Dix jours après la visite spectaculaire du président chinois, Xi Jinping, en Russie, qui a scellé la nouvelle alliance stratégique entre les deux pays pour instaurer un «nouvel ordre mondial», le président français, Emmanuel Macron, s'est envolé pour Pékin dans une dernière tentative pour neutraliser la Chine dans la guerre ukrainienne.
La France, qui a noué, dès la période gaullienne, de solides rapports avec la Chine, pourrait apparaître comme la seule puissance occidentale capable d'infléchir la politique de rapprochement chinois avec la Russie.
Après la rupture consommée entre Pékin et Washington, désormais engagés dans un sérieux engrenage, les points de friction qui divisent la Chine et le bloc occidental sont devenus nombreux et ils s’avèrent difficiles à aplanir.
Les dossiers brûlants qui sont sur la table se résument en trois enjeux cardinaux: l'architecture de sécurité en Europe, la lutte pour l'influence dans l'espace indopacifique et les rivalités économico-stratégiques au sein du grand Moyen-Orient.
Le premier enjeu est directement lié à la guerre d'Ukraine en cours. La Chine, tout en préservant une position de réserve minimale, s'est résolument alignée sur la position russe, partageant le souci de Moscou d’un élargissement de l'Otan au cœur de l'Eurasie, l'espace vital commun entre la Chine et la Russie.
L'Ukraine, clé de la zone eurasiatique, constitue aujourd'hui le champ de bataille décisif pour le contrôle de cet espace qui déterminera à coup sûr la nature du nouvel ordre mondial.
En nouant un «partenariat stratégique indéfectible» avec la Russie, la Chine est dans sa logique d'endiguement des poussées occidentales dans l'aire eurasiatique. Pékin pourrait même sacrifier ses intérêts économiques et commerciaux avec l'Europe occidentale pour maintenir cette position stratégique.
La Chine, qui a lancé dès 2013 son projet ambitieux One Road, One Belt («nouvelle Route de soie»), a récemment dévoilé sa stratégie offensive de mainmise sur la mer de Chine méridionale.
- Seyid Ould Abah
Le deuxième enjeu définit le cadre immédiat de confrontation entre la Chine et les États-Unis, les puissances rivales dans l'espace indopacifique. Bien que les contours de cette vaste zone soient rarement identifiés avec précision, il s'agit pour les deux grandes puissances mondiales de contrôler les routes maritimes de l'Asie centrale et de l'Asie de l'Est ainsi que les marchés internationaux les plus attractifs. Cette zone inclut des pays de grande taille comme l'Inde, le Japon et les deux Corées. Elle s'étend aux rivages orientaux de l'Afrique et elle apparaît aujourd'hui comme l'objet de deux approches stratégiques antinomiques.
La Chine, qui a lancé dès 2013 son projet ambitieux One Road, One Belt («nouvelle Route de soie»), a récemment dévoilé sa stratégie offensive de mainmise sur la mer de Chine méridionale, empêchant toute velléité d'ingérence dans cet espace vital de première importance. Les dernières frictions avec les États-Unis au sujet de Taïwan sont les signes précurseurs d'une confrontation probable entre les deux pays.
En revanche, les États-Unis ont pris l'initiative de créer en 2017 le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad), qui regroupe le Japon, l'Inde et l'Australie, en plus de l’accord de coopération tripartite, désigné par l’acronyme anglais «Aukus», qui englobe l'Amérique, le Royaume-Uni et l'Australie. Les deux initiatives visent clairement à contrer l'influence chinoise dans l'espace indopacifique.
La France, qui a été exclue de l'Aukus, a fait valoir à plusieurs reprises son ambition d'intégrer cette zone qui s’impose déjà comme le nœud de l'économie mondiale.
Le troisième enjeu concerne le grand Moyen-Orient, étendu à l'Asie du Sud, qui a été la chasse gardée des États-Unis et qui est devenu un terrain de rivalité avec la Chine.
La dernière initiative réussie de médiation entre l'Arabie saoudite et l'Iran a consacré le rôle clé de la Chine dans le golfe Arabique et le Moyen-Orient. Cette initiative est le couronnement d'une stratégie de rapprochement continu avec les principaux pays de la région qui ont pris la décision souveraine de diversifier leur partenariat géopolitique à l'échelle internationale. La Chine est le premier client des pays pétroliers moyen-orientaux; elle place parmi ses priorités l'accès aux relais locaux indispensables à sa politique d'expansion économique et commerciale (sur la mer d'Arabie et le sud-ouest de l'océan Indien).
Ces enjeux stratégiques ont fait partie des pourparlers entre les présidents français et chinois et ils continueront à occuper le devant du débat géopolitique mondial.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.