PARIS : Elle aurait pu fuir, installer ses ateliers n'importe où en Europe: mais la créatrice ukrainienne Lilia Litkovska a choisi de rester à Kiev, où sont conçues ses pièces bientôt présentées à la Fashion week parisienne.
Les yeux rivés sur leurs machines, une dizaine de couturières s'activent dans l'ancienne usine réhabilitée d'une zone industrielle proche de Podil, le vibrant quartier des «créatifs» de Kiev. Autour d'elles, les stylistes tourbillonnent, ajustant les derniers détails des vêtements destinés à partir à Paris.
Poutres métalliques apparentes, locaux aménagés avec goût et énergie communicative: seul l'énorme générateur électrique, qui trône sur le parking à l'entrée de l'atelier de Lilia Litkovska, apporte un sentiment d'anormalité.
La styliste de 40 ans a fait ce «cadeau» en décembre à ses employés, au retour d'un séjour à Paris. Les coupures d'électricité étaient alors courantes à Kiev, en pleine vague d'attaques russes visant les infrastructures énergétiques ukrainiennes.
Lilia Litkovska s'en souvient avec elle-même des larmes dans les yeux, «tout le monde pleurait» quand elle leur a montré le générateur.
«Je n'en avais parlé à personne. Je suis entré et j'ai dit: +Les filles, c'est la Saint-Nicolas!+ (fêtée le 19 décembre en Ukraine, ndlr). Et tout le monde a couru dehors, était si heureux! C'était vraiment émouvant, surtout que dans ces locaux, il fait froid très vite sans chauffage».
- «Qu'est-ce qu'ils feront ?» -
Dans l'esprit de Lilia Litkovska, il n'a jamais été question de faire déménager sa marque lancée en 2009.
Les premiers jours du conflit, il y a un an, la jeune femme a déplacé une partie de ses collections et de ses ateliers à Lviv (ouest), dans une fabrique de robes de mariée. Elle-même s'est installée en France, où sa mère l'a rejointe pour veiller sur sa fille de trois ans, aujourd'hui scolarisée à Paris.
Mais dès que cela a été possible, quand les troupes russes ne menaçaient plus Kiev, elle a rouvert ses locaux dans la capitale ukrainienne. «Je me suis dit: +Si je pars, qu'est-ce qu'ils feront?+», dit-elle au sujet des 25 employés des lieux.
Penchée dans la salle de couture, Viktoria Dernougova, une patronnière de 41 ans, confie pourtant ne s'être jamais trop inquiétée pour son travail.
«Connaissant Lilia, elle trouvera un moyen de se sortir de n'importe quelle situation. Peu importe ce qui arrive, une tornade, un tremblement de terre ou une guerre, c'est sûr à 100% que même sur la Lune on travaillera !», s'amuse-t-elle.
Une dizaine de jours par mois, Lilia Litkovska est elle aussi à Kiev. Elle en a besoin, pour ne pas perdre le lien avec son pays et retrouver amis et collaborateurs qui, dit-elle, l'inspirent en continuant à «travailler sous des attaques massives et à sourire».
Mais aussi parce que «l'équipe a besoin de mon énergie ici», confie-t-elle avant de s'engouffrer dans l'entrepôt menant à la «designer room», où sont exposées les esquisses de ses dernières créations.
- L'Ukraine avec «subtilité» -
En octobre, la collection, remarquée, de Lilia Litkovska à la dernière édition de la Fashion week parisienne contenait des éléments de cultures traditionnelles ukrainiennes.
Sa prochaine collection, qui sera dévoilée le 1er mars au Grand Rex, se veut plus universelle et les références à l'Ukraine «subtiles». Le principal rappel de l'origine de ses vêtements réside dans une étiquette aux couleurs de l'Ukraine, sur laquelle est écrit «D'une zone de guerre, avec paix».
«Que ce soit +Made in Ukraine+ est un message très important. Mais notre message au monde, c'est +Gardez vos racines, sauvez les traditions+. On n'oublie pas d'où on vient. Et avec ça de l'amour», résume la styliste, qui travaille notamment avec des artisans de la région montagneuse des Carpates, à laquelle elle est attachée.
Lilia Litkovska souhaiterait maintenant pouvoir rouvrir l'école d'«art et d'artisanat» qu'elle avait créée au-dessus de ses ateliers, peu avant le début de la guerre. Seuls quelques étudiants avaient eu le temps de profiter des cours donnés par des designers ukrainiens et étrangers.
Les ordinateurs de la vaste salle de classe sont rangés, les chaises impeccablement alignées n'attendent qu'une future promotion d'élèves. Seule nouveauté: un immense drapeau ukrainien tendu sur un mur.