PARIS : Le Sénat a demandé au gouvernement français, dans un texte voté mercredi, « la reconnaissance de la République du Haut-Karabakh », ou Nagorny Karabakh, région séparatiste d'Azerbaïdjan à majorité arménienne touchée par un conflit meurtrier cet automne.
Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a salué une « décision historique ». Le ministère des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan a en revanche dénoncé une « provocation, menée par un groupe de sénateurs ouvertement pro-arméniens ».
« Un exemple éclatant de l'islamophobie en France », a ajouté un conseiller en politique étrangère du président Ilham Aliyev, Hikmet Hajiyev.
Le projet de résolution du Sénat, qui n'a pas de valeur contraignante, a été voté par 305 voix pour, une seule contre et 30 abstentions. Il était co-signé par cinq des 8 présidents de groupe: Bruno Retailleau (LR), Hervé Marseille (centriste), Patrick Kanner (PS), Eliane Assassi (CRCE à majorité communiste) et Guillaume Gontard (écologiste).
Cette reconnaissance « n'est pas seulement un symbole c'est un devoir », a souligné Patrick Kanner, alors que le président de la commission des Affaires étrangères Christian Cambon (LR) y a vu un symbole de « l'amitié et de la solidarité » de la France avec le peuple arménien.
Tout en partageant « les motivations » de la proposition de résolution, Alain Richard (RDPI à majorité en Marche) a jugé qu'une reconnaissance unilatérale, « dans cette région traversée de conflits, apparaît porteuse de difficultés supplémentaires ».
Selon le secrétaire d'Etat Jean-Baptiste Lemoyne, elle ferait perdre à la France « toute capacité d'influence » et celle-ci « ne serait plus d'aucun secours pour ceux-là même auxquels vous voulez porter secours ».
L'Azerbaïdjan et l'Arménie s'accusent mutuellement de crimes de guerre durant les six semaines de combats meurtriers qui les ont opposé de fin septembre à début novembre pour le contrôle du Nagorny Karabakh.
Le texte voté au Sénat « condamne l'agression militaire de l'Azerbaïdjan, menée avec l'appui des autorités turques et de mercenaires étrangers et demande le retrait immédiat » de leurs forces armées des territoires pris depuis le 27 septembre dans la région du Haut-Karabakh.
Il « invite le gouvernement à reconnaître la République du Haut-Karabakh » et à « mettre tout en œuvre pour que des discussions en vue d'un règlement négocié et durable du conflit, assurant le rétablissement des frontières définies en 1994 (...) puissent reprendre sans délai dans le cadre du Groupe de Minsk ».
Il lui demande de défendre « la mise en œuvre immédiate de la protection des populations par le déploiement d'une force d'interposition internationale » et d' « apporter une aide humanitaire massive aux populations civiles ».
Le texte invite encore le gouvernement « à demander la conduite d'une enquête internationale sur les crimes de guerre commis au Haut-Karabakh » et « à tirer toutes les conséquences diplomatiques du rôle joué par les autorités turques ».
Bruno Retailleau, chef des sénateurs LR, a fustigé « la participation décisive et massive de la Turquie de M. Erdogan, au nom d'une politique nationale islamiste ».
D'autres collectivités, comme les villes de Paris et Marseille ou encore les régions PACA, Île-de-France et Hauts-de-France ont également voté des résolutions similaires.
Le ministre des Affaires étrangères du Karabakh, Masis Mayilyan, a exprimé sa « profonde gratitude aux sénateurs ».
Dans un communiqué, le Comité de défense de la cause arménienne a aussi salué ces résolutions, qui constituent « un désaveu cinglant de la stratégie opérée par le gouvernement français qui est désormais plus que jamais isolé dans sa posture criminelle et inefficace de neutralité », de « blanc-seing en faveur de l'extermination des Arméniens du Haut-Karabakh ».
Le président Emmanuel Macron a redit samedi son souhait d'une « supervision internationale » de l'accord signé le 10 novembre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, parrainé par la Russie.
Les députés LREM et les sénateurs RDPI ont déposé parallèlement leur propre projet de résolution, appelant notamment « tous les acteurs régionaux, et surtout la Turquie, à s'abstenir de toute ingérence, déclaration ou action belliqueuse ».