C’est au cours de la première semaine de mars 2020, quelques jours seulement avant que l’épidémie mondiale de coronavirus ne soit déclarée pandémie – entraînant des mesures de confinement – qu’une poignée d’éminents chanteurs iraniens se sont produits lors de la toute première Nuit de la culture persane dans la ville historique saoudienne d’AlUla.
Dans les semaines qui ont précédé l’événement, la question de savoir si cette soirée culturelle devait avoir lieu dans le Royaume a fait couler beaucoup d’encre. Le débat était tout à fait compréhensible, étant donné que les tensions entre Riyad et Téhéran étaient à leur apogée, que des trolls sur les réseaux sociaux risquaient de provoquer des réactions négatives et que la situation risquait d’être politisée.
Néanmoins, cette décision audacieuse a été prise, à l’époque, pour séparer la culture de la politique et poursuivre les activités comme prévu. Les médias saoudiens ont été invités à participer et à couvrir l’événement.
«Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la volonté du royaume d’Arabie saoudite de reconnaître AlUla comme le berceau de diverses civilisations et cultures à travers les âges», a indiqué la Commission royale pour AlUla.
Bien entendu, cette initiative avait pour but de prouver que l’Arabie saoudite n’a rien contre la culture persane ni contre les Iraniens en tant que peuple. Preuve en est, l’événement s’est déroulé à guichets fermés, avec de nombreux Saoudiens dansant et chantant sur les paroles en persan de stars telles qu’Andy, Ebrahim Hamedi, Leila Forouhar et Shadmehr Aghili.
En fait, le problème du Royaume a toujours été la politique étrangère agressive et expansionniste du régime iranien. Depuis 1979, les mollahs de Téhéran se sont donné pour mission d’«exporter la révolution, de déstabiliser la région et d’affaiblir l’Arabie saoudite en particulier».
Cette époque sanglante, qui a duré plus de quatre décennies, a été marquée par les guerres, l’extrémisme et un coût énorme en termes de réparations et d’occasions manquées. Mais en ce jour de Norouz (ancienne célébration traditionnelle qui marque le début de la nouvelle année persane), nous sommes à l’aube d’un «nouveau jour» – la traduction littérale de Norouz – dans les relations saoudo-iraniennes et, par conséquent, dans la stabilité de l’ensemble de la région.
Il y a dix jours, en réponse à une initiative chinoise de haut niveau, des représentants des gouvernements saoudien et iranien ont conclu un pacte visant à rétablir les relations diplomatiques pour la première fois en sept ans. Depuis lors, de nouveaux détails sont apparus sur les rouages de cet accord potentiellement révolutionnaire.
Comme l’a rapporté Reuters il y a quelques jours, sur la base d’informations fournies par deux responsables iraniens, le mécontentement à Téhéran face à l’isolement du régime a atteint son apogée en septembre dernier. Selon l’agence de presse, «c’est à ce moment-là que le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a perdu patience face à la lenteur des discussions bilatérales et a convoqué son équipe pour discuter des moyens d’accélérer le processus de rétablissement des liens avec Riyad».
Cela a finalement conduit à l’implication de la Chine, qui s’est montrée disposée à prendre l’initiative et a proposé de jouer le rôle de médiateur auprès des dirigeants saoudiens lors de la visite du président Xi Jinping à Riyad en décembre dernier.
Cette initiative avait pour but de prouver que l’Arabie saoudite n’a rien contre la culture persane.
Faisal J. Abbas
Lors d’une récente réunion d’information avec des journalistes saoudiens, une source saoudienne a confirmé ce que Reuters a publié par la suite. Elle a expliqué que l’accord reposait sur trois piliers: le respect de la souveraineté des pays de la région, le rétablissement des relations diplomatiques dans les deux mois à venir et la reprise des traités conclus précédemment entre l’Iran et l’Arabie saoudite, notamment un accord de sécurité de 2001, signé par feu le ministre saoudien de l’Intérieur le prince Nayef ben Abdelaziz, et son homologue de l’époque, Hassan Rouhani.
D’autres précisions ont été apportées sur le fait que Riyad et Téhéran sont convenus d’un engagement bilatéral de non-agression, y compris dans les domaines militaire, du renseignement et de la cybernétique. Par ailleurs, ils n’aideront pas d’autres pays et ne permettront pas que leur territoire soit utilisé pour mener de telles attaques.
Que signifie donc tout cela? Tout d'abord, l'Iran a tardivement pris conscience (de manière sincère et permanente, espérons-le) qu’il ne peut tout simplement pas continuer à s’isoler et à être en désaccord avec tous ses voisins, mais mieux vaut tard que jamais. En outre, il faut espérer que cela signifie également que Téhéran souhaite sincèrement abandonner ses activités malveillantes.
Si c’est le cas, le plus grand gagnant ne sera pas seulement l’Arabie saoudite, mais la région dans son ensemble.
Depuis le début, le Royaume est la victime de ce conflit, et non le méchant. Pendant des décennies, l’Arabie saoudite a dû constamment investir du temps, de l’énergie et de l’argent pour renforcer ses défenses et contrecarrer les activités subversives de Téhéran à l’intérieur de ses frontières et dans les pays voisins. Il s'agit notamment de la milice houthie au Yémen, soutenue par Téhéran, qui lance des drones et des missiles ciblant des civils et des villes saoudiennes, et menace constamment la sécurité maritime dans une partie du monde cruciale pour la sécurité énergétique mondiale.
Qui a donc gagné cette bataille qui n’a jamais cessé depuis 1979? La vérité, comme la beauté, est subjective. Ce que je peux affirmer avec certitude, c’est que les Saoudiens ont aujourd’hui beaucoup de raisons de se réjouir, étant donné que le Royaume est parvenu – du moins sur papier, pour l’instant – à protéger et à sauvegarder les réalisations massives de son ambitieux programme de réformes.
Cette année, l’Arabie saoudite devrait devenir l’économie à la croissance la plus rapide du G20. Ce lundi, deux nouvelles importantes ont été diffusées. La première est que les Saoudiens sont officiellement le deuxième peuple le plus heureux de la planète; la seconde est que depuis 2019, les événements de divertissement saoudiens ont attiré un public total, à la fois local et international, de plus de 120 millions de personnes.
Si tout cela ne mérite pas d’être protégé, je me demande bien ce qui mériterait de l’être. Et si cela peut être protégé – grâce à l’initiative chinoise – sans se battre, alors il y a d’autant plus de raisons d’être heureux.
Quant aux conséquences régionales, elles sont trop nombreuses pour être énumérées. Mais si l’Iran respecte l’accord, nous ne pouvons qu’imaginer un monde où le Yémen, la Syrie, l’Irak et le Liban seraient en paix et prospères. S’agit-il d’un résultat ambitieux? Oui. Vaut-il la peine d’être poursuivi? Absolument!
Dans le contexte des réformes en Arabie saoudite, Arab News a célébré Noël, le nouvel an juif et la Saint-Valentin avec des éditions spéciales. À l’aube d’un nouveau jour, ou Norouz, il convient de célébrer cet ancien rituel perse par une couverture inaugurale.
Sal-e-Nou Moubarak à tous nos lecteurs persanophones!
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com