Les Français de confession musulmane et les Français d’origine arabe à l’épreuve du modèle français

Détails de l'intérieur de la grande mosquée de Paris. (AFP).
Détails de l'intérieur de la grande mosquée de Paris. (AFP).
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Publié le Mardi 01 décembre 2020

Les Français de confession musulmane et les Français d’origine arabe à l’épreuve du modèle français

  • À partir du début des années 1980, la société française a pris conscience de la réalité de la présence d’immigrés de culture musulmane sur le territoire national
  • L’un des problèmes de cette nouvelle génération musulmane installée en France et en Europe aujourd’hui est que la modernisation n’apparaît pas comme un processus naturel, mais plutôt comme un modèle imposé

PARIS: La dernière vague terroriste qui a frappé la France cette année, succédant à celle de 2015-2016, ressuscite un débat sur l’adaptation d’une nouvelle génération d’immigrés et son degré d’intégration dans l’Hexagone. La capacité du modèle laïc français à favoriser le respect et la mise œuvre des principes fondateurs de la République, en particulier l’égalité et la fraternité, est également questionnée.

L’année 1983 a symbolisé la nouvelle donne émergente, avec la Marche des beurs et les grèves dans le secteur de l’automobile, dans lequel la main d’œuvre immigrée joue un rôle important. On commence alors à parler de la «deuxième génération».

Les schismes culturels et les inégalités sociales compliquent et retardent sans doute la marche vers l’intégration d’une jeunesse mise à rude épreuve, prise entre le marteau des sirènes religieuses extrémistes et l’enclume du racisme et de la discrimination, en l’absence de mécanismes efficaces pour promouvoir la citoyenneté.

Choc socioculturel

À partir du début des années 1980, la société française prend conscience de la réalité de la présence d’immigrés de culture musulmane sur le territoire national, notamment dans les banlieues de grandes villes baptisées à l’époque «banlieues de l’islam».

Les travailleurs issus de l’immigration qui étaient venus en France dans les années 1970 ayant vocation à rester sur place, le paysage français s’est transformé, et, au fil du temps, l’islam est devenu la deuxième religion du pays après le catholicisme. Ainsi, parallèlement à un choc socioculturel, une méfiance s’est installée entre, d’une part, des Français autochtones et ,d’autre part, de nouveaux Français issus de l’immigration, majoritairement maghrébins.

L’année 1983 a symbolisé la nouvelle donne émergente, avec la Marche des beurs et les grèves dans le secteur de l’automobile, dans laquelle la main d’œuvre immigrée joue un rôle important. On commence alors à parler de la «deuxième génération». L’année1989 constitue une autre date clé, où la «présence musulmane » pose de nouveaux défis, notamment dans le domaine de la laïcité. L’affaire de Creil, dans laquelle trois collégiennes qui refusent d’enlever le foulard islamique en classe dans une école publique sont exclues, pose subitement la question de la manifestation du religieux dans l’espace public.

À cette époque, la gauche est au pouvoir, et le ministre de l’Éducation est le dirigeant socialiste Lionel Jospin. La laïcité, élément structurant de l’identité de la gauche française, qui avait toujours été pensée dans le contexte de l’opposition de l’État à la religion, s’est pour la première fois retrouvée confrontée à la religion musulmane, changeant énormément de choses.

Modèle républicain

Plus globalement, l’affaire de Creil va susciter un intense débat au sein de la société française, et de nouvelles problématiques naissent sur la faculté pour l’islam de s’adapter à notre modèle républicain. L’année 1989 marque ainsi en quelque sorte l’avènement d’une nouvelle ère, marquée par une plus grande présence de l’islam de France, que ce soit médiatiquement ou sociologiquement.

Les lois sur l’interdiction du foulard et d’autres signes religieux dans les écoles et l’espace public, l’interdiction du niqab, ainsi que la création du Conseil du culte musulman de France (CFCM) pour faire de l’islam un acteur à la table de la République ont certes jeté des bases juridiques, mais ne sont pas parvenues à mettre en œuvre un nouveau contrat social. 

Depuis cette période, cet «islam visible» dans une société de plus en plus pluraliste et multiculturelle ne cesse de peser sur le modèle laïc, soit en raison du refus de l’insertion des musulmans dans une société non musulmane et laïque par certains courants, soit en raison de la montée du racisme et de la crainte d’une modification du paysage religieux et social. Les diverses tentatives de l’État jacobin de légiférer pour organiser l’islam par le haut ont tour à tour échoué.Tous ces facteurs n’ont pas abouti à un apaisement social significatif ou à un processus d’intégration accompli.

Les lois sur l’interdiction du foulard et d’autres signes religieux dans les écoles et l’espace public, l’interdiction du niqab, ainsi que la création du Conseil du culte musulman de France (CFCM) pour faire de l’islam un acteur à la table de la République ont certes jeté des bases juridiques, mais ne sont pas parvenues à mettre en œuvre un nouveau contrat social ou à élaborer un code de conduite de la vie commune.

L’installation tardive de l’islam dans les contrées de l’Europe chrétienne, judéo-chrétienne ou laïque, ne cesse de poser des problèmes particuliers et feu l’islamologue Mohammed Arkoun n’avait pas tort de le faire remarquer. «L'Occident croyait en avoir fini avec la question religieuse, au plan philosophique, juridique ou culturel. L’arrivée des musulmans en Europe occidentale lui a montré qu'il n'en était rien», expliquait-il.

Fossé culturel et querelle entre les religions

Ce rappel historique montre que deux visions s’affrontent: celle qu’ont majoritairement de jeunes maghrébins de la France et qui résulte notamment d'une réaction à la longue histoire du jeu des puissances européennes dans la région, et, en face, celle d’une partie de l’establishment français et de Français de souche, marquée par le fossé culturel et la querelle entre les religions.

Dans son essai L’Orient imaginaire, Thierry Hentsch estime à juste titre que «l’Orient, et tout particulièrement l’Orient méditerranéen, sert à la conscience occidentale de lieu de référence». Cette approche s’applique aussi au monde arabe, qui se positionne souvent par rapport à l’Occident européen. En partant de ce constat, l’ignorance et la non-reconnaissance de l’autre donnent lieu à des perceptions biaisées par des préjugés et des craintes.

L’un des grands problèmes de cette nouvelle génération musulmane installée en France et en Europe aujourd’hui tient à ce que la modernisation n’apparaît pas comme un processus naturel, mais plutôt comme un modèle imposé. Elle est donc vécue comme une perte d’identité par certains cercles religieux. Les notions de citoyen et d’État de droit sont toujours confuses pour ces nouveaux venus ou nouveaux citoyens.

La séparation entre la religion et l’État établie par la loi de 1905, alors que l’islam n’apparaît officiellement sur le territoire de la métropole qu’en 1926, à l’occasion de la fondation de la Grande Mosquée de Paris, explique en partie la montée de l’islamisme politique et d’autres courants radicaux ou rétrogrades au sein de la population de confession musulmane. Le christianisme en France a pour sa part connu un cheminement différent.

Mais cette nouvelle génération musulmane qui ne vit pas un islam adapté à la réalité française ne se rend pas compte que la civilisation européenne actuelle doit beaucoup à l’époque de la présence musulmane en Andalousie, avec le rayonnement de Cordoue et de ses villes sœurs. Le mouvement de la traduction et de l’interaction culturelle qui s’est développé dans ce qui est aujourd’hui une région d’Espagne, a semé les germes du progrès européen.

Panne d’intégration ou repli identitaire

En septembre 2019, trente ans après l’affaire des foulards de Creil, un sondage a été réalisé par l’Ifop afin de suivre les évolutions de fond de la société française, en interrogeant la population de confession ou de culture musulmane. Le premier enseignement que l’on peut en tirer est que le public de croyants se conforme aux injonctions de la religion à laquelle il est rattaché spirituellement et culturellement.

On voit que l’empreinte de la religion sur cette population ne s’est pas effacée, bien au contraire. Comme le poids de cette population musulmane a augmenté et que l’observation de préceptes religieux par la jeunesse musulmane se répand et s’accélère, des acteurs économiques ont répondu à cette demande, favorisant l’émergence d’un marché encourageant en retour le respect du halal. Cette dynamique a été portée par beaucoup d’acteurs,d’associations et de mosquées fondées par des pays d’où sont issus les immigrés, ou par des associations liées à des courants idéologiques (Frères musulmans, Tabligh, entre autres). Cela démontre une panne de l’intégration pour accéder à la citoyenneté en raison de la ghettoïsation d’un côté et du repli religieux et identitaire de l’autre.

Récemment Arabnews en français s’est associé à l’institut britannique de sondages en ligne, YouGov, pour donner, à travers une enquête, la parole aux Français d’origine arabe. Réalisée entre le 8 et le 14 septembre 2020, cette enquête repose sur un échantillon représentatif de 958 Français originaires des pays arabes, habitant dans toute la France. Alors qu’une vague de violence inspirée d’un islam radical secoue les villes et la culture françaises, créant un sentiment d’insécurité et de peur, l’islamophobie est grandissante.

L’enquête confirme leur désir d’appartenir à une France démocratique et laïque. La majorité des personnes interrogées sont éduquées et ont un emploi. Les Français d’origine arabe connaissent bien, dans l’ensemble, le système français et son histoire. Ils adhèrent aux valeurs fondamentales de la République française. Les Français d’origine arabe se sont largement adaptés au mode de vie en France, mais ils ne se sentent pas acceptés, et même stigmatisés.

Le pari d’un processus de sécularisation et d’une «sortie de la religion» qui aurait également concerné la population immigrée et ces jeunes d’origine arabe s’est dissipée, avec l’affaire Rushdie, la montée des idées de l’islamisme politique, et la poursuite des flux migratoires.

La religion comme leur origine n’ont pas d’impact sur leur sentiment d’appartenance à la société française. Mais la consonance de leur nom a un impact sur leur carrière. La moitié des personnes interrogées estime que ni leur race ni leur origine ni leur religion n’ont eu d’impact sur leur sentiment d’appartenance à la société française et sur leur carrière professionnelle. Leurs réponses soulignent aussi un sentiment d’exclusion qui, pour 51 % d’entre eux, n’est pas liée à la couleur de peau mais plutôt à l’origine ethnique de leur nom (36 %) et qui, en revanche, a un impact négatif sur leurs perspectives de carrière. Ce sentiment d’exclusion est exacerbé chez les femmes qui estiment que leur pays d’origine (46 % contre 33 % des hommes) ainsi que leur religion (66 % contre 52 % des hommes) provoquent une perception négative auprès de leurs compatriotes.

Cette nouvelle génération considère que les demandes concrètes qui lui sont faites pour s’adapter à la laïcité représentent une atteinte à son identité. Ces jeunes musulmans ou ces jeunes maghrébins considèrent «qu’un élève de confession musulmane devrait pouvoir manger halal dans les cantines scolaires, et qu’une jeune fille devrait avoir la possibilité de porter le voile à l’école ou de ne pas aller à la piscine».

Ainsi, le pari d’un processus de sécularisation et d’une «sortie de la religion» qui aurait également concerné la population immigrée et ces jeunes d’origine arabe s’est dissipée, avec l’affaire Rushdie, la montée des idées de l’islamisme politique, et la poursuite des flux migratoires, provoquant une influence culturelle et sociale plus grande des pays d’origine amplifiant le repli identitaire.

Séparation entre l'Église et l'État

La révolution française a brisé les liens entre la religion et l’État. Mais Napoléon Bonaparte les a rétablis sous la forme du Concordat, et il aura fallu attendre 1905 pour instaurer la séparation entre l'Église et l'État. En effet, sur le plan du droit, l'État n'interfère pas dans la vie des religions. Mais, pour le penseur Théo Klein, récemment disparu, «cela n'empêche pas la persistance de l'influence de l'Église catholique, par exemple à travers le calendrier qui reste catholique et les fêtes qui le sont aussi pour la plupart. L’État, qui se veut laïc, est souvent amené à refuser aux autres religions ce qu’il donne aux laïcs ou aux catholiques». Ces évolutions ont creusé une fracture culturelle et sociale en France.

Dans un contexte de menace terroriste et de risques de rupture véhiculés par l’islamophobie dans un climat délétère, les différents regards d’un côté ou de l’autre sont influencés par la conjonction d'éléments d'ordre historique, politique, religieux, culturel et économique.

Pour la France, la lutte sans merci contre le terrorisme et les phénomènes de radicalisation religieuse – politique de racisme ou de populisme à outrance – représente une priorité nationale. Il en va de la défense de la cohésion nationale et de la stabilité. Dans ce cadre, l’adaptation du modèle laïc français afin qu’il devienne positif et ouvert devrait aller de pair avec les efforts des élites musulmanes pour une meilleure intégration et un respect des obligations de la citoyenneté.


Décès de Jean-Claude Gaudin, longtemps maire et incarnation de Marseille

Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
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  • S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées
  • Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues

MARSEILLE: Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille, la deuxième ville de France qu'il a incarnée et dirigée pendant 25 ans, et longtemps figure de la vie politique à droite, est décédé dimanche à l'âge de 84 ans.

"Jean-Claude Gaudin n'est plus. Il était Marseille faite homme. De sa ville, sa passion, il avait l'accent, la fièvre, la fraternité. Pour elle, cet enfant de Mazargues (quartier du sud de Marseille, ndlr) s'était hissé aux plus hauts postes de la République qu'il a servie. Je pense à ses proches et aux Marseillais", a écrit le président Emmanuel Macron sur le réseau social X.

L'ancien maire a été victime d'un arrêt cardiaque dans la matinée dans sa résidence secondaire varoise de Saint-Zacharie et n'a pu être ranimé par les pompiers, a indiqué à l'AFP une source de son entourage, précisant que Jean-Claude Gaudin était "fatigué" mais que "rien ne laissait présager" son décès soudain.

Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues, a précisé cette source.

Les drapeaux de la mairie centrale de Marseille, sur l'emblématique Vieux-Port, ont été mis en berne, a constaté une journaliste de l'AFP.

Ancien sénateur, député et ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration sous Jacques Chirac entre 1995 et 1997, Jean-Claude Gaudin a surtout été maire de Marseille, la ville où il est né, de 1995 à 2020.

S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées pour leur "immobilisme" par ses adversaires, et même certains alliés, et marquées par la tragédie de la rue d'Aubagne, le 5 novembre 2018. Deux immeubles insalubres d'un quartier populaire du centre - dont un propriété de la Ville - s'effondrent. Huit personnes meurent ensevelies.

L'onde de choc révèle l'ampleur du logement indigne dans une ville où 40.000 personnes vivent dans des taudis. Les associations accusent la mairie d'avoir ignoré les alertes. Dans la foulée, des milliers de personnes sont évacuées de logements déclarés en "péril imminent".

"Ça me hante chaque jour, en 24 ans je n'ai jamais connu un drame pareil", avait confié à l'AFP Jean-Claude Gaudin.

«Sa trace restera»

Deux ans plus tard, alors que ses héritiers potentiels à droite étaient divisés, certains ayant rejoint Emmanuel Macron, une coalition gauche-écologistes-société civile remportait la mairie après des élections municipales à rebondissements.

L'actuel maire divers gauche, Benoît Payan, qui ne ménageait pas ses critiques dans l'opposition et a souvent assuré avoir récupéré avec ses équipes une ville dans un état "lamentable", lui a rendu hommage sur X: "Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible. Son départ me peine infiniment. A celui qui aimait tellement Marseille, son histoire et ses habitants, je veux rendre un hommage ému et sincère. Il manquera à cette ville. Sa trace restera."

"Jean-Claude Gaudin était comme un père pour moi, tout le monde le sait mais je veux l'écrire. Un grand homme d'État, un inoubliable maire de Marseille dans notre Histoire bimillénaire, et surtout un homme avec un cœur énorme", a réagi de son côté sur X Martine Vassal, son "héritière" présomptive et malheureuse pour la mairie au 2020, aujourd'hui présidente de droite du département et de la métropole Aix-Marseille-Provence.

"Il a servi cette ville et a su l'incarner, avec un talent exceptionnel. Il a aussi servi la France, son pays, et il fut un grand maire. Il laissera une trace indélébile," a réagi le président le président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier (Renaissance), qui fut son premier adjoint pendant plus de 10 ans et avait un temps espéré lui succéder à la mairie.

Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a salué, "derrière cette vie consacrée à la chose publique (...) l'homme de coeur et l'amoureux de sa chère ville de Marseille". Catholique affiché, Jean-Claude Gaudin avait assisté aux premières loges à la visite du pape François en septembre dans la cité phocéenne, souvent aux côtés de M. Payan et du cardinal Aveline, qui le qualifie dans son hommage "d'ami toujours fidèle".

Le président des LR Eric Ciotti a salué un homme qui "aimait Marseille plus que tout". "J'aimais sa gouaille. J'admirais son courage. J'écoutais ses conseils. Je suis fier d’avoir travaillé à ses côtés. Ma peine est immense, je perds un ami".


La Nouvelle-Calédonie toujours en proie aux blocages avant un Conseil de défense à Paris

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
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  • Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris
  • Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

NOUMEA: Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris par le président Emmanuel Macron.

Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

"La situation est vraiment préoccupante", a déclaré lundi le chef du gouvernement australien Anthony Albanese à la télévision ABC.

De même que la Nouvelle-Zélande, Canberra a demandé durant le week-end à pouvoir poser des avions afin de pouvoir rapatrier ses concitoyens, alors que l'aéroport est toujours fermé aux vols commerciaux.

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel.

Après une semaine d'émeutes et un bilan de six morts, aucune issue proche à la crise sécuritaire et politique ne semble se dessiner lundi, jour férié. En cause, une réforme du corps électoral contestée par les représentants du peuple autochtone kanak qui redoutent une réduction de leur poids.

Malgré une vaste opération des forces de l'ordre lancée dimanche, les voies de communication restent bloquées lundi là où les émeutiers ont installé leurs barrages, notamment dans l'agglomération de Nouméa et sur la route d'une cinquantaine de kilomètres qui mène à l'aéroport international.

« On a remis le barrage »

A la sortie de Nouméa, la chaussée du début de la voie express est impraticable, le bitume ayant fondu après l'incendie de nombreux véhicules, a constaté une journaliste de l'AFP. Ailleurs, la route reste encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, s'est pourtant félicité lundi du "succès" du début d'une vaste opération de la gendarmerie contre les barrages sur cette route, lancée à l'aube dimanche, faisant état de "76 barrages neutralisés".

D'autres actions des unités d'élite de la police et de la gendarmerie ont été annoncées dans des zones considérées par les autorités comme des "points durs", dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment.

Dans la nuit de dimanche à lundi, des bruits de grenades de désencerclement, utilisées par les forces de l'ordre pour disperser les émeutiers, ainsi que des cris évoquant des affrontements ont été entendus dans le quartier d'Auteuil à Dumbéa, dans l'agglomération de Nouméa, selon un correspondant de l'AFP.

Et dans la "capitale" calédonienne, des détonations importantes ont résonné dans les quartiers de Magenta et Tuband, selon une autre journaliste de l'AFP.

Lundi matin, la zone industrielle où se trouve la Société du nickel, dans le quartier de Montagne coupée à Nouméa, a vu l'incendie d'un entrepôt dont se dégageait une épaisse fumée noire.

Les gendarmes "sont passés, ils ont déblayé, et nous, on est restés sur le côté", a confié dimanche à l'AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d'un foulard et drapeau kanak à la main à La Tamoa, à quelques kilomètres de l'aéroport. "Une fois qu'ils sont passés, on a remis le barrage".

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne), dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanak (autochtones), dans l'agglomération de Nouméa.

Risque d'«escalade»

Les forces de l'ordre estiment le nombre d'émeutiers entre 3.000 et 5.000.

"Nous restons dans une démarche pacifique", a indiqué dans un communiqué lundi la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), collectif indépendantiste accusé par les autorités d'attiser les violences.

La CCAT se défend en indiquant qu'elle a seulement appelé à des barrages "filtrants", qui laissent le passage à certains véhicules, y compris les pompiers ou ambulances à toute heure, et en arrêtent d'autres.

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a appelé lundi à la retenue. "Moi j'ai peur qu'on ne franchisse une escalade supplémentaire, parce que s'il commence à y avoir des tirs ça veut dire que les gens bien sûr, on le sait, sont armés", a-t-elle déclaré sur la chaîne BFMTV.

Pour le Haut-commissaire de la République, les dégâts contre les infrastructures (écoles, pharmacies, commerces...) pénalisent lourdement la population. "On commence à manquer de nourriture", a-t-il prévenu dimanche.

Couvre-feu 

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h00 et 6h00, l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool et le bannissement de l'application TikTok.

La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux scrutins provinciaux de Nouvelle-Calédonie, au risque de marginaliser "encore plus le peuple autochtone kanak", selon les indépendantistes. Elle a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.

Ce texte doit encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès avant la fin juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient d'ici là.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique des JO de Paris, prévu le 11 juin sur l'île, a été annulé.

Le territoire du Pacifique Sud est stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie-Pacifique et de par ses riches ressources en nickel, minerai indispensable à la fabrication des véhicules électriques notamment.


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
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  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.