PARIS: "De l'intérieur vers l'extérieur des yeux, et penche bien la tête en avant". Devant la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, Anna distribue conseils et sérum physiologique à tous les manifestants les yeux rougis par les gaz lacrymogènes.
À 23 ans, cette "street medic" qui préfère rester anonyme arpente la "black line", cette tête de cortège où des centaines de personnes souvent vêtues de noir, le visage casqué et dissimulé, forment les "black blocs" qui affrontent les forces de l'ordre, en veillant à rester "en retrait" des violences.
Dans son sac à dos de secouriste volontaire, bandages, pansements, sérum physiologique, décontaminant pour les yeux ou compresses anti brûlures...
"On diagnostique les blessés au mieux de nos capacités, on leur demande leur consentement, on applique les premiers soins et on les redirige vers les pompiers ou l'hôpital", explique-t-elle. "On les informe bien que nous ne sommes pas médecins", précise la jeune femme, qui n'a suivi qu'une formation de secourisme en premiers secours.
Tout comme son binôme Emma, 25 ans, et de nombreux autres "street medics" interrogés par l'AFP, ce sont les manifestations du mouvement des Gilets jaunes qui les ont incités à s'engager auprès des manifestants blessés.
"Parce que les violences policières étaient graves", affirme Emma, qui choisit elle aussi ne pas révéler son nom.
"Pour être utile", complète Anna, qui dit avoir suivi "presque toutes" les manifestations intersyndicales contre la réforme des retraites et de nombreuses "manifestations sauvages", ces déambulations nocturnes qui se sont multipliées depuis le recours du gouvernement à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter sa réforme par les députés.
"Il faut garder son calme, savoir lire la situation et la stratégie des forces de l'ordre car on peut se prendre des coups comme n'importe quel manifestant", commente cette étudiante en droit engagée "par conviction" auprès des blessés.
«Peur qu'il y ait un mort»
Anna comme Emma se présentent comme "des manifestantes comme les autres", qui n'hésitent pas à reprendre des slogans "antifascistes" avec la foule de la tête de cortège.
À l'inverse de Lux, une infirmière de 23 ans qui assure qu'elle "met de côté son militantisme" quand elle s'affiche comme "street medic" en manifestation.
"On constate une augmentation de la violence, j'ai peur de blessés graves, j'ai peur qu'il y ait un mort", dit-elle sous couvert d'anonymat, T-shirt blanc marqué d'une croix dessinée au feutre.
Capable de "poser un garrot ou faire un massage cardiaque", la jeune femme assure être là "simplement là pour limiter la casse".
Nouvelle charge policière en tête de manifestation.
Anna rejoint Emma au chevet d'un homme à terre, réfugié contre la porte d'un immeuble. Sa tête est ensanglantée, il a reçu un coup de matraque. Emma désinfecte la plaie, applique une compresse et recommande au blessé de se rendre aux urgences pour "des points de suture".
Quelques minutes plus tard, le binôme accourt auprès d'un manifestant qui souffre d'une brûlure sur la nuque.
Un palet de grenade lacrymogène est resté coincé dans ses vêtements, son sweat à capuche et son écharpe sont brûlés et troués. Elles lui lavent les yeux avant de nettoyer sa plaie dans le cou et de lui appliquer un "burn shield", une compresse stérile pour les brûlures.
Puis elles contactent par téléphone les pompiers, qui conseillent au manifestant de se rendre aux urgences. "La plaie est blanche et noire, c'est signe que c'est grave, il faut éviter qu'elle s'infecte", constate à son tour Emma.
Les manifestants finissent d'arriver place de la Nation, terme du cortège du jour. Il est 18h00, certains ont encore les yeux rougis à cause des gaz lacrymogènes.
Les "street medics" distribuent encore quelques bombes de solution décontaminante. Et surtout, ils restent en alerte, au cas où des manifestations sauvages s'improviseraient plus tard dans la soirée dans les rues parisiennes.