TOULOUSE: Des jeunes des quartiers pauvres de Medellin traversent la Colombie pour aller réclamer un lopin de terre: "Los reyes del Mundo" est un "road movie" à la colombienne, épique et âpre.
Lauréat à l'automne du Coquillage d'Or au Festival de San Sebastian, en Espagne, ce film est le troisième long métrage de Laura Mora, elle-même victime de la violence qui ensanglante son pays depuis plus d'un demi-siècle.
"La Colombie est un pays très complexé: il y a cette idée, surtout dans les milieux les plus conservateurs, que nous devons donner une bonne image. Mais l'art n'a pas à le faire", a déclaré à l'AFP la cinéaste, avant de présenter son film au festival Cinelatino, organisé jusqu'au 2 avril à Toulouse, dans le sud de la France.
Fille d'une psychanalyste et d'un avocat, Laura Mora a passé son adolescence, dans les années 1990, à Medellin, l'une des villes alors les plus dangereuses du monde, où le baron de la drogue Pablo Escobar semait la terreur et la mort.
Elle voit son père tomber sous les balles d'un tueur à gages en 2002, alors qu'elle n'a que 21 ans. Dévastée par la douleur, elle part en Australie, étudie le cinéma et entreprend une thérapie.
Il en résultera "Matar a Jesus" (2019), récit fidèle de l'assassinat mais s'inspirant d'un rêve de la cinéaste, dans lequel elle rencontre le tueur de son père.
Exorciser la violence
"Parler par les images a été ma façon de pouvoir vivre car tout me fait mal. J'ai vécu des choses très douloureuses liées à la violence", explique Laura Mora. Il lui a fallu douze ans pour tourner ce film, salué par la critique et plusieurs prix à travers le monde.
L'enquête sur l'assassinat de son père n'a toujours pas abouti. "Avec les années, nous avons compris que nous ne saurions rien", déplore la cinéaste, âgée aujourd'hui de 42 ans et rentrée vivre à Medellin.
Le succès de ses films à l'étranger n'y a rien fait. "La relation avec les gens change mais, du côté de l'Etat, rien n'a changé", regrette-t-elle.
Avec "Matar a Jesus" ("Tuer Jésus" en français), elle a exorcisé la violence subie. Mais au lieu de prendre ensuite un autre cap, elle a décidé d'approfondir le thème avec "Los reyes del Mundo" ("Les rois du monde").
"J'ai terminé +Matar a Jesus+ en 2016 et suis allée sur la côte, dans le nord de la Colombie. J'ai fait ce même voyage qu'entreprennent les jeunes dans +Los reyes del Mundo+", explique-t-elle.
Rêves et délire
Ra, le protagoniste du film, reçoit un courrier officiel l'informant qu'il peut demander la restitution d'une parcelle confisquée des années plus tôt par des paramilitaires à sa grand-mère, depuis décédée.
Il décide d'aller faire valoir ses droits, accompagné de la seule famille qu'il connaisse: Culebro, Sere, Winny et Nano, ses amis de la rue. Ces cinq jeunes ont été sélectionnés lors d'un casting dans les quartiers pauvres de Medellin.
"Dès le début, le film est un voyage par la route, un +road movie+ qui désobéit aux règles du genre, qui va vers les rêves et le délire", raconte Laura Mora.
"C'est l'histoire de jeunes qui sont tout le temps rejetés. Il m'a donc semblé que l'imagination était le seul territoire dont personne ne pouvait les expulser", ajoute-t-elle.
Le problème de la terre et des spoliations est au cœur du conflit colombien, entre les guérillas, les paramilitaires et l'Etat.
Bien que Laura Mora n'ait "pas réfléchi en termes de réalisme magique", cher notamment à l'écrivain et prix Nobel colombien Gabriel Garcia Marquez, elle admet sentir "que le réalisme magique est une façon très particulière que nous avons, les Latino-Américains, de conter nos histoires, parce que la réalité est tellement dure qu'il nous faut trouver une beauté, ne serait-ce que dans la narration".