perdus, madame.»

Alors elle se promet de ne pas lâcher et de faire tout ce qui en son pouvoir pour empêcher ces jeunes de sombrer dans la violence, pour éviter qu’un nouveau Merah ne surgisse parmi eux et ne fasse d’autres victimes.

Depuis, Mme ben Ziaten consacre son énergie à porter un message de tolérance, de fraternité et de courage, espérant ainsi neutraliser le discours de haine distillé parmi ces jeunes dans le but de les retourner contre la société et d’en faire des machines à tuer.

Avec un profond regret, elle assure que ce même langage de désespoir et ce sentiment d’abandon, elle les retrouve dans toutes les banlieues françaises ou européennes où elle se rend, dans les prisons, et même dans les écoles.

Il y a «un travail énorme à accomplir avec les jeunes des banlieues, en France mais également en Europe», assure-t-elle.

Ce constat apparait comme une évidence dans le sondage YouGov ( institut de sondage britannique)  pour Arab News, qui montre que les français d’origine arabe se sont largement adaptés au mode de vie en France, mais les jeunes souffrent du manque de moyens éducatifs, sachant que l’éducation est le moyen le plus important pour les faire progresser.

L’association « Imad pour la jeunesse et la paix » que ibn Zyaten a créée, lui permet d’apporter sa contribution à cette tâche, et de rester debout, tout comme son fils.

C’est sa manière à elle de garder sa mémoire vivante. «Je ne savais rien du travail des associations. J’ai appris petit à petit», explique-t-elle. «Quand je regarde derrière moi et que je vois le nombre des personnes que j’ai aidées, je me dis que c’est ce que Imad était en droit d’attendre de moi.»

Le manque d'amour des jeunes

Pour agir contre la radicalisation, elle n’a suivi aucune formation. Elle se laisse guider par son instinct de mère et s’adresse à son public avec ses mots à elle, des mots tout simples, mais empreints d’une grande confiance.

Son constat le plus douloureux, c’est le manque d’amour que ressentent ces jeunes en perdition. «Quand je leur parle d’amour, certains se mettent à pleurer; de même, quand je parle de la présence des parents.» Beaucoup sont abandonnés à eux-mêmes. «Ils voient très peu leurs parents, ils ne dialoguent pas avec eux.»

Lorsqu’elle parle de l’éducation, les jeunes lui disent qu’ils sont découragés par le manque de moyens. Et quand elle parle de religion, ils disent qu’ils sont croyants. «Mais quand je leur demande s’ils savent ce qu’est la religion, ils disent que non…»

Selon elle, toute une chaîne doit se constituer autour de chacun de ces jeunes et concerner aussi bien l’école que la famille et l’entourage social.

Il n’y a pas de place pour la haine dans son cœur. Quand, dans les prisons, elle rencontre des terroristes qui ont commis des attentats et tué, elle raconte: «Je vois en face de moi une personne qui a commis un acte et qui paye en prison pour ce qu’elle a fait, et je lui souhaite de s’en sortir.»

Mais elle admet éprouver du ressentiment vis-à-vis de la mère de Merah, qu’elle a rencontrée dans le cadre du procès de son second fils Abdelkader – condamné pour complicité avec son frère.

« Elle, je ne lui pardonne pas», affirme Latifa ben Ziaten. «Elle a coulé ses quatre enfants, elle les a abandonnés à la drogue et la violence, et quand je lui ai demandé si elle se rendait compte du gâchis dont elle était responsable, elle a répondu: “Il n’y a pas que son fils qui est mort, le mien aussi.”» C’est glaçant.

C’est l’histoire de la vie d’une mère meurtrie devenue autodidacte de l’action sociale. C’est l’histoire de la vie de deux jeunes adultes français gâchée par le terrorisme barbare.

Il faut toujours regarder le côté positif. Je pense que l’on va s’en sortir, en sachant qu’un travail de terrain est nécessaire, et même un véritable travail de fourmi pour éviter que ce que nous sommes en train de vivre ne se perpétue, aussi bien en France qu’ailleurs dans le monde.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.