L’enquête d’opinion réalisée dans le cadre d’un partenariat entre Arab news et l’institut de sondage YouGov fournit de nouvelles données détaillées sur le rapport des Français d’origine arabe à la laïcité en France. Elle montre que ceux-ci portent globalement un regard bienveillant sur le modèle français.
En effet, 65% des personnes interrogées affirment qu’elles défendraient les valeurs françaises de laïcité dans leur pays d’origine. Les plus de 45 ans sont même 80% à partager cet avis. En revanche, si les personnes interrogées adhèrent largement au modèle français, 46% pensent qu’il n’est pas approprié pour les pays arabes.
La laïcité « à la française », comme l’ont encore démontré les fortes tensions ces dernières semaines, se heurte en effet à un mur d’incompréhension dans le monde arabo-musulman, certains pays ayant appelé à un boycott antifrançais. Elle repose principalement sur un triptyque énoncé dans la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, socle de la laïcité dans l’Hexagone : la séparation du politique et du religieux, la neutralité de l’État et le respect de la liberté de conscience. Même si la loi de 1905 a été votée dans un contexte anticlérical, elle n’est donc pas foncièrement contre les religions.
Méfiance
Les Français d’origine arabe adhèrent largement à cette laïcité à la française telle que définie en 1905, mais se montrent plus réticents à aller au-delà. Ils se montrent ainsi opposés à 62% à la limitation par l’État du port de vêtements religieux. La proportion est particulièrement élevée chez les plus jeunes (71%). Il faut ici signaler que le niveau de revenu joue sur les réponses des personnes interrogées, 34% des personnes avec des revenus inférieurs à 20 000 euros par an sont favorables à de telles lois, contre 49% chez des personnes dont le revenu annuel est supérieur à 40 000 euros. Le sondage indique également que l’environnement géographique peut modifier les positions : 45% des hommes et 48 % des personnes résidant dans les zones rurales sont favorables à des lois limitant le port de vêtements religieux.
Depuis le début des années 2000, plusieurs lois ont été adoptées pour limiter le port de signes religieux : la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux à l’école, et celle de 2010 interdisant le port de la burqa dans les espaces publics. « Les Français musulmans ont globalement accepté ces nouvelles lois et les respectent, mais s’inquiètent de nouvelles règlementations faisant des musulmans des croyants pas comme les autres », explique Haoues Seniguer, maître de conférence à l’université Sciences Po Lyon.
De plus en plus d’hommes politiques réclament en effet des mesures fortes pour une laïcité plus radicale, notamment afin de limiter le port du voile dans l’espace public, par exemple à l’université, ou lorsque les parents d’élèves accompagnent bénévolement les sorties scolaires. « Il existe deux visions de la laïcité en France. Il y d’un côté, le legs libéral de la IIIe République incarné par Aristide Briand - qui a porté la loi de 1905 - et pour lequel la laïcité n’a pas à se mêler de la religiosité des individus. De l’autre, une laïcité de combat qui considère la laïcité comme une forme d’émancipation individuelle à l’égard de la religion. Dans le contexte actuel, c’est la seconde vision de la laïcité qui a le vent en poupe, et cela créé des crispations chez les Français musulmans », ajoute Haoues Seniguer, également chercheur au laboratoire Triangle (ENS/CNRS).
Un vieux débat
La polarisation autour du débat sur l’islam et la laïcité ne date pas d’hier. « La laïcité de combat s’est renforcée au début des années 1990, dans un contexte de visibilité grandissante des musulmans dans l’espace public et de revendications identitaires, comme l’a illustré l’affaire du foulard de Creil en 1989, poursuit Haoues Seniguer. Par ailleurs, cette période a également coïncidé avec celle d’un islam mondialisé, avec la progression des islamistes dans plusieurs pays, comme le FIS en Algérie, qui s’est parfois manifesté par de la violence. »
Le nouveau projet de loi contre le séparatisme ou « projet de loi confortant la laïcité et les principes républicains », durci depuis l’assassinat de Samuel Paty, sera sur la table du Conseil des ministres le 9 décembre prochain. De quoi alimenter encore de vifs nouveaux débats sur les évolutions de la laïcité à la française.
Arab News en français organise un débat sur les citoyens français d’origine arabe.
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