ALGER: Le patron de presse algérien Ihsane El Kadi, poursuivi pour "financement étranger de son entreprise", a été condamné dimanche à cinq années de prison dont trois ferme, a annoncé le tribunal de Sidi M'Hamed à Alger qui a rendu son verdict en présence de l'accusé.
Le parquet avait requis cinq ans de prison ferme, assortis d'une interdiction d'exercer pour la même durée à l'encontre du dirigeant d'un des derniers groupes de presse indépendants d'Algérie, qui comprend Radio M et le site d'information Maghreb Emergent.
Le tribunal a également prononcé la dissolution de la société Interface Médias, éditrice des deux médias dirigés par M. El Kadi, la confiscation de tous ses biens saisis, et dix millions de dinars d'amende (plus de 68.000 euros) contre son entreprise.
La société a été condamnée également à dédommager l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) à hauteur de un million de dinars (6.800 euros). A titre personnel, M. El Kadi a en outre écopé d'une amende de 700.000 dinars (environ 4.800 euros).
"Nous allons faire appel de ce jugement dans les délais requis, selon l'accord préalable avec notre client", a indiqué à l'AFP Me Abdelghani Badi, un des avocats de la défense. "Les conditions pour un procès équitable n'étaient pas réunies", a dit cet avocat qui avait boycotté l'audience.
La condamnation du journaliste, âgé de 63 ans, a suscité l'indignation sur les réseaux sociaux et au sein de la société civile. Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) l'a qualifiée de "verdict de la honte".
"Le pouvoir en Algérie vient d'achever l'un des meilleurs journalistes algériens. (...) C'est un jour triste pour la presse en Algérie, pour la démocratie et pour l'image du pays", a estimé le réalisateur de cinéma Bachir Derrais.
«l'enterrement du journalisme»
"On assiste à l'enterrement du journalisme...RIP. Honte à la justice algérienne", a écrit Lyes Ghezali, un internaute, sur Facebook.
Incarcéré depuis le 29 décembre après quatre jours de garde à vue, M. El Kadi, a comparu sous l'accusation de "financement étranger de son entreprise", au titre de l'article 95 bis du code pénal qui prévoit jusqu'à sept ans de prison.
M. El Kadi était jugé pour "avoir reçu des sommes d'argent et des privilèges de la part de personnes et d'organisations dans le pays et à l'étranger afin de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l'Etat et sa stabilité".
Selon l'arrêt de renvoi, les fonds en question sont un montant de "25.000 livres sterling (environ 28.000 euros, ndlr) que le journaliste a reçu, par tranches, de sa fille Tin Hinane, établie à Londres et actionnaire d'Interface médias", avait expliqué début mars l'avocate Zoubida Assoul au cours d'une conférence de presse à Alger, soulignant que cet argent devait servir à régler des arriérés de dettes du groupe.
"Il n'y a aucun document dans le dossier judiciaire attestant que Ihsane El-Kadi ou Interface médias ont reçu des fonds d'organismes étrangers ou d'une personne étrangère", avait-elle ajouté.
Au lendemain de son interpellation, le siège de l'agence Interface Médias avait été mis sous scellés et le matériel saisi.
L'arrestation de M. El Kadi et la mise sous scellés des bureaux des médias qu'il dirige ont suscité une vague de solidarité parmi ses collègues et les militants des droits humains en Algérie et en Europe.
Début janvier, 16 patrons de presse de divers pays, dont le prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, réunis par RSF, avaient appelé à sa libération et à lever les entraves "inadmissibles" visant ses médias.
Une pétition lancée par l'organisation Reporters sans frontières pour obtenir sa libération a recueilli plus de 10.000 signatures.