PARIS : Un roman déjanté au titre intriguant, un récit poignant sur le mariage forcé, une plongée dans une histoire familiale et une fresque sur le Maroc se disputent le prestigieux prix Goncourt, remis lundi en France dans un format inédit, quarante-huit heures après la réouverture des librairies.
La crise sanitaire et la fermeture des restaurants ont obligé le jury à se rabattre sur une visioconférence et à se passer des traditionnelles délibérations autour d'une table.
Le nom du lauréat ou de la lauréate sera annoncé à 12 h 30 (11 h 30 GMT) pour ce prix, le plus prestigieux de la littérature française. Puis lui succèdera, à 12 h 50, un autre prix, le Renaudot, qui récompense un roman ainsi qu'un essai.
Pour les journalistes littéraires interrogés par le mensuel spécialisé Livres Hebdo, c'est Hervé Le Tellier qui tient la corde pour le Goncourt, avec L'Anomalie.
Outre d'être publié chez Gallimard, une maison d'édition souvent récompensée, ce livre bâti comme un savant jeu de construction et au suspense haletant, a pour lui d'avoir déjà convaincu un large public.
Vent de nouveauté ?
L'Académie Goncourt pourrait cependant lui préférer Les Impatientes (éditions Emmanuelle Colas) de la Camerounaise Djaïli Amadou Amal, qui a déjà déjoué tous les pronostics en arrivant dans la dernière sélection.
S'il récompensait ce récit poignant sur l'oppression de femmes mariées de force, le Goncourt insufflerait un vent de nouveauté dans le palmarès en consacrant une autrice d'Afrique subsaharienne, inconnue jusque-là des cénacles de l'édition parisienne.
Les deux autres romans finalistes gardent toutes leurs chances: Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo (éditions Verdier), vaste réflexion sur le poids de l'héritage familial, et L'Historiographe du royaume de Maël Renouard (Grasset), brillant exercice de style qui décrit de l'intérieur la monarchie marocaine au siècle dernier.
Samedi, le New York Times dénonçait dans une enquête le jeu trouble des jurys littéraires français, où selon le quotidien la qualité littéraire passe après des conflits d'intérêt flagrants et des intrigues difficilement lisibles pour le grand public. Le Goncourt est moins directement visé que le Renaudot.
Ces deux prix, remis par des jurys bénévoles, ne rapportent rien ou presque à un écrivain: 10 euros pour le premier, 0 euro pour le second. Mais ils constituent des enjeux économiques cruciaux pour les auteurs et éditeurs, car des dizaines voire des centaines de milliers de lecteurs font confiance à ces labels.
Jury renouvelé
Conscients de cet enjeu, les deux prix ont préféré attendre la réouverture des librairies, intervenue samedi après un mois de fermeture pour raisons sanitaires.
« Dans cette rentrée, il y a eu 500 écrivains qui ont publié des textes (...) On est quatre finalistes, donc on voit bien qu'il y a eu beaucoup de blessés », relevait vendredi l'un des quatre auteurs en lice, Hervé Le Tellier, sur la radio France Culture.
Outre des conditions inédites, le Goncourt se distingue cette année par un jury en partie renouvelé. Le journaliste Bernard Pivot a quitté la présidence de l'Académie fin 2019, et la romancière Virginie Despentes a démissionné début 2020. L'essayiste Pascal Bruckner et la romancière Camille Laurens ont fait leur entrée au sein du jury désormais présidé par l'écrivain Didier Decoin.
Au Renaudot, le journaliste et écrivain Jérôme Garcin avait démissionné en mars avec l'intention de susciter un renouvellement et de favoriser la présence de femmes au sein du jury. Il n'a pas encore trouvé de successeur.
En 2019, le Goncourt avait été remporté par Jean-Paul Dubois, avec Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon. Le Renaudot avait choisi le roman de Sylvain Tesson La Panthère des neiges, et l'essai d'Eric Neuhoff (Très) cher cinéma français.