PARIS: À quelques heures de l’inauguration de la nouvelle exposition de la MIA Art Collection à Dubaï, intitulée «Fragility», Alejandra Castro Rioseco, est un peu nerveuse. Il faut installer les quarante œuvres d’artistes femmes du monde entier dans le hall de l’université canadienne de Dubaï, pour que tout soit prêt ce 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits de la femme. La fondatrice de la MIA Art Collection prend néanmoins quelques instants pour revenir avec Arab News en français sur sa nouvelle exposition, mais aussi sur la place des femmes dans l’art et l’importance de l’éducation pour améliorer les choses.
La collectionneuse chilienne d’origine espagnole, basée entre Dubaï et Madrid, a choisi de présenter cette année les œuvres de trente artistes femmes; 70% des œuvres issues de sa collection, la MIA Art Collection, et le reste issu de la scène artistique locale. «Il y a une artiste originaire de la Barbade, des artistes de France, d’Iran, d’Amérique du Sud, il y a une Argentine, une Espagnole… J’ai essayé de mettre dans ces quarante œuvres d’art le plus de pays possible, pour montrer que dans ces différents pays, ces différentes structures et sociétés, les femmes ont exactement les mêmes problèmes», explique Alejandra Castro Rioseco. «De l’Afrique à l’Amérique du Sud, les problèmes des femmes ne changent pas, seul le lieu change. La fragilité de la vie des femmes est exactement la même, à des degrés différents, bien sûr… Mais les femmes souffrent de la même discrimination, des mêmes inégalités.»
La MIA Art Collection en bref
La MIA Art Collection est une collection d'art privée à but non lucratif qui vise à donner de la visibilité et à apporter un soutien aux femmes artistes de manière responsable, durable et globale. En 2020, MIA Art Collection crée le premier musée virtuel exclusivement consacré aux femmes artistes, MIA Anywhere, et s'engage dans de nombreux projets de soutien à l'échelle mondiale, notamment des expositions d'art, des bourses d'études, la résidence MIA, pour n'en nommer que quelques-uns.
«Fragility» aborde ainsi la situation des femmes dans le monde. «Les femmes sont très fortes, en général», estime ainsi Alejandra Castro Rioseco. «Les femmes indépendantes, comme moi, ont le pouvoir dans ce monde, celui de créer la vie et beaucoup d’autres choses. Mais le problème est ce qui arrive à ces femmes à l’intérieur de la société», poursuit la collectionneuse d’art en citant la situation des femmes en Iran, en Afghanistan, aux États-Unis… «On revient en arrière», considère ainsi Alejandra Castro Rioseco. «Le rôle des femmes aujourd’hui dans la société est très fragile.» C’est cette fragilité, vue à travers le regard de toutes ces artistes femmes, qui est dépeinte dans l’exposition, dont la scénographie est inspirée par Lina Bo Bardi, une architecte italo-brésilienne qui a créé dans un musée de São Paolo un espace spécial pour que le public contemple les œuvres dans les meilleures conditions.
L’exposition de l’année dernière, baptisée «Serendipity», consacrée aux artistes femmes du monde arabe, s’est tenue dans une bibliothèque publique de Dubaï, la Al-Safa Art & Design Library. Cette année, la nouvelle exposition se tient à l’université canadienne de Dubaï, jusqu’au 15 mars. «L'objectif est de permettre aux étudiants de mieux appréhender l'art et de le sentir plus accessible», explique Alejandra Castro Rioseco. «C’est magnifique, mais c’est aussi une grande responsabilité. Pour nous, l’éducation est l’élément le plus important pour le monde de l’art, et l’art doit être démocratique. Les étudiants n’ont pas envie d’aller dans des endroits ennuyeux pour voir de l’art. Ils veulent faire partie de quelque chose de sympathique. Et c’est l’idée de cette exposition.»
Les artistes exposées
Magda Malkoun (Liban); Sonia Gomes (Brésil); Laurence Jenkell, alias JENK (France); Yuliia Korienkova (Ukraine); Kirra Kusy (États-Unis); Annaelee Davis (La Barbade); Verovcha (Pérou); Christel Vega (Chili); Elvira Smeke (Mexique); Carla Chan (Chine); Sandra Chevrier (Canada); Addie Wagenknecht (États-Unis); Gretchen Andrew (États-Unis); Marina Nunez Jimenez (Espagne); Teresa Giarcovich (Argentine); Pariant Eleish (Iran); Karine Roche (France); Bita Fayyazi (Iran); Ida Taube (Russie); Samar Hejazi (Palestine, Canada).
La scénographie repose sur le fait que le public puisse voir l'œuvre et son envers, c’est-à-dire le processus de fabrication. «L’envers de l'œuvre peut contenir tellement d’histoires à raconter. L’artiste y met énormément d’informations, d’idées, et il peut utiliser la toile trois, quatre ou cinq fois», explique la collectionneuse. «Ces stands représentent le concept de fragilité et de solidité, car ils sont faits à partir de matériaux bruts comme le béton, et d’un verre spécial, délicat, pour accueillir les œuvres d’art.» L’idée est que les étudiants déambulent autour des œuvres d’art. «L’université abrite de nombreux jeunes gens. C’est fantastique. Je suis vraiment émue que l’université soit partie prenante de l’exposition, car seuls les jeunes pourront changer le monde», se réjouit la collectionneuse.
Alejandra Castro Rioseco déplore encore le manque de place accordé aux femmes, malgré les intentions affichées par certaines institutions.
«J’étais à Arco Madrid (Foire internationale d'art contemporain de Madrid) il y a deux semaines, et les chiffres ne changent pas. Les gens parlent et reparlent de l’égalité, mais en fin de compte, ils ne font pas grand-chose. À titre d’exemple, la participation des femmes dans les musées n’atteint pas 10% actuellement», déplore-t-elle. «Je ne sais pas quelle est la participation des femmes à Art Dubaï. Je leur ai demandé l’autre jour, mais ils ne m’ont pas répondu. Ils ont peut-être peur de mes commentaires.»
La collectionneuse est cependant fière du travail qu’elle accomplit et elle envisage déjà de s’attaquer à de nouveaux projets, à Riyad notamment.