PARIS: De Rennes à Marseille, les manifestants sont à nouveau descendus dans la rue jeudi pour la 11e fois contre la réforme des retraites alors que les discussions entre syndicats et gouvernement sont dans l'impasse, à une semaine de la décision du Conseil constitutionnel.
Avant le départ du cortège parisien, la nouvelle secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a fustigé un gouvernement qui "vit dans une réalité parallèle", l'accusant de faire "comme si de rien n'était" face à la "profonde colère" contre la réforme.
A ses côtés, le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, a observé que "la contestation est toujours aussi forte" même si les chiffres de la participation du jour ne sont "pas les plus importants depuis le début" du mouvement social le 19 janvier.
Les chiffres des cortèges attestaient de fait d'une participation loin des records mais pas au plus bas avec 5.500 personnes au Havre, 5.000 à Lille, 15.000 à Toulouse ou 10.000 à Marseille, selon les autorités.
Le 28 mars, la mobilisation avait marqué le pas, avec 740.000 manifestants en France selon le ministère de l'Intérieur, "plus de deux millions" selon la CGT.
Image symbolique dans le cortège parisien - où la CGT a annoncé 400.000 manifestants et la préfecture 57.000 -, des heurts ont éclaté en milieu d'après-midi aux abords de La Rotonde, célèbre restaurant du quartier Montparnasse où Emmanuel Macron a fêté son score du premier tour à la présidentielle de 2017. Une partie de son auvent en toile a brulé avant que les pompiers n'interviennent rapidement.
Les heurts se sont poursuivis entre plusieurs centaines de manifestants radicaux et les forces de l'ordre et en milieu d'après-midi, la préfecture de police avait interpellé 20 personnes.
A Lyon, des dégradations ont été commises sur le parcours, avec notamment un magasin Nespresso pillé et une voiture Tesla détruite.
Après bientôt trois mois de conflit, les manifestants affichent une détermination à toute épreuve, à l'image de Samy Andrieux, 27 ans à Clermont-Ferrand, prêt à se mobiliser "autant de temps qu'il le faut" et convaincu que "la colère monte vraiment".
Les grèves étaient cependant moins marquées, notamment à la SNCF, avec trois TGV sur quatre et un TER sur deux et, à Paris, un trafic "quasi normal" pour le métro et le RER.
Des cheminots ont envahi brièvement l'ancien siège du Crédit Lyonnais à Paris, avec force fumigènes et sifflets. Et la Tour Eiffel était fermée.
Côté raffineries, après l'annonce du redémarrage de la production du site Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime), sa voisine TotalEnergies à Gonfreville-L'Orcher reste la seule dont la production est encore arrêtée. Pour cette raffinerie, le tribunal administratif de Rouen a ordonné en référé la suspension de l'arrêté de réquisition de grévistes.
Dans l'éducation, le ministère a recensé moins de 8% d'enseignants grévistes. Quelques lycées et universités ont fait l'objet de blocages, comme la Sorbonne ou Assas.
«Entretenir la flamme»
Mais comme depuis le 10 janvier et la présentation de la réforme, le plus gros blocage est surtout à rechercher entre exécutif et syndicats.
Après une rencontre qui a tourné court mercredi à Matignon, la cheffe du gouvernement a affirmé qu'elle n'envisageait "pas d'avancer sans les partenaires sociaux".
La réciproque est moins vraie.
Pour Sophie Binet, le gouvernement est "bunkerisé" et sa "capacité à diriger le pays est remise en cause".
De son côté, l'entourage du président de la République, en déplacement en Chine jusqu'à samedi, a rejeté la responsabilité de l'échec du dialogue sur les syndicats, et notamment la CFDT qui n'a pas "voulu entrer dans un compromis".
"Stop à la provocation, on n'est pas sur un ring", a réagi Laurent Berger, ajoutant plus tard que "plutôt que d'être susceptible, il vaudrait mieux être inquiet".
Dans le cortège parisien, Jean-Luc Mélenchon (LFI) a dénoncé une "crise démocratique" qui "peut tourner à la crise de régime".
D'autres batailles sont à prévoir, au moins jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel, le 14 avril. L'intersyndicale prévue dans la soirée au siège de FO devrait déboucher sur l'annonce d'une nouvelle journée de mobilisation, sans doute jeudi 13.
Laurent Berger a dit espérer que les Sages censurent "l'ensemble de la loi". A défaut, a estimé le numéro un de la FSU Benoît Teste jeudi, un feu vert à la procédure de référendum d'initiative partagée (RIP) sur les retraites "peut nous permettre d'entretenir la flamme".
En attendant, le gouvernement entend s'afficher à l'action. Elisabeth Borne sera dans l'Aveyron vendredi pour un déplacement sur le thème de la santé.